J’ai assisté récemment à une scène assez surréaliste sur les réseaux sociaux. On y trouvait de jeunes photographes vantant la qualité d’autres photographes en fonction du nombre de leurs likes et de leur place dans le classement des réseaux sociaux photographiques. Alors, je veux bien faire preuve de tolérance, être ouvert d’esprit et prompt à l’écoute, mais il y a un moment où il vaut mieux arrêter les carabistouilles.
D’où l’idée le titre de l’article. Comme on va le voir, les raisons ne manquent pas de se détacher des internets. Cela me fait penser à la chaîne « Dans ton flux » éditée par Klaire : elle y relève les stupidités du web, et fini toutes ses vidéos par le désormais mythique « et j’ai quitté internet » (regardez-en 2/3 avant de vous lancer, je vous promet, c’est marrant).
Du like, encore du like
Le culte du like est apparu il y a une dizaine d’années avec les réseaux sociaux, et comme je le disais, dans cet article, il faut bien se rappeler que si vous y mettez vos photographies, c’est que personne n’a encore vu l’intérêt de vous éditer. C’est la dure réalité, mais restons un peu modeste. Et puis, je vous rappelle qu’aucun des grands photographes1 n’a de page sur ces plateformes (500px, Flickr, Facebook…). Je ne veux pas faire d’élitisme, ni vous barder de chiffres, mais on peut quand même constater que Sebastião Salgado et Robert Doisneau (deux références plutôt solides, avouons-le), ont moins de ces fameux likes que Dani Diamond et Sean Archer (22k et 4.5k contre 68k et 33k). Est-ce que c’est cela qui permet de définir lesquels sont les plus intéressants ? J’ose à peine poser la question tant la réponse semble stupide.
Internet avait un potentiel merveilleux, le like et les chatons ont tout tué. Et comme le dit si bien notre ami Ultron :
« The most versatile substance on the planet and they used it to make a frisbee ».
Ultron – Avengers : Age of Ultron.
La promotion du vide et de l’ennui
Disons-le clairement, internet est rempli d’une photographie à 90% ennuyeuse à mourir, sans inspiration, et qui ne consiste qu’à ré-appliquer les mêmes recettes pour répondre au même cahier des charges. On prend la page « populaire » 500px du jour pour rigoler un peu?
Alors, dans le palmarès du jour on a : 5 photographies prises à la golden hour (merci les tutoriaux internet), 4 portraits aussi inspirés que le discours d’inauguration du gymnase d’Aurillac, et 1 mention spéciale aux paysages presque aussi intéressants que des fonds d’écran Windows. La palme d’or revient au portrait sous l’eau, moitié noyé, moitié « je suis là encore« . Si elle avait été floue je l’aurais attribuée à Thanh NGuyen « Flou sentimental« , mais elle me fait plus penser à celle ci-dessous de Sébastien Roignant. Je ne sais pas vraiment qui manque le plus d’inspiration, ou si simplement de jeunes dames sont régulièrement présentes dans les lacs en attente de photographes, mais convenons-en, tout ça ne vole pas bien haut.
Et là, on a le doigt en plein dedans : si ces photographies sont sur la page d’accueil, c’est parce que ce sont les préférées de ces réseaux sociaux (on aurait trouvé pareil sur Flickr).
Si vous avez encore un peu faim, on peut repartir pour un tour, avec 3 photographes régulièrement en tête du top 500px : Георгий Чернядьев (Georgy Chernyadyev), Lisa Holloway et Paul Zizka.
On a donc, encore une demoiselle dénudée dans l’eau (sérieusement, c’est quoi le délire avec ça ?), un photo à la golden hour, et un dernier paysage-fond-d’écran pour la route. Toutes ces images répondent au même cahier des charges, afin de plaire aux réseaux sociaux et aux internautes : faible profondeur de champ pour les portraits, beaucoup de piqué, règle des tiers, noirs débouchés, couleurs saturées, et j’en passe. Toutes visent la même notion du beau, atteignent le même canon, au détriment de l’originalité, de la créativité, et surtout du bon sens.
Et l’argent vous sauvera
Autre point, et cette fois plus spécifiques aux plateformes de type blog ou test de matériel : on vous y promet que l’argent résoudra tous vos problèmes (type recherche d’inspiration, d’un projet intéressant, limitation matérielle). C’est malheureusement aussi idiot que faux.
Pour faire les photographies dont vous rêvez, c’est ça qu’on va vous présenter :
- Voyagez à New York : « Allez-y, tel photographe y a fait de si belles images ! C’est si photogénique.«
- Achetez tel matériel : « Avec autant de FPS impossible de rater son sujet ! Et tous ces pixels… »
- Changez d’objectif : « Il est si piqué dès l’ouverture et le bokeh est tellement beau ! »
Sur l’échelle de la bêtise, on n’est pas loin du top (que l’on atteindrait plus facilement si la place n’était pas trustée par Donald Trump). Rappelez-vous toujours une chose sur internet : si un contenu est gratuit, c’est que c’est vous le produit. Vous, le consommateur potentiel. C’est pareil dans le cas présent : en photographie, rien de ce que vous achèterez ne pourra régler un de vos problèmes. A bien réfléchir, vous avez déjà la solution à tout ça, elle se situe entre vos deux oreilles, et n’a besoin que d’un peu de café (3.34€ les 250g de Jacques Vabre) pour tourner à plein régime : c’est votre cerveau.
