Introduction
Ainsi, ça n’en finira donc jamais. Si les livres sont le petit charbon de bois de mon esprit, les diverses bêtises que je peux lire sur le net sont clairement l’essence qui leur font souffler toutes leurs flammes. Vous me connaissez depuis le temps, je ne résiste jamais à l’idée de ressortir Pipou, ma belle pelle à péter du cliché. Et aujourd’hui, elle a du boulot.
D’ailleurs, si vous avez raté le précédent épisode, c’est par ici : Et si on cassait du cliché à coups de pelle ? Comme vous vous en rendrez assez rapidement compte, je n’écris pas ce genre de billet pour me faire des amis, et celui-ci n’y fera pas d’exception. PAS. DU. TOUT.
En fait, ma source d’ébahissement du jour, est cette vidéo de Laurent Breillat :
Dans celle-ci, Laurent vous explique pourquoi les projets 52 (1 photo par semaine pendant un an) sont parfaitement inutiles et ne vous apporteront rien. Je partage 99,99% de ce qui y est dit, je ne prendrai donc pas la peine de le paraphraser ici. Je rajouterai juste un élément tout simple : Est-ce que Henri Cartier-Bresson a fait des projets 52 pour préparer ses livres ? Non ? Alors, si vous pensiez en faire un, ne le faites pas. Si vous vouliez écrire un article pour partager vos 52 meilleures idées pour cette année, allez vous laver les dents au fer à souder. Bref, si j’avais du temps à perdre bêtement, je me lancerais très probablement dans un projet 365.
Si je suis parfaitement d’accord avec le contenu de la vidéo, non pas par amitié avec Laurent, mais bel et bien parce que ce qu’il dit fait sens quand on a un peu étudié le sujet (essayez les livres si vous voulez vérifier), je suis un peu étonné des bêtises qu’on peut lire dans les commentaires. Mais avant de rentrer dans le sujet comme Guy Georges dans une Parisienne, on va clarifier quelques points :
- Vous ne pouvez pas comprendre pleinement ce qui va suivre et en apprécier la saveur si vous n’avez pas lu cet article : Bougez-vous le cul et arrêtez de vous plaindre. J’y parle, en partie, d’internet, cette bulle auto-centrée et auto-référencée et des conséquences que cela a sur le contenu que l’on trouve en ligne et du niveau de ceux qui le produisent.
- Je ne résiste jamais à une petite minute « vocabulaire et justesse » alors allons-y. Un des commentaires (et ça n’est pas la première fois que ça arrive, donc autant en parler une bonne fois pour toutes) trouve mon ton condescendant. Alors condescendant ça veut dire : « Attitude bienveillante teintée d’un sentiment de supériorité, de mépris ». Et en fait, ce que je tente de faire via ces articles, c’est tout le contraire. Je m’explique : j’ai un vilain défaut, j’ai tendance à penser que ce qui est facile pour moi l’est aussi pour les autres. Même si les internets tentent de me rappeler chaque jour le contraire, je continue d’y croire malgré moi. Donc le Blog se veut bienveillant (je pense fondamentalement que vous pouvez tous arriver à vous exprimer via la photographie et vous épanouir comme ça) et exigeant (si j’y arrive, vous pouvez le faire aussi, donc travaillez). Si je ne pensais pas ça, je ne me serai jamais embêté à écrire un livre ou tout ce contenu, avant tout pour moi, certes, mais aussi pour vous aider vous. Ha, et le mot exact pour me qualifier, c’est pédant.
- Je sais que je ne peux pas plaire à tout le monde, mais quand je vois à qui je ne plais pas, je me demande si ça me dérange vraiment. Quand des youtubeurs de seconde zone détestent la moitié de mes articles qu’ils ont comprise de travers , c’est sans doute que j’ai tapé au bon endroit, et il y a peu de choses qui pourraient davantage me rassurer. Je suis flatté de voir que les gens que je débine prennent le temps de me lire, pendant que je tourne des pages d’autres tournent des boutons et s’en extasient, et le résultat est bel et bien à la hauteur du travail fourni.
