Depuis ces vingt-cinq dernières années, Graciela Iturbide s’est remarquablement investie dans la vie quotidienne et les fêtes saisonnières de différentes communautés du Mexique, explorant des voix nouvelles pour étendre le champ de la photographie objective – avec un récit personnel sur l’incommensurable globalité d’un pays et ses innombrables recoins d’expériences, sur les âges de la vie, le rôle déterminant des femmes et les représentations de la passion dans le catholicisme populaire, sur l’étrange dans le familier et les limites du connaissable lorsque des phénomènes apparaissent sous l’habit généreux ou ineffable du rêve.
Roberto Tejada
Vie et carrière de Graciela Iturbide
María Graciela del Carmen Iturbide Guerr de son nom complet est née en 1942, dans une famille bourgeoise et conventionnelle de Mexico. C’est une famille nombreuse (elle a 12 frères et sœurs) et elle grandit dans un univers qu’elle qualifiera plus tard de “très étroit”. Elle se marie à 19 ans, a 3 enfants (nous y reviendrons, c’est important pour sa carrière) avec un architecte dont elle divorcera quelques années après pour se lancer dans le cinéma.
Son arrivée à la photographie se fait par des chemins de traverse. À l’origine intéressée par le 7e art, c’est par hasard qu’elle choisit d’assister aux cours de photo de Manuel Álvarez Bravo, qui est désormais une icône classique de la photographie mexicaine1. À l’époque, il n’a pas encore cette aura, sa photographie paraît datée, loin de la modernité du cinéma qui attire et fait rêver les étudiants de l’école. Graciela Iturbide ne connaît alors qu’un livre de lui sur Mexico, qu’elle lui demande de signer. Elle sympathise avec lui, et devient son assistante suite à sa proposition.
Álvarez Bravo sera plus qu’un professeur, il l’influence sur de nombreux sujets. Ainsi, l »œuvre photographique d’Iturbide est profondément marquée par son l’intérêt pour les diverses communautés ainsi que par sa philosophie du « hay tiempo ». Reposant sur le rythme propre au Mexique, ce concept du « hay tiempo » imprègne les arts, la littérature et la vie quotidienne mexicaine. Il se base sur l’idée d’une observation patiente. En d’autres termes, la patience permet au moment de se dévoiler et de se résoudre de lui-même, en harmonie avec le tempo mexicain.
Elle retient de lui sa grande culture, qui dépasse le simple cadre de la photographie, il lui parle de peinture, littérature, et ainsi de suite. Il sait guider son élève, et ne pas s’empêtrer dans la technique. Par exemple quand elle lui demande des conseils sur le traitement des pellicules, il lui répond de suivre ce qu’il y a écrit sur la boîte (ce qui n’est, en soi, jamais une mauvaise idée). Álvarez Bravo la conseille sans jamais lui imposer sa vision des choses, il ne lui dit jamais que telle photographie est bonne ou mauvaise, mais le lui fait comprendre, pour qu’elle trouve le bon chemin seule.
Petit à petit, Graciela Iturbide devient photographe à son tour, avec sa propre personnalité. Elle n’adopte par exemple pas le trépied comme son maître, ce qui lui permet d’avoir des cadrages plus libres. Forte de cette expérience et de cette influence, elle démarre sa propre carrière à l’aube des années 70. Et elle sera riche d’événements.
Photographier la mort
Tout démarre par un drame, qui a lieu en 1970 : elle perd sa fille Claudia. Devenue obsédée par la mort, elle commence à photographier les angelitos. Il s’agit de bébés dans leurs cercueils, entourés d’offrandes et parfois de jouets.
Même si le Mexique est sans doute l’un des pays avec le rapport le plus décomplexé à la mort (on pense à la fête qui leur est dédiée), cela reste un sujet complexe et douloureux pour les familles. Iturbide demande toujours la permission avant de faire ses photographies. Pour elle, ces images ne sont pas fortes et poignantes, mais plus un document, un reportage sur ce sujet.
L’appareil est un prétexte à partager la vie des gens, la succession et la simplicité de leurs fêtes – un moyen de me plonger dans mon pays. […] Je ne pense jamais à mes images en termes de projet. Ce sont des situations que je vis et que je photographie ; les images, je les découvre après coup.
Graciela Iturbide
Un jour, alors qu’elle accompagne une famille dans un cimetière pour ce projet, elle tombe sur un homme mort, à moitié décomposé et qui n’a pas été enterré. Elle le photographie.