Je peux reprendre une tonne d’exemples (j’en parle un peu ici), de William Eggleston, à Eugène Atget, en passant par Saul Leiter ou Vivian Maier. Tous ont photographié leur environnement le temps d’une vie, y ont trouvé l’inspiration et de quoi satisfaire toutes leurs envies, souvent en restant sur le même matériel.
Vous n’aurez jamais besoin de rien d’autre que de consulter quelques livres et de vous creuser un peu les idées, si internet vous dit le contraire, coupez la page.
Être rattrapé par le temps
Rappelez-vous que la photographie se passe sur le temps long. Cela n’est pas à mettre sur le compte d’une histoire héritée de l’argentique, où il fallait attendre un certain temps avant de voir ses images. Mais comme pour tous les arts majeurs, dont la photographie fait heureusement partie, il faut du temps pour constituer un travail sérieux et cohérent. Cela est totalement incompatible avec la précipitation vers lequel nous pousse internet, principalement à cause du point précédent. Par exemple Facebook me fait toujours grincer des dents, quand le petit message suivant s’affiche à ma connexion : « vous n’avez rien publié depuis X temps« . Bien sûr j’ai conscience que c’est un message générique, et que si ma page portait sur les tondeuses australiennes j’aurais le même, mais ça ne me pousse pas dans le bon sens.
Rien ne presse jamais, n’accélérez jamais votre travail pour alimenter un flux internet quelconque. Pensez aux photojournalistes : par exemple Depardon, qui quand il partait en reportage, emportait ses pellicules et son appareil, et ne revenait parfois que plusieurs mois après. Alors, oui, parfois les photographes de presse envoyaient leurs pellicules aux rédactions des journaux, mais ce n’était pas toujours le cas (essayez de trouver un bureau de poste au milieu des montagnes afghanes par exemple).
Et même sans aller jusqu’à photographier la guerre aux confins du monde, beaucoup de photographes utilisent le temps comme un outil. Cela peut juste permettre de prendre du recul sur son travail en laissant décanter les images, ou être un véritable outil créatif. C’est ce que fait Craigie Horsfield : il développe ses photographies plusieurs années après les avoir prises (parfois jusqu’à 10 ans), une pratique complètement à l’opposé de l’instantané photographique. Cela fait de ses images des créations modernes, très influencées par le passée.
Fuir son public
Enfin, dernier exemple et non des moindres : John Frusciante. J’en avais déjà un peu parlé ici. Rappelons qu’initialement je viens de la musique et que j’ai passé une bonne décennie à la décortiquer dans tous les sens pour en revenir à la photographie un peu plus tard, et pendant tout ce temps-là, le travail de Frusciante a été une grande source d’inspiration.
John Frusiciante a été le guitariste des RHCP de 1988 à 1992 puis de 1997 à 2008 environ. Il a finalement quitté le groupe – l’annonce a été faite en 2009 – car il ne s’y sentait plus à sa place, pris entre le star système et une célébrité qui l’empêchait de faire ce qu’il voulait. C’est là un des revers de la médaille, comme il le disait sur son blog, il n’aimait pas l’influence que le public avait sur lui pendant les concerts, qui le poussait à aller là où il ne voulait pas forcément pour le satisfaire. Alors, c’est un peu paradoxal venant de quelqu’un que ledit public à rendu millionnaire, et j’ai mis beaucoup de temps à le comprendre. Mais ça se comprend, il n’a jamais fait ça pour l’argent mais par passion pour la musique, il a choisi d’être lui-même plutôt que d’être quelqu’un qui ne sert qu’à satisfaire un public pour gagner des millions (de likes ou d’€ je ne sais pas, mais le résultat est sans doute le même). Prenons-en de la graine.
Conclusion
Tout ça n’est pas un appel à se désinscrire de tous les réseaux sociaux dans la minute et à retourner à l’age de pierre : y participer est parfois agréable et on y fait des rencontres/découvertes intéressantes de temps en temps. Il s’agit plus d’une invitation à les regarder avec un œil critique, à les prendre pour ce qu’ils sont (un outil, et non un but), et à ne pas avoir peur de claquer la porte quand ça n’a plus d’intérêt. Ne vous adaptez pas à la tendance pour plaire, il est plus important de rester soi-même avant tout.
Rappelez vous qu’un million de personnes peuvent se tromper, et que la masse ne fait pas la raison. Au final, c’est comme sortir de la matrice, si une personne le fait, elle se coltine tous les agents Smith, si tout le monde le fait, le système change 🙂
Pour finir sur une note musicale, je vous laisse avec Anne de Frusciante, et son magistral solo.
- J’entends par « Grands photographes » les photographes généralement reconnus, qui ont eu de nombreuses expositions, qui ont été édités par de grandes maisons d’éditions (comme Steidl, Delpire ou Tashen), et ont reçu des prix prestigieux (Fondation Hasselbald, Word Press Photo, Wildlife photographer of the Year, Prix de photographie de l’Académie des Beaux-Arts, etc.) Bien sûr il y a énormément d’exceptions, et certains photographes sont découverts bien après leur mort sans avoir eu tout ça, mais néanmoins ils ont fait preuve d’un grand talent (comme Vivan Maier). Il s’agit d’une définition générale, qui ne peut s’appliquer à tous les photographes, évidemment. ↩︎
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