Ceci étant dit, offrons donc à cette bonne vieille Pipou la ballade annuelle qu’elle mérite, et cassons une compilation des plus belles âneries apparues dans les commentaires. Profitez, c’est ma tournée.
Ps : Notez que ci-dessous je synthétise les principales idées des commentaires que j'ai retenues, je ne les cite pas directement. Pour la simple et bonne raison que ça serait laid : malgré la gratuité de l'école publique les bases de la ponctuation ne semblent pas forcément acquises. Et on n'est pas chez les sauvages ici.
Le plaisir est dans la prise de vue, dans l’acte photographique
Ce plaisir est d’ailleurs parfois qualifié d’inexplicable, ce qui est d’autant plus étonnant qu’il s’agit d’un procédé neurochimique parfaitement clair. Mais bon passons, on a assez de physiciens de la photo pour ne pas avoir envie de réclamer en sus des biologistes.
Ce qui est sous-entendu derrière ce genre de propos, c’est que la pratique se suffit à elle-même, comme si, pour débuter en littérature et ne pas trop s’investir on s’amusait à recopier des pages du même mot « pour le plaisir d’écrire ». Parce qu’après tout, c’est ça qui est fun, utiliser l’outil. Bien évidemment, cela ne tient pas debout, personne ne s’infligerait ça. Pas plus qu’un pianiste ne jouerait que des accords dans tous les sens, pour la joie immense d’entendre sonner son instrument, ou que Katsuni… Non, oubliez cet exemple.
En réalité, le plaisir n’est absolument pas la bonne clé de lecture, parce qu’il est souvent lointain et incertain en matière d’art. Il vous faudra parfois des mois, comme d’autres photographes avant vous, pour produire un corpus qui ait du sens et vous donne satisfaction. Et ces mois de travail, même si vous avez la sensation d’avancer, ne seront pas forcément riches d’un plaisir immense.
La photographie, vous devez l’avoir en vous, elle doit vous faire envie d’elle-même, vous appeler. Si vous avez besoin de projets absurdes pour la pratiquer, remettez en cause vos motivations (il n’y a rien de mal à ça hein, on se trompe tous des fois en choisissant une activité). Sinon, vous n’aurez fait qu’acheter du matériel pour vous rendre compte qu’il ne vous sert à rien, et vous enchaînerez les défis du web 2.0 pour vous donner l’illusion de combler le vide de votre propos, c’est triste.
Enfin, si le plaisir était la bonne clé de lecture, celle qui nous aide à décider de nos loisirs, la photographie serait un bien piètre choix. Le rapport investissement (personnel et financier) / gain, est ridicule. Si le plaisir est vraiment ce que vous cherchez, l’onanisme et une simple connexion internet sont de bien meilleures options.
La série, une vision restreinte de la photographie ?
Est-ce ça le but de la photographie, faire des séries ? Est-ce qu’il faut être obsessionnel ? Est-ce monotone ?
Bon, avant de laisser à Pipou le temps de mettre à plat tout ça, parlons un peu de vocabulaire. On emploie régulièrement les deux termes de « projet » et de « série » indifféremment, mais ils n’ont pas vraiment le même sens. Les définitions que je vais en donner n’ont rien d’officiel, mais elles permettent de faire la différence entre les deux, et elles sont suffisamment claires pour éviter les confusions. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup : toutes les séries ne sont pas des projets, mais tous les projets sont des séries. Un peu comme le fait que tous les oiseaux ne sont pas des chouettes, mais toutes les chouettes sont des oiseaux.