Elle publiera plus tard les planches-contacts de cette journée, où les photos des angelitos et de la famille précèdent celle-ci. Elle voit cela comme le signal d’arrêt de ce projet : elle qui a voulu voir la mort de près, la suivre dans son lien intime avec les vivants, la voit en face. La mort lui dit “Tu voulais me voir, me voici, assez de cette obsession”. C’est à la suite de cette rencontre des plus étranges qu’elle arrête ce projet et cesse de photographier les enfants morts.
Pour elle, et grâce à la photographie, elle découvre « la face cachée de la vie quotidienne à laquelle [elle] n’avait jamais eu accès », à cause de ses origines et du milieu social d’où elle provient.
Les Seri
Elle continue ensuite sa carrière dans la photographie documentaire et est notamment dépêchée en 1978 par les Archives ethnographiques nationales indigènes (INI) de l’Institut du Mexique, afin de photographier la population indigène mexicaine. Elle photographie les Seri, un groupe de pêcheurs nomades. Souvent mise à l’écart et marginalisée, cette communauté indigène évolue discrètement en marge de la vie urbaine de la capitale, bâtie sur les ruines d’une ancienne cité aztèque.
Dans les portraits d’Iturbide, la richesse culturelle et l’héritage spirituel des peuples indigènes s’entrelacent avec l’influence croissante d’une mondialisation qui empiète sur leurs territoires ancestraux.
C’est lors de cette mission qu’elle capture également Mujer Ángel (la femme Ange) en 1979, l’une de ses photographies les plus emblématiques. Dans cette image figée, une femme de la tribu Seri émerge du désert de Sonora, au nord du Mexique. Elle semble surgir d’une autre époque, portant une jupe drapée flottante et tenant un poste de radio à la main. Elle incarne une figure évanescente, hors du temps. Cette photographie est aussi la préférée de Graciela Iturbide, car elle ne se souvient pas de l’avoir prise. Depuis lors, elle la considère comme un présent offert par le désert.
Elle y est retournée en 2020 et a trouvé l’expérience très intéressante. Cette communauté vit dans le désert, près de la mer de Cortez, où les Indiens Seris ont obtenu du président le droit de pêcher librement. La région est désormais une zone très protégée. Les femmes fabriquent des paniers et des petits objets, tandis que les hommes pêchent. Ils créent aussi des figurines en bois, solides et élégantes, d’un style unique qui semble avoir une influence nordique, bien que cela reste très mystérieux. Cependant, leur situation reste précaire, à l’exception de quelques Américains qui achètent leur artisanat. L’économie locale est presque inexistante.
Le Juchitán
La suite de sa carrière se passera à Juchitán, qu’elle photographie sous les conseils du peintre et sculpteur mexicain Francisco Toledo. En effet, la ville a eu un passé de haut lieu culturel, y ont notamment séjourné Diego Rivera et Frida Kahlo, ainsi que Tina Modotti, mais depuis, plus rien. Iturbide vient y photographier les habitants et leurs traditions, et est très soucieuse de leur accord avant de les photographier. Ce sont les Zapotèques. Cette communauté a la particularité de donner une place prépondérante aux femmes dans la société, qui exclut les hommes de certaines activités (à l’exception des homosexuels qui, eux, sont bien intégrés).
Pour l’anecdote, elle y rencontre aussi Cartier-Bresson : la rumeur raconte qu’il avait une compagne dans la ville qui voulait le suivre en France, ce qu’il n’a pas souhaité.
C’est là qu’elle réalisera une de ses images les plus iconiques : celle de la femme aux iguanes sur la tête.
Malgré la persistante rumeur, cette photographie n’est pas mise en scène, comme l’atteste la planche-contact qui a été dévoilée par la suite. La femme porte des iguanes sur la tête, qui sont destinés à être vendus au marché pour être mangés.
Cette image devient un symbole de l’identité indigène (car il faut se rappeler que le Mexique fédère 31 États différents). Cette image dépasse largement son cadre initial, elle devient l’objet de tags, de produits dérivés (comme des bouteilles d’alcool) ou encore de posters.
D’ailleurs, Iturbide revient sur ce sujet dans un livre2 réalisé par la suite avec Clément Chéroux3.
