Le GAS est un acronyme anglais qui signifie « gear acquisition syndrome« , soit, dans notre belle langue de Jean-Baptiste Poquelin « syndrome d’acquisition du matériel« . Vous comprendrez bien là qu’il s’agit plus d’une blague de forum spécialisé sur un sujet, que d’une réelle maladie, la parodie est évidente mais je préfère prévenir. On ne meurt pas du GAS, et il ne faut pas manger 5 fruits et légumes par jour pour l’éviter. Le GAS, c’est cette tendance que nous avons, dans toutes les disciplines à vouloir toujours plus, à penser qu’avec tel ou tel objet nous serions meilleurs, plus à même de nous exprimer pleinement et d’atteindre ce maximum où nous rêvons d’être. Sur le Blog, je m’exprime avant tout sur la photographie, mais j’ai observé le GAS aussi dans la musique, et il doit être commun à à-peu près toutes les passions. Même dans la randonnée, c’est dire. Je précise que je ne parlerai pas directement de matériel ici, j’avais écrit cet article à ce sujet. Non, ce qui m’intéresse, c’est cette insatisfaction chronique, et les solutions que l’on peut y apporter.
Tell me baby, what’s your story ?
Le GAS, c’est un peu comme la mort, les deux finissent tôt ou tard par nous rattraper un jour. A moins de vivre dans un pays où le salaire mensuel est de 35€/mois, et donc d’en être de fait prémunis, il y a de fortes chances que ça vous tombe sur le coin du bec à un moment donné, et j’en suis l’illustre exemple. Ce petit coin du web étant mon royaume, je vais commencer par parler de mon expérience personnelle à ce sujet. Le GAS, de toute ma naïveté vêtu, je pensais avoir été vacciné définitivement contre. Les anticorps devaient être là, à faire leur boulot. C’est ce que j’expliquais dans l’article cité précédemment, des guitares j’en ai possédé énormément lorsque je faisais principalement de la musique. Et je me suis rendu compte de plusieurs choses :
- On ne se plaint jamais de ce que l’on a, on ne veut jamais mieux, pendant qu’on l’utilise. Pendant une répétition, je ne pensais jamais à ce que je voulais acheter, mais à ce que je voulais jouer, peu importe avec quoi, tant qu’un son (juste et en rythme, on n’est pas chez les sauvages) en sortait.
- Le GAS n’a pas de fin. Au maximum, j’ai dû avoir 15 guitares chez moi (dans 30m², c’est respectable) et sur la durée, en posséder une trentaine. Et ça n’était jamais assez, il y avoir toujours une nouveauté, un micro, un truc qui captait mon attention de petit consommateur, pauvre certes, mais débrouillard.
Je m’en suis sorti d’une façon assez simple au final : je me suis arbitrairement limité et je me suis tenu à ce que j’avais décidé. J’ai tout revendu, sauf ce à quoi j’étais très attaché sentimentalement, ou alors ce qui était très différent (en termes de bois, micros, etc.) pour que cela fasse sens. J’ai posé une limite à ce qui n’en avait pas sinon. Et ça a marché. En dehors des consommables (cordes, produits d’entretien, câbles, médiators) , cela doit faire 6 ans que je n’ai rien acheté, et je suis parfaitement content comme ça.
C’est fort de cette expérience que j’ai abordé mes achats liés à la photographie, emprunts de prudence, de recul et de réticences. Quand on connait ses démons, c’est plus facile de leur dire d’aller se faire empaler chez les roumains. Il y a un peu plus d’un an, j’ai revendu tout mon matériel pour passer d’une marque à une autre, et ce changement était censé régler tous les « problèmes » que j’avais avec l’ancien matériel. Je voulais plus de légèreté, posséder moins et utiliser plus, plus de discrétion, et ainsi de suite. Et j’ai été servi. Quand j’ai reçu mon petit set (pièces par pièces, par un facteur qui prenait ainsi dans mon cœur la place que le Père Noël avait occupée 20 ans plus tôt), j’étais ravi, je me disais que je n’achèterai plus jamais rien d’autre, j’avais ce qu’il me fallait, ni plus, ni moins.
