Introduction
Je n’avais pas tout dit lors du dernier épisode (cf. Comment détester malin : tous nos conseils et astuces), il était temps de rattraper ça. Comme précédemment, il s’agira d’analyser ce qui a tendance à m’agacer, de comprendre ce que ça signifie (si tant est que ça signifie quelque chose) et d’en tirer les bonnes leçons. Et aussi de rigoler un peu, c’est jamais perdu dans ce monde de brutes. Au passage, même si j’ai parfois la tête dans les nuages, semblable à la foudre, je ne frappe pas deux fois au même endroit, donc vous pouvez respirer si vous faites de la macro.
Mettez la ceinture de sécurité, mangez léger, et ça devrait bien se passer.
Le landscape nude
J’avais déjà parlé du travail de Sebastien Roignant dans le précédent opus, et je ne compte pas revenir sur ce que je disais. Une fois que j’ai dépassé mes a priori, je reconnais que le projet a un propos, un style et se tient. Ce n’est pas le sujet de ce paragraphe, le propos ici étant d’ordre général, ne portant pas sur un artiste en particulier. Ce qui me titille plus, c’est que ce qui était un projet devient un genre (De l’art de l’édition : Genre, style & projet), et que du coup, je me demande ce qu’il peut bien avoir à raconter de plus, concrètement.
Je veux dire, le principe du Landscape Nude, comme du Nurbex, c’est de dire que l’on va prendre deux genres, les coller ensemble et espérer que ça fasse un truc encore mieux. Dans le genre, je pourrais vous faire gagner dix ans de recherche en proposant les styles suivant : Street Photography Nude, FoodNude, MacroNude, Macro-street-photo-nude (bon courage pour celui là !), etc.
Trêve de plaisanterie, je le rabâche souvent, l’ai démontré en long en large et en travers (ici : La démarche photographique), la photographie étant une discipline artistique, elle ne fait sens, en tant que telle, que si elle porte des projets éminemment personnels (ça ne veut pas dire raconter sa vie hein, simplement être propre à soi). Et logiquement, si tout le monde produit la même chose, il est difficile d’être personnel, et donc d’avoir une démarche artistique. Pour le dire plus prosaïquement si les photographies Ikea qui ornent vos toilettes ne suscitent pas la moindre once d’émotion chez vous, c’est parce qu’elles sont génériques, plates, vides, ne disent rien de quoi que ce soit.
Mais si vous avez encore des doutes, on va prendre quelques exemples, histoire de remuer le batteur électrique dans la plaie.
Prenons Cartier-Bresson pour commencer. Dans ses premiers clichés, on sent poindre l’influence d’Eugène Atget (pour le goût de la déambulation et de la sérendipité), mais très vite il trouve ce qui fait battre son petit cœur en fréquentant Max Ernst, et les membres du mouvement surréalistes. Il photographie les corps, les déforme, les découpe. Il malmène l’effigie humaine. Ses photos de vitrines dans les rues parisiennes ressemblent à des natures mortes. Il joue avec les personnages au hasard de ses rencontres. Il s’est toujours considéré comme un peintre utilisant un appareil photo, et non comme un photographe. Son oeuvre est le résultat de son vécu, de ses rencontres et de ses aspirations, il ne s’est pas levé un matin en se disant : « Quels styles photographiques je pourrais coller ensemble pour m’offrir un peu d’originalité ? ». D’ailleurs, vous remarquerez que le surréalisme est un courant artistique, et qu’en cela il ne dit rien du contenu des images (du genre « mettez des nus dans les bois, et c’est réglé ! »), mais décrit seulement un procédé de création et d’expression utilisant toutes les forces psychiques (automatisme, rêve, inconscient , etc.) libérées du contrôle de la raison et en lutte contre les valeurs reçues.