Autoportraits
On retrouve aussi beaucoup d’autoportraits dans la photographie de Graciela Iturbide, bien que, de son propre aveu, elle ne sache pas toujours pourquoi elle les fait, comme cette image.
Intitulée Ojos para volar (Des yeux pour voler), elle a été prise après un passage au marché. Elle a acheté l’oiseau vivant à gauche, trouvé le mort à droite, et a réalisé l’image. Elle en avait l’envie, donc elle l’a fait, elle laisse libre cours à son inconscient.
Il en va de même pour cette photographie, réalisée sur le même principe avec un poisson.
En revanche, pour ces autres images, Iturbide peut en expliquer l’origine.
À la mort de sa fille Claudia, elle a commencé à voir un psychologue. Elle lui a dit avoir l’impression que des serpents sortaient de sa bouche quand elle parlait, du coup, elle a décidé d’en acheter et de produire l’image.
Même si ces images peuvent apparaître comme étant proches du surréalisme et du dadaïsme, il n’en est rien. Iturbide refuse toute appartenance à une mouvance artistique : pour elle, ces mouvements étaient avant tout des groupes de personnes, dont elle ne faisait pas partie.
Chez Frida Khalo
Avant de passer à une analyse un peu plus précise de son style, et pour l’anecdote, notez qu’elle a aussi photographié le bain de Frida Kahlo, dans lequel elle s’intègre. Des images à l’ambiance particulière, où ces deux femmes se retrouvent d’une certaine façon liées par la douleur qui a marqué leurs vies.
Pàjaros
Le style d’Iturbide est compliqué à définir, étant donné qu’elle en rejette elle-même l’idée. Autrement dit, il s’agit plus d’une façon d’être et de voir que d’une façon de faire. Elle le résume comme suit :
Je suis un témoin de la dimension poétique et de la magie de l’homme, jusqu’à une mystique de la vie quotidienne peut-être.
Graciela Iturbide
La pratique de Graciela n’est pas ancrée dans l’immédiateté, dans l’exploitation et la diffusion des clichés, elle est le résultat d’une attitude empathique et des conséquences de sa présence, de sa volonté de comprendre l’autre. On ne trouve pas de réalisme magique dans ses photographies comme on l’a souvent dit. Il s’agit d’un courant littéraire, dont le fonctionnement pourrait s’appliquer à la photographie, mais encore une fois, elle en rejette l’idée. Il ne s’agit que d’une technique pour vendre des livres, selon elle.
Deux éléments caractérisent quand même sa photographie : son appétence pour les rêves et l’intuition (qui, selon elle, lui vient de Brassaï), ainsi qu’une distance particulière à ses sujets. Dans ses images, on est proche humainement des sujets, mais on en est toujours loin socialement et mentalement.
Et c’est sans doute dans son projet sur les oiseaux, Pájaros (oiseaux en espagnol), que cette mécanique créative se voit le mieux. Sa fascination pour les oiseaux peut être résumée par cette citation de Saint Jean de la Croix :
Les conditions de l’oiseau solitaire sont au nombre de cinq. Premièrement, il s’élève au plus haut. Deuxièmement, il ne souffre aucune compagnie, fut-elle de même nature que lui. Troisièmement, il plante son bec dans le vent. Quatrièmement, il n’a pas de couleur déterminée. Cinquièmement, il chante suavement. Telles sont celles que doit avoir l’âme contemplative.
St Jean de la Croix
Elle est aussi influencée par la lecture du poète iranien soufi Attar, qui parle du langage des oiseaux. Il s’agit d’une grande et belle histoire d’oiseaux se rassemblant pour faire un voyage vers Dieu, tout en se rencontrant les uns les autres durant ce voyage.
Distance, poésie, voyage et solitude, mais en groupe, sont autant d’éléments que l’on retrouve dans ses photographies des oiseaux.
Comme je le disais, elle laisse une grande place à ses rêves dans sa façon de créer. Elle raconte avoir rêvé d’une image, celle d’un homme entouré d’oiseaux volant dans le ciel, et l’avoir vu et donc photographié le lendemain. Il s’agissait d’un paysan qui venait de labourer la terre.
Mon livre préféré
Il est difficile de choisir un seul livre de Graciela Iturbide. Si un ami me demandait de lui en conseiller un, j’aurais l’impression que chacune de mes réponses serait la mauvaise. La photographie d’Iturbide varie beaucoup d’un sujet à l’autre, d’un livre à l’autre, parce que c’est elle, elle avant tout et plus que des images. En ne choisissant qu’un livre, on ampute forcément le lecteur d’une partie de la compréhension de son œuvre.