Une série désigne un ensemble d’images ayant un point commun (elles ont par exemple été produites au même moment, à l’occasion d’un événement, autour d’un thème donné, ou autre), en cela les projets photo sont des séries. Mais on peut faire une série photo en 10 minutes entre deux téquilas, là où un projet a été pensé, travaillé sur le long terme, et en cela il a plus de profondeur et d’envergure. Il demande plus d’implication (en travail, personnalité, et émotion) de la part de son auteur. L’un n’est pas mieux que l’autre, il s’agit juste de différentes façons de travailler. Ainsi, ce que présente Laurent dans sa vidéo, correspond plus à ce que je nommerai un « projet » (qui s’étale sur plusieurs mois et demande une réflexion). Ceci étant dit, j’ai une question à tous les gens qui mettent en doute l’intérêt de travailler ainsi :
Est-ce que Flaubert s’est arrêté à une seule putain de page de Madame Bovary ?
En fait, ce genre de propos me donne l’impression que les gens tombent du ciel et découvrent qu’en fait à un moment, la photographie étant un art, il faut travailler. Et comme il est plus facile de se cacher derrière des excuses que de s’y mettre…
La photographie en fait, c’est ça :
C’est un arbre à deux branches. La division entre les deux branches est simple : d’un côté il y a les gens qui prennent des commandes (qui ne sont jamais le sujet de mes billets, ce domaine ne m’intéresse pas) et de l’autre il y a les gens qui ont une photographie personnelle, qui sont les seuls décideurs de leur pratique. Bien évidemment, ces deux pratiques ne sont pas mutuellement exclusives, on peut aller dans l’un et un peu dans l’autre, bref, ce n’est pas le sujet. Le bas de la branche, c’est la pratique très simple, photographier le mariage de Tata en échange d’un pack de 8-6 d’un côté, ou juste des souvenirs de vacances de l’autre. Le haut de la branche, c’est l’opposé : être le photographe en chef de Vogue par exemple, ou exposé au MoMA. La seule façon de grimper en haut de l’une de ces branches, c’est de travailler, il y en a pas d’autre. Pour apprendre la photographie, aller au bout du truc, il va falloir s’y mettre. De là, découlent 2 constats, et vous allez voir, ça va détendre tout le monde une bonne fois pour toutes sur le sujet :
- C’est vous qui décidez où vous vous arrêtez sur la branche. C’est votre affaire, et s’arrêter à un endroit A n’est pas mieux que de s’arrêter à un endroit B. C’est votre décision. Par exemple, moi pour la guitare, je me suis arrêté à la moitié environ. J’ai appris toute la technique, joué en groupe, enregistré quelques trucs et ça s’arrête là. Je compose des morceaux que j’oublie tout de suite, je joue de temps en temps avec des amis, et c’est tout, je n’ai pas besoin ni envie de plus. Je ne ferai pas Wembley, et ça me va bien. Si d’autres continuent ou s’arrêtent avant, bah ça ne change rien à ma décision.
- Si vous voulez grimper en haut de la branche personnelle, il va falloir travailler sur le long terme, et donc faire des séries/projets. C’est une étape obligatoire, un peu comme un péage. Vous pouvez la critiquer autant que vous voulez, dire que ça n’est pas pour vous, nul, inintéressant, ça n’y changera rien, cela ne vous fera pas avancer. Pas plus qu’insulter l’automobiliste devant vous ne vous aide à le doubler.
Et il n’y a rien d’élitiste là dedans, ce qui serait élitiste ça serait de dire que si vous n’avez pas fait telle ou telle grande école, vous n’y arriverez pas. Que si vous n’avez pas le meilleur matériel qui soit, vous n’y arriverez pas. Ce n’est pas le propos ici, la route est accessible. Et encore une fois (je préfère le dire deux fois, comme ça ceux qui comprennent la moitié des articles ne pourront pas le rater) : vous vous arrêtez où vous voulez. Si vous voulez allez plus loin, le chemin est assez bien balisé (c’est ce que je fais ici en vous donnant tout le contenu pour le faire quand je le peux), c’est votre décision. Dire que c’est élitiste, parce qu’il faut travailler, ça serait comme dire que le CNRS est élitiste parce qu’il ne recrute que des doctorants pour son laboratoire d’astrophysique. C’est juste normal. En haut de l’arbre, les places sont plus chères, plus difficiles à obtenir.