Il en va de même pour Sebastião Salgado, l’auteur de Genesis (voir ici pour plus d’informations sur le livre). Son projet découle de son vécu personnel. Traumatisé et marqué par des années à officier en tant que reporter de guerre, il se réfugie quelques années dans la ferme, ravagée, de ses parents au Brésil. Là-bas, il décide de replanter la forêt qui avait été détruite (par la surexploitation je crois), et replante des milliers d’arbres. Subjugué par la beauté de la nature, il décide de parcourir la terre de fond en comble, de l’explorer jusque dans ses confins afin d’en ramener un témoignage unique, portant sur les derniers lieux qui n’ont pas été modifiés par l’homme. Encore une fois, il ne s’est pas dit : « Tiens, je vais faire du reportage-paysage-black&white ».
Quant à lui, Kosuke Okahara décide de rentrer en urgence au Japon suite au séisme qui secoue la côte Pacifique du Tohoku, le vendredi 11 mars 2011, avec pour objectif de prendre « des photos pour l’Histoire ». Pendant quatre ans, muni de son compteur Geiger, il collecte régulièrement des « fragments » photographiques du drame. Okahara a arpenté Fukushima pendant 4 ans. Ses images, véritables documents photographiques, décrivent en monochrome une triste réalité. Winston Churchill a dit un jour qu’un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre. La démarche de Kosuke a pour ambition de lutter contre cette amnésie collective.
J’ai commencé à photographier Fukushima à la fin du mois de mars. A mon arrivée, je fus saisi par le silence absolu. La ville était déserte, mais je percevais pourtant les traces d’une vie récente. En un éclair, tous les habitants avaient disparu. Un film d’horreur ou de science-fiction. Certains endroits connaissent une mort lente, leur population déclinant graduellement au fil du temps. A Fukushima, on aurait dit que tous avaient été kidnappés en quelques secondes.
Kosuke Okahara
Dans ce projet encore une fois, on retrouve une volonté de documenter, de tenir un travail sur le long terme, il n’est encore une fois pas question de reprendre les codes d’un style pour produire une oeuvre. Ceux-ci ne sont que la conséquence des goûts, et des besoins de l’auteur pour tenir son projet.
Enfin, terminons cette série d’exemples par Diane Arbus, une photographe de rue américaine. Elle s’est concentrée toute sa carrière à photographier les marginaux, handicapés, gueules cassées et personnes étranges, tout simplement parce que c’est ce qui l’attirait, elle. Elle photographiait avec une certaine distance, une approche que je qualifierai d’égalitariste. Devant son objectif, toutes les personnes sont regardées de la même façon, on ne cherche ni à attirer la pitié, ni à provoquer la moquerie ou le rire, tout n’est que justesse. D’ailleurs, elle commençait par discuter avec ces personnes, la photographie venant ensuite.
Je pense vraiment qu’il y a des choses que personne n’aurait vues si je ne les avais pas photographiées.
Diane Arbus
Ainsi, chacun de ces travaux n’est vraiment intéressant que parce qu’il part de la volonté propre et personnelle de l’auteur de créer (soit en trouvant sa place dans un courant artistique et en le développant, en réparant ses plaies, en documentant un événement, ou encore en photographiant ce qui l’interpelle). Aucun d’eux n’applique une recette pour correspondre à un canon et un style qui serait la tendance de son époque, ni sur la forme, et encore moins dans le contenu.
Du coup, on arrive à la question au cœur de ce paragraphe, dont la réponse sera lourde du poids du texte précédent : Si tout le monde produit le même Landscape Nude, la part variant d’un photographe à l’autre étant aussi fine que le propos général, quelle est la part d’art propre à la photographie là-dedans ? Eh bien, aucune. C’est exactement la même chose que pour les couchers de soleil en une des réseaux sociaux photographiques (Flickr, 500px & co), si tout le monde s’y met, applique la même méthode, les mêmes codes et le même style, avec le même contenu, le propos et l’intérêt, eux, disparaissent aussi vite que les Balkany devant un contrôleur fiscal.
Et là où la fête décolle, c’est qu’on vend même des formations pour apprendre à maîtriser cette pratique, avec ce genre d’intitulé (j’en ai pris un au hasard) :
Vous allez découvrir et maîtriser le landscape nude. Vous pourrez photographier des modèles tout nus dans des positions bizarres dans des lieux magnifiques. Et au passage, faire de belles photos !