Cependant, il y en a bien un, un et un seul, qui a retenu mon attention et que je vais vous conseiller aujourd’hui : No hay nadie = There is no one. Si je vous conseille ce livre, c’est parce qu’il n’y a personne dedans, comme son nom l’indique. Il n’y a pas de communautés indigènes, pas de familles dans le deuil, pas d’oiseaux ni de portraits ; dans cette Inde vue comme surpeuplée, il n’y a personne. Il n’y aura que du temps, de la lumière, et le regard d’Iturbide sur l’Inde.
Ainsi, en creux, au fil des pages, vous pouvez découvrir ce qui fait tant la photographie d’Iturbide, par son absence ici, mais aussi pour l’œuvre en elle-même : une vision avant tout singulière et radicalement personnelle du monde.
Ce livre rassemble 25 photos en noir et blanc prises par Graciela Iturbide entre 1997 et 2010 lors de ses voyages à travers l’Inde. Ces images, capturées dans des villes comme Bénarès, Bombay et Calcutta, mettent à nu la relation entre le réel et le psychologique, l’homme et la nature. Ce travail a été réalisé avant l’inauguration de son exposition individuelle aux Rencontres d’Arles.
PS : No hay nadie de Graciela Iturbide est un projet éditorial de La Fábrica, réalisé en collaboration directe avec l'auteure elle-même, dont l'édition est limitée à un tirage unique de 2 000 exemplaires. Ce qui est beaucoup, mais pas tant que ça.
Le livre contient un texte inédit par Óscar Pujol, directeur de l’Institut Cervantes à New Delhi, intitulé Les apparences trompeuses, dans lequel il réfléchit sur la notion d’éternité. Il conclut par le texte suivant :
Les apparences ne déçoivent pas. Il n’est pas nécessaire d’inventer un créateur, mais nous avons besoin d’un narrateur. Au début, l’univers était quelque-chose d’indéterminé puis il a été remplis de gens et maintenant le silence désolé des pierres nous manque.
Óscar Pujol
C’est ce silence que nous retrouvons ici, et ça fait du bien.
Qu’en retenir pour votre pratique ?
Ce n’est pas le fruit du hasard, du choix d’un galeriste ou du marché de l’art si le travail d’Iturbide est aujourd’hui érigé en icône incontournable de la photographie mexicaine et contemporaine. Son œuvre est dense, puissante, profondément enracinée dans sa vie et ses origines. Les conseils à vous donner seraient nombreux, et vous en retiendrez sûrement d’autres en analysant vous-même son travail, mais j’ai décidé d’en retenir trois aujourd’hui pour vous.
- Ne conceptualisez pas toujours tout. Je sais que je vous pousse à réfléchir à votre pratique, mais la force d’Iturbide est avant tout d’être elle-même sans la moindre ombre de concession. Ne faites pas n’importe quoi, ce n’est pas ce que je vous invite à faire, mais essayez de suivre votre instinct quand vous sentez qu’il vous guide quelque part. À toutes les étapes, que ce soit sur le sujet à choisir, la façon de le traiter ou de présenter le résultat, suivez votre instinct.
- Oubliez les ayatollahs de la composition, les règles, et tous les carcans que l’on vous force à ingurgiter à longueur d’articles sur le web. Iturbide déclare elle-même n’avoir « jamais composé une image ». Jamais. Est-ce qu’une fois au cours de cette vidéo vous avez trouvé que ses images manquaient de rigueur ? Ou avez-vous plutôt été envieux du résultat ? Iturbide n’a pas de préconstruction mentale de ce que doit être une bonne photographie : ses images ne sont pas arrangées, fabriquées ou prévues, même si on retrouve parfois des personnes qui posent dans un décor qui leur est lié. Elle opère toujours dans un entre-deux entre l’instantané sur le vif et l’installation programmée, toujours dans une sorte de rêve éveillé. Elle rêve même parfois d’images qu’elle verra plus tard, comme on l’a vu.