Durant l’été suivant j’ai acheté un petit appareil argentique, pour le fun, comme complément. Et je me suis pris au jeu, il m’a suivit un peu partout et j’ai adoré m’en servir. En fait, j’ai trouvé dans la pratique de l’argentique ce qui manquait dans celle du numérique (le fait de prendre son temps, de réaliser matériellement l’image), je trouve que les deux se complètent très bien, et ne s’opposent pas (ils ne sont pas exclusifs l’un de l’autre). Cependant, en revenant de vacances j’ai constaté que certaines photographies étaient ratées, faute aux capacités limités du petit boitier (1/500e, en plein cagnard et à ISO fixe, c’est quand même très limité). Du coup, j’ai racheté un reflex argentique plus performant, pour pouvoir continuer à pratiquer sérieusement quand le besoin se fait sentir. J’envisage de réaliser un projet complet en argentique, et je me voyais mal y aller avec un boîtier dont ont voit très vite les limites.
Au final ces changements m’ont coûté assez peu (je reste à même pas 30% d’un reflex FF numérique) et respectent ma règle d’or : n’acheter que ce que je peux transporter. C’est une façon de me limiter, et d’éviter le syndrome du sac bardé d’objectifs improbables et que l’on ne peut emporter nulle part. J’ai deux petites besaces, une pour la photographie de rue, et une pour le boitier argentique. Chacune contient le strict nécessaire, et je prends l’une ou l’autre selon l’envie et le projet du jour, et c’est bien suffisant. D’ailleurs, je prends l’engagement solennel devant vous tous, de me limiter à ça (un hybride numérique, un petit boitier argentique, un reflex argentique), si l’un de vous découvre que j’ai rompu ce serment sacré, maintenant ou dans 10 ans, je lui offre son poids en pellicules. Voilà qui est dit.
Le fait est, que malgré tout, malgré l’intime certitude que j’ai de posséder tout ce dont j’ai besoin (ce qui est une chance avouons-le), le GAS vient quand même toquer à ma porte. C’est un peu comme le contrôleur des impôts, que vous le vouliez ou non, il vient réclamer son dû. Laissez-moi derrière un ordinateur plus d’une heure sans rien avoir à faire, et j’irai me languir sur des télémétriques allemands, des vieux boîtiers russes, ou des reflex japonais. Internet me fait céder, les suggestions sur YouTube, les posts sponsorisés sur Instagram, les tags sur Twitter, tous me piègent à un moment. Je sais que je n’ai plus faim, mais la publicité pour le restaurant du coin me donne quand même envie. Qui plus est, c’est intellectuellement confortable. Il n’y a pas besoin de se concentrer ou de s’investir intellectuellement pour baver devant une fiche technique, il n’y a qu’à se laisser porter par les spécificités toutes plus mirobolantes les unes que les autres.
Bref, si je prends le temps de détailler cela (et vous devez vous retrouver aussi un peu entre ces lignes), c’est pour souligner un point : la mécanique du GAS est pernicieuse. Je sais parfaitement que le matériel ne changera rien à ma pratique, j’ai aussi assez de connaissances sur la photographie pour savoir pertinemment que ça n’a jamais rien changé pour personne. Je sais que si l’on est nul, que l’on ne travaille pas, aucun outil ne changera ça. Donnez moi un stradivarius, je ne ferai pas l’ombre d’une note juste. Je sais que les seules limites que j’ai, ce sont celles que je ne lève pas moi-même. Mais pourtant, le GAS continue à tourner en tâche de fond dans mon processeur interne.
Ainsi, on arrive à la question au cœur de ce billet :
Comment marche le GAS ? Est-ce qu’il s’arrête à un moment ?