Intitulé de formation.
Si la première partie me semble honnête, la deuxième me laisse perplexe. Comme on l’a déjà vu (dans La démarche photographique – Le beau et Et si on cassait du cliché à coups de pelle ?), le beau étant par nature impossible à définir, sinon on ne ferait que ça en suivant la recette, ce genre de promesses me semble quelque peu illusoire.
Donc bon, j’ai envie de dire, que si vous n’avez pas d’idées, n’allez pas enquiquiner des demoiselles (ce sont rarement des hommes, le hasard fait bien les choses) en les mettant toutes nues dans l’herbe, et construisez des projets qui ont du sens. Enfin, vous faites ce que vous voulez hein, mais l’inverse ne servira à rien d’autre qu’à étaler votre absence de réflexion, ce qui est moins cool, avouons le.
Laurent Baheux
Ha… que serait ce genre d’articles si on ne lâchait pas quelques noms hein ? Un petit plaisir coupable, qui passe beaucoup mieux quand il est argumenté et justifié. Ce qui sera le cas ici, rassurez-vous, ce n’est pas le bar du village non plus ce Blog.
Laurent Baheux est un photographe animalier, ce qui n’est pas vraiment ma tasse de thé, mais vous me direz, je peux apprendre à vivre avec ça. Non, le problème est plus son utilisation des robots sur les réseaux sociaux, qui est agaçante au plus haut point. Je vous en avais déjà parlé, il y a de bonnes façons, non-intrusives et utiles d’utiliser les robots (cf. cet article), et bah là, on est clairement dans l’inverse. Il utilise un script qui suit sur Twitter toute personne utilisant certains mots-dièses, comme #photographie par exemple. L’idée étant que la personne suive son compte réciproquement (le fameux follow-back pour les gens du métier). Mais du coup on aboutit à une situation un peu absurde, qui montre bien que le petit robot n’a pas bien compris comment fonctionne la mesure de l’intérêt sur les réseaux sociaux.
Pour évaluer l’intérêt d’un compte quelconque, sur n’importe quel sujet, il faut regarder le ratio entre personnes suivies et personnes suivantes. C’est un indice générique, qui permet d’avoir une idée, par une valeur absolue et fiable hein ! Le fonctionnement est assez logique : si je m’intéresse à 50 personnes, et que 5 000 s’intéressent à moi, c’est que quelque part ce que j’ai à dire est intéressant, intéresse les gens (c’est un exemple). Donc prenons quelques exemples, Barack Obama est abonné à 684 000 personnes et suivi par 94 000 000, ce qui fait un ratio de 137 entre personnes suivies et suivantes. Plus proche de notre centre d’intérêt, Apprendre-la-photo c’est un ratio de 14, et le mien (pour la forme) 4,5. Celui de Laurent Baheux, est de… 1,46. Donc on est en train de dire que le bonhomme spamme tout le monde (j’ai déjà eu droit à une dizaine de follow/unfollow) juste pour souligner qu’il n’est pas intéressant. Well done bro’.
Mais bon, encore une fois, les plus lucides d’entre-vous me répondront que bon, c’est internet, sans doute la faute d’un community manager sur-alcoolisé ou sous-payé, et qu’on s’en fout, et ils n’auraient pas tort. J’ai envie de leur répondre : c’est là que la fête commence. Parce qu’à force de notifications, j’ai été voir le travail du monsieur, et je pense qu’il doit rendre Nick Brandt très heureux, d’avoir un admirateur aussi assidus à lui rendre hommage. En effet, c’est tellement inspiré que j’ai l’intime conviction que le gars est capable d’aspirer une balle de golf à travers un tuyau d’arrosage. S’il n’arrive pas à vivre de sa photographie, je lui suggère vivement d’envoyer une candidature chez Konica-Minolta, célèbre fournisseur de photocopieurs. Sans déconner, ne me dites pas que vous ne voyez rien :
Et pour finir le petit bonus, avec une subtilité, c’est repris d’Ansel Adams et le titre est inversé :
Remarquez, je tiens quand même à souligner sa créativité implicite. Parce que bon, moi j’aime bien William Eggleston, et bah, j’achète ses livres. Il ne me serait jamais venu à l’esprit de tout rephotographier moi-même, c’est futé. Bien joué Lolo.