Quant à l’obsession à avoir pour aller sur cette voie, ou l’hypothétique monotonie qui y serait liée : ça ne marche pas vraiment comme ça. Plus vous grimpez sur les branches, plus elles deviennent fines, plus vous vous spécialisez, plus vous grimpez jusqu’aux toutes petites feuilles que personne n’a vues avant. Vous trouvez votre truc, ce petit trésor tout en haut de l’arbre, c’est grisant. Et si ça peut vous rassurer, tous les photographes ayant marqué l’histoire ont procédé ainsi. Donc entre cette réalité, factuelle et vérifiable par vous même et l’avis empirique d’un Youtubeur ne parlant que de matériel, demandez vous qui a une paille dans l’œil et qui a une poutre.
Les essais/erreurs ou la spontanéité ont aussi permis de faire de grandes œuvres
Cette fois aussi, les choses ne sont pas aussi simples. Il est évident qu’à l’inverse de l’échec, personne ne réussit rien du premier coup. Donc oui, en cela, les essais, les tentatives (ratées ou non) sont une part importante de la création. Étant moi-même en train de définir les projets sur lesquels je vais travailler cette année, je peux en témoigner : à chaque fois que je me plante, je me rapproche quand même un peu plus de la cible.
Cependant, les projets 52, 365, 118 218 et que sais-je, n’ont aucun rapport avec cette partie du processus créatif. Ils ne consistent grossièrement qu’à tirer dans tous les sens, à chaque fois sur une cible différente et pour ensuite passer à la suivante. Bref, vous accumulez des brouillons disparates qui ne vous servent à rien, et encore pire, vous les montrez aussi (spoiler : il y a déjà assez de caca sur internet, on peut se passer d’une bassine de plus).
De plus, mêmes les grandes œuvres ayant l’apparence de brouillons sont très travaillées, je pense notamment au travail de Pollock, et ses fameux drippings (des coulures de peinture).
Malgré leur apparence de brouillon et leur construction semblant aléatoire, elles sont au final pensées et parfaitement maîtrisées. Pollock a un propos, il s’attelle à le développer dans ses peintures. Le choix du grand format, la surface plusieurs fois parcourue par la peinture et couverte avec des réseaux de coulures qui fusionnent la couleur et le trait en une structure interne maîtrisée, font penser à une déambulation qui n’a plus rien à voir avec la peinture artistique et décorative de chevalet. Son œuvre n’a ni début, ni fin, elle est un perpétuel présent.
Dire « j’essaie plein de choses différentes, après tout on a construit de grandes œuvres comme ça ! », c’est là-aussi, se cacher derrière son petit doigt pour ne pas s’y mettre. Ne pas vouloir bosser, comme je le disais à travers la métaphore de l’arbre, ça n’est pas grave, je n’ai aucun souci avec ça, tant que c’est un choix volontaire et assumé. Mais se trouver des excuses bidon pour se donner l’impression de bosser quand même, c’est ridicule.
« Et moi je… »
« …connais des gens pour qui ça marche à fond le projet 52, et pour moi les contraintes et les séries ça ne marche pas du tout donc faut garder toutes les solutions ».