- Ne soyez pas un obsédé de l’édition et de la retouche de votre travail. Iturbide avoue regarder assez peu son travail, et toujours à tête reposée. Elle fait l’édition quand elle est de retour chez elle, parfois des mois ou des années après la prise de vue. Elle aime bien redécouvrir des images mal vues ou oubliées, qui résonnent avec des orientations plus récentes, car le décalage temporel fait oublier les conditions du cliché, et les voir avec un œil neuf. Donc prenez le temps de choisir le travail que vous allez présenter au monde, rien ne presse. Et n’hésitez pas non plus à fouiller dans vos anciennes images, certaines vous plairont peut-être aujourd’hui, alors que vous les avez délaissées hier.
Conclusion
Je photographie tout ce qui me surprend. Si rien ne me surprend, je ne photographie rien. C’est encore la surprise quand je reprends mes négatifs. Travailler sur ses archives, c’est accepter son travail comme il est ou a été. Il y a des choses bien, et d’autres moins bien, mais ce n’est pas un poids. Tout se renforce, ce que tu aimes comme ce que tu détestes. Cela renforce le sens de ton œuvre, son empreinte, cela la consolide. La photographie est une matière vivante. Écouter, voir, lire, voyager, mes images sont la somme de toutes mes connaissances et de mes pensées. Et, en fait, c’est mon âme qui se retranscrit en images…
Graciela Iturbide
Iturbide aura voyagé et photographié de par le monde. Elle a travaillé au Mexique, mais aussi à Cuba, en Allemagne de l’Est, en Inde, à Madagascar, en Hongrie, à Paris, en France et aux États-Unis. Elle fut la boursière du W. Eugene Smith Grant en 1971 et gagna différents prix, comme le prix W. Eugene Smith en 1987, le prix Higashikawa en 1990, le prix Hasselblad en 2008 et le prix Cornell Capa en 2015. Elle est considérée comme l’une des photographes d’Amérique latine les plus importantes et les plus influentes de ces quarante dernières années et fait avancer le concept de la photographie documentaire pour explorer les relations entre l’Homme et la Nature, l’individuel et le culturel, le réel et le psychologique.
J’apprécie beaucoup le travail d’Iturbide, je l’apprécie pour sa force, son aspect novateur et personnel et aussi, bien évidemment, esthétique. Mais ça n’est pas pour ça que j’ai choisi de vous en parler aujourd’hui. Je pourrais vous parler de tous les photographes que j’aime à longueur de journée, mais aujourd’hui, il y a une raison un peu plus particulière.
Dans cet article, je voulais faire souffler un vent de fraîcheur sur votre pratique. Trop souvent, que ce soit quand on démarre, ou avec l’habitude qui s’accumule au fur et à mesure des années, on s’enferme dans un tunnel, une pratique qui ne nous ressemble plus trop, mais que l’on croit que l’on attend de nous. Je dois faire ça parce que c’est ça qui est bien, je dois faire ça parce que c’est ce que j’ai toujours fait. Si jamais il vous arrive de penser ça, si jamais ça vous frustre et vous limite parfois : c’est aujourd’hui que ça s’arrête. Comme Graciela Iturbide avant vous, soyez enfin radicalement vous-même, et on se voit à l’arrivée.
Pendant l’écriture de ce billet (enfin juste avant, là, j’écris sur un coin de lit dans le noir), j’ai écouté ça :
Chronologie de la vie de Graciela Iturbide
- 1942 : Naissance de Graciela Iturbide à Mexico, dans une famille riche, conservatrice et catholique. Elle est l’aînée de 13 enfants.
- 1962 : Elle se marie avec l’architecte Manuel Rocha Díaz et devient mère de trois enfants (une fille et deux garçons).
- 1969-1972 : Elle suit des études de cinéma au Centro Universitario de Estudios Cinematográficos de l’Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM). C’est durant cette période qu’elle découvre la photographie grâce à Manuel Álvarez Bravo, un photographe renommé qui enseigne à l’université.
- 1970-1971 : Elle travaille comme assistante de Manuel Álvarez Bravo, l’accompagnant dans plusieurs voyages à travers le Mexique. Álvarez Bravo influence significativement sa formation, lui apprenant à voir au-delà de la technique photographique et à développer son propre style.
- 1974 : Elle se rend au Panama pour réaliser un essai photographique sur le pays et ses habitants.
- 1975 : Elle présente sa première exposition à Mexico intitulée « Tres Fotógrafas Mexicanas », suivie d’une présentation à New York (Midtown Y Gallery) l’année suivante.