Ha, et pour les petits malins qui pourraient lui accorder une quelconque forme de crédit / autorité parce que bon « il est diffusé par Yellow Korner« , on va prendre un peu de temps pour en parler. Honnêtement, Yellow Korner, à mon humble avis, c’est de la photographie-décorative pour chiottes, ou bureau de directeur de banque, les deux ayant une marge de manœuvre artistique assez limitée. Le pire, c’est qu’ils sont quand-même assez adeptes du « tiens c’est bien, on va trouver quelqu’un qui fait pareil pour moins cher et le revendre. Vous aimez Nick Brandt ? On a Laurent Baheux ! ». Et les exemples sont légion, je vous laisserai le plaisir de jouer au jeu des paires, je vous en donne juste une pour la route :
Au passage, Candida Hofer est une photographe issue de l’école de Dusseldorf, élève des Becher et reconnue internationalement1. Quelqu’un connaît Frank Bohbot ? Non ? Voilà. Et pour la forme, les seuls éditeurs de monographie auquel je fais confiance les yeux fermés sont : Thames & Hudson, Taschen, Steidl, Xavier Barral, Phaidon, Aperture, Actes sud, les éditions muséales (Jeu de Paume, Maison Européenne de la Photographie, Centre Pompidou, etc.). Méfiez vous du reste.
Au fait, vous voyez, quand je vous dis que le premier qui me fait de l’ad hominem dans les commentaires, il a son nom dans un billet ? Eh bien, ça ressemble à ça.
La photographie de rue à distance
Ce coup de gueule sera sans doute le plus doux de ce billet, principalement parce qu’il n’y a pas vraiment de problème en soi, il s’agit plus de tracer des lignes entre les pratiques, ou du moins de les interroger.
J’ai toujours eu du mal à comprendre ce genre de photographies de rue :
On les voit fleurir sur le net, prises à distance, mettant en avant les silhouettes et l’aspect graphique, mais disant assez peu de choses des sujets et du monde dans lequel ils évoluent. Alors certes, la photographie de rue est un genre bâtard, à la croisée du documentaire, de l’humaniste, du portrait, et du reportage, sans définition précise, mais le contact humain y est – quoiqu’il en soit – au cœur. Qu’il soit assumé ou non d’ailleurs, certaines photographes préférant jouer la discrétion quand d’autres assument et vont interagir avec leurs sujets.
Prenons les quelques images ci-dessus, icônes parmi les icônes de la photographie de rue. Chacune présente une certaine proximité, une certaine forme de contact avec leur sujet, en sacrifiant parfois la forme (je pense à William Klein, qui le fait volontairement en opposition à la photographie européenne, qu’il juge classique, type Cartier-Bresson / Doisneau) pour s’approcher au plus près du fond. Du coup, je m’interroge un peu sur les images citées précédemment, les distantes. A part leur aspect esthétique, elles ne racontent pas grand chose, et semblent assez loin de ce que l’on peut attendre d’un photographe de rue, d’où le fait que leur accoler cette étiquette me dérange un peu. C’est sans doute une question de vocabulaire à ce stade.
Je sais que j’ai dans mes lecteurs des personnes qui aiment/pratiquent/veulent faire ce genre de photographies, je les invite à s’exprimer dans la boîte à commentaires pour y continuer le débat.
Ne pas lire
Je pense que l’on pourrait résumer 90% de mes réactions sur ce que j’entends/lis sur la photographie par cette jolie maxime :
Ouvrez un livre avant d’ouvrir vos g*****.
Thomas Hammoudi
Alors, c’est certes pas la plus élégante des formules, mais elle traduit une certaine vérité. Parce que, sans déconner, quand j’entends des gens dire : « Nan, mais la photographie ça retranscrit la réalité. Moi je n’utilise jamais les modes automatiques justement, pour me rapprocher au plus près de la réalité, capturer l’âme de mes modèles », j’ai des palpitations. Et c’est une vraie citation, issue de la vraie vie, par l’homme au plus beau mulet qu’il m’ait été donné de voir (y aurait-il un lien entre les deux ?).