Avant tout, considérons une chose simple : nous sommes des êtres sociaux. Nous vivons dans une société hiérarchisée, c’est ancré au plus profond de nous, et depuis beaucoup plus longtemps que ce dont nous avons généralement conscience. La hiérarchie sociale, définie à coups de pinces et d’intimidation existe déjà chez les homards. Cette notion de hiérarchie est apparue avant la peau, de poumons, ou encore les os, elle est plus vieille que les arbres. Et notre cerveau, au gré des évolutions, a gardé cela bien enfoui en lui. Cela se ressent déjà dans les premiers contacts que nous avons les uns avec les autres. A une première rencontre, il est plus courant de demander « tu fais quoi dans la vie ? » (= « je te place sur l’échelle sociale« ) que « Qu’est-ce qui te rend heureux ? » (= »je cherche à te définir en tant que personne« ). Et dans une société matérialiste et hiérarchisée, une des façons de grimper cette échelle sociale et surtout de le montrer, c’est de posséder plus que son voisin. Implicitement, l’effet psychologique est là, sans rien savoir d’un individu, on est très rapidement marqué par l’image qu’il nous renvoie et cela biaise notre jugement par la suite. C’est un effet psychologique connu, on appelle cela l’effet de Halo. Voyez vous-même :
Cela fait donc sens que certains objets deviennent des totems à brandir pour revendiquer une place. Avoir le meilleur matériel, le plus beau, le plus cher, c’est revendiquer un niveau de pratique (qu’il soit justifié par les faits ou non, l’habit ne fait pas le moine, c’est là toute la subtilité du GAS). C’est en partie ce besoin, notre envie d’être, que le GAS titille au fond de nous, et l’on n’a pas notre mot à dire. De là viennent les phrases toutes faites du type « T’es pas pro si t’as pas un Full Frame ! ». Il faut posséder pour être. Et dans cette course, vous pouvez vite être entraîné contre votre gré quand tout le monde joue autour de vous.
L’autre élément qui, à mon humble avis, est fondamental dans la compréhension du GAS et de son effet sur nous, c’est le câblage de notre cerveau, et son inadéquation totale avec le monde dans lequel nous vivons. Notre monde évolue beaucoup plus vite que ce que la biologie peut faire. Nous sommes passés en quelques dizaines de milliers d’années, d’une société primitive de chasseurs-cueilleurs, à une économie mondialisée où l’information s’échange à la vitesse de l’éclair. C’est sans commune mesure avec la vitesse d’évolution de notre cerveau, qui a besoin de centaines de milliers d’années, voire de millions, pour qu’un changement s’y opère.
En quoi est-ce un problème ? Eh bien, certains réflexes évolutifs, qui nous ont permis de survivre jusqu’ici, nous handicapent désormais. Nous sommes par nature opportunistes, ce qui est un avantage considérable dans un monde où autre fois la nourriture était rare. Si vous trouviez du miel, il fallait vous en gaver. C’était une source très importante d’énergie et il n’y en aurait pas forcément une autre demain. On prend ce qu’il y a, là, tout de suite, maintenant. Bon, plutôt que de paraphraser autour d’un sujet qui est en dehors de mon domaine d’expertise, je vais vous inviter à consulter 3 sources d’information sur ce sujet. Elles sont (pour 2 d’entre elles) assez longues et exigeantes, mais vous y gagnerez beaucoup sur votre connaissance de notre fonctionnement, et en compréhension pour la suite de ce billet.
Il y a donc :
Dirty Biology :
Cette vidéo porte sur la stimulation constante de notre cerveau, et son incapacité à y résister. C’est pour cela que l’on passe des heures à cliquer partout sur les réseaux sociaux et non à lire des livres. Ce genre de divertissement, immédiat, est trop tentante pour nos chers neurones.
Naturacoach :
Il s’agit d’une série de 3 vidéos sur les causes de l’obésité dans le monde. Les deux premières analysent les chiffres et les effets de tel ou tel type de macro-nutriments, et la dernière vidéo le fonctionnement du cerveau et notre comportement face à la nourriture. Vous l’aurez compris, les 2 premières sont un peu loin de notre sujet du jour, mais je vous invite vraiment à tout regarder, déjà parce qu’il s’agit d’un sujet de santé publique, mais aussi pour mieux comprendre la troisième.
Wait but Why
Ici, Tim Urban, légendaire blogueur derrière Wait But Why nous parle du mécanisme de procrastination. Et pourquoi, la partie intelligente et raisonnable de notre cerveau se fait piquer les commandes de notre cerveau par le « petit singe de la gratification immédiate« . Il y a deux façons de découvrir cette analyse, soit via la conférence TED ci-dessous (sous-titrée en français), soit via le long article sur Wait But Why (en anglais). Si vous pouvez consulter les deux, c’est mieux.