- 1978 : Graciela Iturbide est mandatée par les Archives ethnographiques de l’Institut national indigéniste du Mexique pour documenter les populations indigènes du pays. Elle décide de photographier le peuple Seri, un groupe de pêcheurs nomades vivant dans le désert de Sonora, au nord-ouest du Mexique, près de la frontière avec l’Arizona. Ce travail aboutit à l’une de ses photographies les plus emblématiques, « Mujer ángel, Desierto de Sonora ». Cette même année, elle rencontre Henri Cartier-Bresson en Europe, qui influence son travail, et devient membre fondatrice du Conseil mexicain de la photographie.
- 1979 : Invitée par l’artiste Francisco Toledo, elle se rend à Juchitán, une région de la culture zapotèque située dans l’État d’Oaxaca, au sud-est du Mexique. Cette série, qu’elle poursuit jusqu’en 1988, se concentre sur les femmes de la communauté et aboutit à la publication du livre « Juchitán de las Mujeres » en 1989.
- 1980 : Première exposition personnelle de Graciela Iturbide.
- 1982 : Son travail est présenté au Centre Georges-Pompidou à Paris, marquant le début de sa reconnaissance internationale.
- 1986 : Achèvement de son essai photographique sur Juchitán, Oaxaca. Son célèbre cliché « Nuestra Señora de las Iguanas » est issu de cette série.
- 1987 : Elle reçoit la bourse W. Eugene Smith pour son travail documentaire.
- 1988 : Elle obtient la bourse Guggenheim pour son projet « Fiesta y Muerte ».
- 1996 : Publication de la monographie Graciela Iturbide: Images of the Spirit, accompagnant une rétrospective au Philadelphia Museum of Art.
- 2008 : Elle remporte le prestigieux prix Hasselblad, ainsi que le Prix national des sciences et des arts à Mexico. Elle reçoit également un doctorat honoris causa en photographie par le Columbia College Chicago.
- 2009 : Elle reçoit un doctorat honoris causa en arts du San Francisco Art Institute, et expose à la Fondation MAPFRE à Madrid ainsi qu’au Photography Museum Winterthur.
- 2015 : Elle reçoit le Cornell Capa Lifetime Achievement Award, récompensant l’ensemble de sa carrière.
- 2021 : Graciela Iturbide est récompensée par le prix de Contribución Excepcional a la Fotografía lors des Sony World Photography Awards, et est intronisée au International Photography Hall of Fame and Museum.
- 2022 : La Fondation Cartier à Paris organise une grande exposition intitulée « Heliotropo 37 », présentant 200 photographies couvrant ses premiers travaux des années 1960 jusqu’à ses œuvres récentes de 2021.
- Aujourd’hui : Graciela Iturbide continue de vivre et de travailler à Mexico.
Sources
- Chéroux, C. (2019). La voix du voir : les grands entretiens de la fondation Henri Cartier-Bresson. Paris: Xavier Barral Editeur.
- Frizot, M. & Delpire, R. (2011). Graciela Iturbide. Arles: Actes Sud.
- Iturbide, G. (2002). Pajaros. Sante Fe, N.M: Twin Palms Publishers.
- Iturbide, G. (2011). No hay nadie = There is no one. Madrid: La Fábrica.
- Graciela Iturbide : “ la photographie est une matière vivante.” par Anne Maniglier & Brigitte Ollier. (21 décembre 2022). Blind Magazine.
Notes :
- Manuel Álvarez Bravo, né le 4 février 1902 à Mexico et décédé le 19 octobre 2002, est l’une des figures les plus importantes de la photographie latino-américaine du XXe siècle. Autodidacte en photographie, il commence sa carrière à la fin des années 1920, atteignant son apogée artistique entre les années 1920 et 1950. Son œuvre, caractérisée par un style ironique et surréaliste, s’est inspirée des influences européennes avant de s’orienter vers le muralisme mexicain et la redéfinition de l’identité culturelle mexicaine. Il a également contribué au cinéma mexicain et fondé la maison d’édition Fondo Editorial de la Plástica Mexicana. Son travail a été reconnu internationalement, avec de nombreuses expositions et prix, et il est devenu une référence incontournable dans l’histoire de la photographie. ↩︎
- J’avais d’ailleurs parlé plus en détails de ce livre, si ça vous intéresse, dans cet article. ↩︎
- Un célèbre conservateur de photographie française, ayant officié pour le Centre Pompidou, puis le SF MOMA et la Fondation Henri Cartier-Bresson désormais. ↩︎
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