Et je ne suis pas en train de prôner une invention miraculeuse, novatrice, et hors de prix, c’est tout l’inverse. Je veux dire, ça ne date pas d’hier la lecture, l’histoire du livre a commencé avec l’invention de l’écriture entre le IXe et le IVe millénaire av. J.-C. Ce qui fait très longtemps avant nos naissances à tous. Les premiers supports utilisés pour conserver durablement des textes ont été la pierre, les tablettes d’argile (comme celles du IIIe millénaire av. J.-C. retrouvées en Mésopotamie) et le bois. D’ailleurs, notez que les mots qui signifient « livre » en grec ancien et en latin (biblos et liber) ont pour sens premier l’écorce intérieure d’un arbre ; en Chine, les tablettes de bambou et la soie ont également servi de support à l’écriture. Quant aux bibliothèques, le concept remonte également à la haute Antiquité : on a ainsi retrouvé 22.000 tablettes datant du VIIe siècle av. J.-C. qui appartenaient à la bibliothèque des rois d’Assyrie. Voilà, c’était la petite minute histoire, offerte par la maison.
Alors oui, je veux bien que ce savoir ait été réservé à une élite (capable de lire, écrire, disposant de temps pour se rendre dans les bibliothèques ou d’argent pour se procurer les ouvrages) mais ça n’est plus le cas depuis belle lurette. Entre l’Encyclopédie de Diderot, les lois Jules Ferry, les bibliothèques publiques, Internet, ça fait un bon siècle que la démocratisation de la connaissance est en marche et qu’il ne reste que la mauvaise volonté comme excuse de ne pas s’y intéresser. Pour le dire clairement, je pense que si tous les photographes/passionnés de photographie avaient lu les 2 ouvrages ci-dessous2, 50% des billets du Blog n’existeraient pas car ils n’auraient pas été nécessaires (des billets comme Et si on cassait du cliché à coups de pelle ? ou Pour en finir avec les clichés sur la photographie).
A la limite, j’ai envie de dire que le seul article vraiment important de ce Blog, c’est la bibliographie. 95% de ce que j’écris et de ce que vous lisez découle de là, je vous le dis, knowledge is power. D’ailleurs, si vous avez un brin de flemme ou que vous voulez gagner un peu de temps, il y a les Fiches de lecture.
Bon, je mets juste un bémol à tout ça : quand je dis lire, je parle sur la photographie, de la photographie, des ouvrages de photographe, de la philosophie dessus, etc. La bibliographie vous donnera plein de pistes. Il ne faut pas tomber du mauvais côté de la force et se barder de connaissances techniques en imaginant devenir meilleur. Le calcul de la profondeur de champ, le fonctionnement exact de la matrice de Bayer ou du capteur Fovéon, du cercle de confusion, et j’en passe, ne vous apporteront jamais rien, à part devenir un petit physicien de la photo : vous en connaissez qui ont marqué l’histoire de la photo grâce à ces brillantes connaissances ? Non ? Moi non plus.
D’ailleurs, Laurent Breillat en parle très bien dans cette vidéo :
Les groupes Facebook
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il va falloir enfoncer quelques portes ouvertes, il est parfois bon de rappeler certaines évidences. Est-ce que vous connaissez la différence entre des processeurs informatiques et des neurones ? Leurs points communs sont très clairs : ils gèrent tous les deux une masse d’informations considérable, rapidement. Pour l’un, c’est du calcul, pour l’autre, le fonctionnement d’un être bio-chimique complexe. Mais quelles sont les différences, mise à part leur nature (biologique vs. organique) ?
Eh bien… la puissance de calcul des processeurs s’ajoute de façon cumulative, alors que pour les neurones, ça n’est pas le cas. Cela veut dire, que si vous combinez 64 processeurs (comme sur l’image ci-dessus) vous avez 64 fois la puissance de calcul initiale (en réalité un peu moins, mais vous avez compris) alors que si vous mettez 64 débiles dans une pièce, vous avez toujours le niveau de réflexion (la puissance de calcul) d’un débile. Vous voyez où je veux en venir ?