Empirisme, raccourcis, et conception de la photographie limitée à ce qu’on en dit sur le Web, je suis convaincu que si j’avais voulu dire autant de bêtises en si peu de mots, j’aurais échoué. Là je vais citer mot pour mot un commentaire « Et sinon tu as aussi des tas de gens qui témoignent sur YouTube, Facebook ou sur les forums… », la caverne, dans toute sa splendeur. Par contre, si on joue au « moi je » et qu’on tire des conclusions, moi j’ai lu des livres sur :
Ansel Adams, Darren Almond, Diane Arbus, Araki, Eugène Atget, Jane Evelyn Atwood, Ragnar Axelsson, Roger Ballen, François-Marie Banier, Gabriele Basilico, Taysir Batniji, Jean-Christophe Béchet, Didier Ben Loulou, Burchel, Bruno Barbey, Kate Barry, Bernard Cantié, Henri Cartier-Bresson, Gilles Caron, Augustin V. Casasola, Lucien Clergue, Gregory Crewdson, Bruce Davidson, Raymond Depardon, Robert Doisneau, Omar Victor Diops, William Eggleston, Elliott Erwitt, Walker Evans, Louis Faurer, Larry Fink, Ed Fox, Robert Franck, Martine Franck, Gisele Freund, Masahisa Fukase, Gabriele Galimberti, Jean-Claude Gautrand, David George, Ralph Gibson, Bruce Gilden, Harry Gruyaert, Andreas Gursky, Ernst Haas, Gail Albert Halaban, Lucien Hervé, Todd Hido, Françoise Huguier, Graciela Iturbide, Christophe Jacrot, David Jimenez Casado, Frida Kahlo, Richard Kalvar, Erik Kessels, Seydou Keïta, William Klein, Josef Koudelka, Frans Lanting, Sergio Larrain, Saul Leiter, Helen Levitt, Sze Tsung Leong, Vivian Maier, Sally Mann, Constantine Manos, Sebastien Van Malleghem, Man Ray, Yves Marchand et Romain Meffre, Étienne-Jules Marey, Mary Ellen Mark, Steve McCurry, Susan Meiselas, Pierrot Men, Joel Meyerowitz, Duane Michals, Daido Moriyama, Nadar, Kosuke Okahara, Paul Outerbridge, Martin Parr, Trent Parke, Paolo Pellegrin, Irving Penn, Anders Petersen, João Pina, Bernard Plossu, Mark Powell, Marc Riboud, Alexandre Rodtchenko, Willy Ronis, Sebastião Salgado, August Sander, Richard Sandler, Aaron Siskind, Eugène Smith, Stephen Shore, Joel Sternfeld, Paul Strand, Hiroshi Sugimoto, Wolfgang Tillmans, John Vink, Jeff Wall, Alex Webb, Weegee, Michael Wolf, Francesca Woodman, Paolo Woods, Donovan Wylie, Patrick Zachmann.
Et je n’ai jamais vu aucun projet pseudo créatif produit au rythme d’un programme sportif là-dedans. L’argument d’autorité a ses limites, mais je doute que tous se soient trompés et aient raté cette formidable chance de progression. Du coup, on fait comment ?
Le problème, quand on use et abuse d’exemples empiriques (basés sur notre propre expérience) et dans le mauvais contexte (comme des arguments et non comme de simples illustrations informatives d’un propos), c’est que l’on se casse vite les dents sur nos propres limites. Vos arguments ne sont portés que par vos expériences, pas par vos connaissances. Là, une fois n’est pas coutume, je ne vais pas être élitiste mais encore exigeant, et je vous invite à l’être aussi : quand la seule autorité est héritée d’un nombre d’abonnés, passez votre chemin. Ma méthodologie est toujours la même : Vous ne me croyez pas ? Vous doutez ? C’est une excellente chose et vous avez raison, prenez la liste ci-dessus et allez vérifier par vous-même dans une bibliothèque.
Bien évidemment, il n’y a pas besoin de connaitre tous ces photographes par cœur pour être un photographe accompli (10% suffisent je pense), mais avant de venir donner des conseils sur le sujet, il y a un minimum syndical.
Le manque de cohérence est-il un problème ?