Ceci étant posé, nous avons désormais cette certitude : nous ne sommes pas faits pour résister à la tentation de la gratification immédiate. Cela nous demande un effort. Si je vous dis : « Est-ce que vous voulez le matériel de votre choix maintenant, ou travailler seul et être un artiste accompli dans 10 ans ?« , le choix risque d’être cornélien. C’est là que le GAS tape très fort, le matériel promet une récompense immédiate, instantanée. Votre esprit va se focaliser sur un détail, un élément de l’objet que vous ne possédez pas, et vous allez vous dire qu’en l’ayant, en sus du statut social déjà évoqué, vous serez meilleur grâce à lui. C’est aussi pour cela que si l’on ne lutte pas contre, le GAS n’a aucune fin : il y aura toujours un élément que vous n’aurez pas. Même en ayant l’appareil le plus perfectionné de l’histoire de l’humanité (et je rappelle que tous les appareils disponibles sur le marché, sans exception, sont plus performants que ceux avec lequel s’est fait l’histoire de la photographie), eh bien il y aura toujours un petit objectif qui vous fera envie.
Cependant, je pense qu’il est possible de lutter que l’on peut mettre un terme au cycle. Voyons comment.
La sainte trinité anti-GAS.
Comme toujours, il n’y a pas de recette miracle, mais je pense qu’en vous imposant une ou toutes les contraintes ci-dessous, avec de la rigueur et de l’autodiscipline, vous pourrez lutter efficacement contre la petite voix au fond de votre tête qui est souvent victime du marketing. C’est à dire :
- Privilégier l’usage. Ici on ne combat pas le feu par le feu (ce qui reviendrait à dire « j’achète tout et après j’aurai plus envie de rien »), mais par l’eau froide. C’est un constat purement empirique, et je vous invite à me dire dans les commentaires si vous le partagez aussi mais : quand je sors faire des photos, quand je suis en train de travailler sur un projet, etc. l’épanouissement me suffit. Je ne suis jamais déçu de mon matériel quand je l’ai en main et que je produis des travaux qui me plaisent avec. C’est derrière un ordinateur, un smartphone ou un magazine que parfois l’envie se fait sentir. Ainsi, si vous avez envie d’autre chose, commencez par user ce que vous avez jusqu’à la corde, il y a de grandes chances que l’envie passe.
- Vous imposer une taxe sur le matériel. Il n’existe pas de GAS sur les livres, je m’explique : d’une certaine façon, une fois que vous aurez mis le doigt dans l’engrenage (et je sais de quoi je parle), vous aurez toujours envie d’en avoir plus, en pensant là aussi que ça vous aidera à être meilleur. Sauf que dans le cas des livres, c’est vrai. Ce n’est ni magique, ni automatique, mais vous cultiver sur la photographie ne peut que vous aider à améliorer votre connaissance et votre compréhension de celle-ci. D’où l’idée d’une auto-taxe, je propose 10% comme montant, à vous de l’ajuster ensuite. Si vous voulez acheter un objectif à 300€, rajoutez 10% à ce budget pour acheter des livres sur la photographie et vous former. Au moins, il y aura une part dans cet achat qui sera effectivement utile. Et cela vous fera réfléchir à deux fois avant d’acheter un boitier à 6 000€ 🙂
- Vous limiter arbitrairement. Comme je le disais, je ne possède que ce qui peut rentrer dans un sac photo. Je veux voyager léger, je préfère avoir moins quitte à galérer parfois (spoiler : ça n’est jamais arrivé), que d’avoir un outil pour chaque situation qui reste chez moi à prendre la poussière la plupart du temps. Que ça soit en argentique ou en numérique, je n’ai que 2 objectifs (les mêmes focales dans les 2 cas), et je les utilise à 60 et 40% du temps chacun. Acheter un autre que j’utiliserais dans 5% des cas ne me servirait à rien. Fixez-vous une limite,et tenez-vous y. Si vous voulez dépasser cette limite, revendez, et ou si vous en avez les moyens, donnez ce qui est en trop à un ami, parfois un petit coup de pouce peut donner de grandes carrières.
Ps : Je précise que je ne suis pas systématiquement contre l'achat , quand il est raisonné cela peut faire sens. Si vous voulez vous lancer dans la photographie argentique, et que vous n'avez pas d'appareil argentique, il va bien falloir en acheter un à un moment.
Conclusion
Je pense qu’on trouve une certaine forme de libération quand on réussit à s’extirper du GAS. Certes, on n’en sort jamais complètement, mais s’en éloigner permet de se recentrer sur l’essentiel : la pratique et le plaisir de celle-ci. De même, on y gagne un peu en connaissance de nous-mêmes et de nos propres failles, et ça, ça n’est jamais perdu.
Ps : Le matériel, on en parle aussi ici :
Pendant la rédaction de cet article, j’ai écouté cette playlist. Parce que je ne m’en lasserai jamais :
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