Alors, je ne veux pas généraliser, je me doute qu’il y a un ou deux groupes où vous trouvez votre bonheur, loin de moi l’idée, mais quand même, il existe quand même une grosse tartine de groupes qui ont l’utilité d’une crème solaire à Dunkerque. En vrac, plusieurs éléments qui m’y posent problème :
- On ne va pas se mentir, beaucoup de personnes y traînent pour y prendre leur dose de validation sociale quotidienne. Il s’agit d’asséner les conseils à coups de « moi j’aurais fait ça », « moi j’aurais fait comme ça », partant du principe que le « moi » derrière ces conseils est tant expérimenté qu’avisé, et que ses conseils sont à prendre tel un 11e commandement.
- Honnêtement, qui en a quelque chose à carrer que Jacky37 du Calvados trouve une balance des blancs à chier ? Et d’ailleurs c’est qui ? Il sort d’où ? Ce que je veux souligner derrière ce trait d’humour, c’est que même si la démocratie c’est une bonne chose, dans la critique artistique c’est vraiment la plaie. Il vaut toujours mieux avoir un avis tranché et définitif d’une personne d’expérience (avec une vraie connaissance de la photographie, de ses enjeux et de sa pratique) plutôt que 10 qui se contredisent, mais qui sont là, parce que bon, internet est ouvert à tous.
- La modération y est ingérable. Les outils sont assez foireux (pas d’édition en masse, pas d’alerte programmable, ni de quelconque forme d’intelligence automatisable), les modérateurs sont des bénévoles qui s’appuient sur des règles (chaque groupe ayant sa petite table des lois), qu’ils interprètent chacun à sa façon. Facebook s’améliore sur ce point, mais en l’état, même la meilleure équipe motivée, ou la pire brochette d’incompétents ne donneront que des résultats moyens. Si vous voulez une idée du bazar que ça peut être, filez de l’ecstasy à des chatons, et essayez de leur apprendre à danser Casse-Noisette. Voilà.
- Du fait des points précédents, il est difficile d’y obtenir de vrais conseils, on a beaucoup, beaucoup de bruit. Sur Facebook, on peut poster des commentaires plus vite que n’importe qui peut les lire/modérer et y répondre. J’ai fait quelques tentatives, mais je ne compte plus les fois où j’ai demandé : « est-ce que A+B c’est bien ? Qui a testé ? » et qu’on me répond « Moi j’ai C, c’est bien aussi », ‘Ah bah moi j’ai détesté C, j’ai préféré le D… », etc.
A la place, je ne pourrais vous conseiller qu’une seule chose : rencontrez des vrais gens. Si si, les trucs avec 2 bras, 2 jambes et qui sentent le jambon après 3 bières. Plus sérieusement, c’est un vrai moyen de progression souvent négligé, allez aux Centres photographie (ils dépendent souvent des Frac), visitez les musées, galeries ou tout autre lieu d’exposition près de chez vous. Participez à des lectures de portfolios, à des clubs, à des séances de critique, bref, tout ce que vous trouverez, même si c’est juste une connaissance qui s’y connaît mieux que vous. Rappelez-vous une chose, ça fait des dizaines de milliers d’années qu’on vit en société, les gens savent s’y comporter. Internet, et ses 30 ans, c’est encore une jungle sauvage et sans règles.
Au passage je signale qu'Aurélien Pierre a écrit un excellent billet au sujet des forums photo, dont la plupart des remarques peuvent s'appliquer ici.
Confondre opinion, goût et argument
Une opinion est un jugement, avis, ou sentiment qu’un individu ou un groupe émet sur un sujet, des faits, ce qu’il en pense. Ce que dit cette définition, implicitement, c’est qu’une opinion n’est pas nécessairement soutenue (dans un contexte argumentatif) par des faits objectifs, neutres, démontrables et reproductibles. Par exemple, les deux phrases suivantes sont toutes deux des opinions :
- « Je n’aime pas la glace, parce qu’elle finit toujours par fondre » (= 1 opinion + 1 argument)
- « Je n’aime pas la glace, ça n’est pas bon » (= 1 opinion basée sur un ressenti personnel).