En fait, le manque de cohérence ça n’est pas un problème, c’est tout le problème. C’est celui de 99% des portfolios de photographes que l’on voit en ligne. C’est de là que vient le fameux grand chelem : paysage / portrait / photographie de rue / architecture / couchers de soleil que l’on retrouve partout. On va reprendre le même exemple que précédemment : est-ce qu’il y a un peu de poésie et de SF au milieu de Madame Bovary, parce que Flaubert aimait bien toucher à tout et ne voulait pas rentrer dans des cases ? Évidemment que non. Produire de l’art (je me permets d’être insistant, je suis chez moi après tout : la photographie est un art), c’est faire des choix. Et si vous ne renoncez à rien, vous ne choisissez pas. J’ai déjà écrit plusieurs fois sur la cohérence, notamment ici :
Pour paraphraser très rapidement le contenu de ces articles : votre portfolio, ou votre projet, ou encore votre série est aussi fort que sa photographie la plus faible. Et faible, ça ne veut pas dire forcément « nul », ça veut aussi dire « hors-sujet », car d’un intérêt faible par rapport à votre sujet. Si les photographes qui peuplent nos livres et nos musées restaient dans un champ photographique précis, ce n’est pas parce qu’ils étaient débiles et incultes et n’avaient pas eu l’idée de faire autre chose. Ça n’est pas parce qu’ils n’avaient pas internet et ses ressources pour apprendre plein de techniques. C’est tout simplement parce qu’ils avaient compris et intégré qu’une œuvre est forte quand elle est pure, et que pour qu’elle le soit, il faut supprimer sans état d’âme le superflu. C’est ce que résume à la perfection Antoine de St. Exupéry ici :
La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer.
Antoine de Saint-Exupéry
Donc oui, la cohérence doit être votre préoccupation n°1 (sans pour autant vous empêcher d’essayer des choses régulièrement à côté. Je parle de ce que l’on montre ici, pas de ce que l’on fait). Dans le premier article cité ci-dessus, je décris 5 points sur lesquels être vigilant quand on analyse une œuvre, ou sur lesquels travailler quand on la produit (soit I.R.E.C.O. : Intention, Réalisation, Expérimentation, Cohérence, Originalité). Maintenant vous savez par lequel commencer.
Conclusion
Si je prends le temps d’écrire tout cela, de démonter ces petits clichés un par un, ce n’est pas pour vous foutre le bourdon, ni vous filer des complexes, mais juste pour que vous ayez une vision claire des choses, afin de décider ce que vous voulez faire de votre pratique.
Pour conclure, nous allons finir sur un petit trio de citations que j’aime bien. Selon Nietzsche la fonction de l’art n’est pas de créer des œuvres d’art, mais « d’embellir la vie ». Ainsi il déclare :
L’essentiel, en art, est la célébration, bénédiction, la divinisation de l’existence.
Nietzsche
Citation d’Henri Cartier-Bresson que j’ai déjà partagée mais dont je ne me lasserai jamais :
Vous n’avez qu’à vivre et la vie vous donnera des images.
Henri Cartier-Bresson
Et enfin, celle-ci de Serge Tisseron issue de Le mystère de la chambre claire : Photographie et inconscient :
La photographie, avant d’être une image (…) est une forme de participation empathique au monde. Le photographe accompagne le monde bien plus qu’il ne le fige.
Serge Tisseron
Les trois sont unanimes : la photographie accompagne et célèbre votre vie, et non l’inverse. Ne vous lancez pas dans des programmes improbables pour faire entrer au forceps la photographie dans votre vie, ça va gripper le mécanisme. Vivez, laissez vous porter, et donnez une chance à l’appareil d’enregistrer ça.
Ps : je précise s'il y a des nouveaux, je suis super ouvert à la critique et j'adore ça. Notez cependant que sans argument elle ne vaut rien, et que l'échange peut devenir douloureux.
Pendant la rédaction de ce billet, j’ai écouté ceci :
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