Dans l’absolu, il n’y a rien de mal à avoir une opinion et à la partager, c’est juste que, toujours, dans l’absolu, et dans un contexte argumentatif, ça n’a pas vraiment de valeur. Donc la prochaine fois qu’on vous sort « Ta série, elle est vraiment pas terrible » (= jugement), bah dites-vous juste qu’entre ça et pisser dans un violon, il n’y a pas vraiment de différence. Enfin, ce n’est pas pour autant qu’il faut aller pisser dans les violons hein, ce sont de beaux instruments, foutez-leur la paix.
- On peut définir le goût comme étant une attirance pour un aliment, une boisson, quelque chose ou quelqu’un. Ce qu’il est important de comprendre du goût, c’est qu’il est plus ou moins inné. Je veux dire par là, qu’on peut le travailler, l’affiner et l’enrichir (tant d’un point de vue artistique que gustatif) mais que vous ne pouvez pas décider consciemment d’aimer ou non quelque chose. Personne ne se lève un matin en se disant « Ok, à partir de maintenant j’aime le café, les chiwawas et Patrick Fiori« . Pour ma part, je préfère le Mouton-Cadet ou le Saint-Emilion au Corbières, le bleu au jaune, et le Deathcore à la Pop. C’est comme ça, je n’y peux rien, et comme pour le point précédent, c’est totalement ok. C’est juste qu’encore une fois, ça ne vaut pas un argument, même si bien dit, ça passe socialement beaucoup mieux qu’un opinion. On préférera toujours un « Ce genre de photographies, ça n’est pas mon truc » à un « C’est quoi cette merde ? ».
- Quant à l’argument, il s’agit d’un raisonnement ou d’une preuve destinés à appuyer une affirmation (voire une opinion). Idéalement, ils sont objectifs (non influencés par l’avis personnel de leur auteur), neutres (non influencés par le contexte), et reproductibles (il y a plusieurs cas similaires, voire une infinité). Ainsi dire : « L’appareil photo est un objet important dans l’histoire de la photographie, car tous les photographes en ont un« , est un argument recevable, car il répond à tous les critères ci-dessus. Alors que « La marque X est meilleure que la marque Y, parce que Monsieur Z les utilise« , est honnêtement, un argument composé de selles, dit « de merde », car biaisé par l’avis personnel de son auteur, et non reproductible (Qu’en est-il des messieurs A, B, C… ? ).
Donc pour mélanger un peu tous ces points, dire « La photographie de rue, ça n’est pas ma tasse de thé, l’auteur l’influence beaucoup (Araki, Gilden, Petersen), et manquant de neutralité ça ne m’intéresse pas », c’est ok. Alors que dire « La photographie de rue, c’est facile, suffit de descendre en bas de chez soi, moi aussi je peux le faire » c’est débile. Essayer de garder ça en tête, ça peut vous éviter de passer pour l’idiot du village, ou de vous attirer inutilement les foudres de vos compères.
Conclusion
Bon, encore une fois, pour ceux qui n’ont pas lu La règle du Game, je rappelle que ce Blog est avant tout personnel, et subjectif, même si les idées présentées sont argumentées et défendues, elles ne reflètent que mon propre opinion. Ainsi, il faut vous sentir libre de faire l’inverse de ce qui est dit, ou tout simplement de venir en discuter dans les commentaires, c’est toujours plus marrant quand il y a un peu de contestation.
La suite au prochain épisode.
Notes :
- Voir cet article : Les bibliothèques de Candida Hofer, pour plus d’informations sur ce travail. ↩︎
- Sachant que l’ouvrage de Taschen, c’est 15€, on ne parle pas de l’investissement d’une vie là, juste de renoncer une fois à un MacDo pour accéder au grand temple de la culture photographique. ↩︎
J’ai écrit ce billet en écoutant ces deux albums :
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