Introduction
J’ai tendance à considérer que la question est sans doute la moins intéressante de toutes celles que l’on peut poser en photographie, c’était d’ailleurs le premier des Saints Commandements du premier article du blog. Pourtant, qu’est-ce qu’elle en agite des débats ! Je vous invite à tenter votre chance sur Facebook dans un groupe consacré au matériel. Posez une question du type « Quel est le meilleur objectif pour… ? » et 250 000 personnes viendront vous donner leur avis (ce qui part quand même toujours d’une bonne intention). Et malgré moi, je suis le premier concerné, comme pour tout le monde, le marketing des grandes marques court après mon petit portefeuille, me harcelant sans relâche jusque dans mes moindres cauchemars (oui, carrément), et comme tout le monde, quand je suis au bord de l’achat, je viens chercher des conseils. Cet article sera ma thérapie contre le GAS, et je viendrai relire ce qu’il contient de lucidité, quand j’aurai reperdu les pédales. Je vous invite à en faire autant.
Ps : Je précise quand même que cet article ne concerne pas vraiment les photographes professionnels (mariage, journalistes studios, et autres). J'ai affaire aussi à beaucoup de matériel photographique au bureau, pour divers usages, et j'ai bien conscience qu'on peut avoir des exigences de résultat plus facilement et confortablement atteintes avec certains types de matériel. Bref, ne soyez pas relou, et rappelez-vous que tous les miracles que vous faites avec un matériel à 4 000€, pourraient être réalisés avec un matériel argentique à 1/10e de ce prix :)
Ps² : La suite de l'article ici, Peut-on en finir avec le GAS ?
Mon cercle vicieux
En fait je suis cycliquement dans un cercle qui alterne satisfaction & insatisfaction concernant ce que je possède, et comme il me ramène sans cesse au début, et que je reste relativement conscient de mes besoins, bah je n’achète jamais rien. Ce qui n’est pas trop mal, mais me titille un peu quand même. Voici comment ça marche :
- Je ne suis pas satisfait de mon matériel actuel. C’est très souvent la taille de celui-ci qui m’embête (format reflex pro), et je finis par me dire que si j’en avais un plus petit, plus transportable, je ferais mieux. Notamment pour ce qui concerne la photo de rue, où avoir son boîtier souvent sous le coude est essentiel.
- La première idée qui me passe par la tête est l’achat de matériel complémentaire. Mais je finis toujours par trouver cela stupide, n’ayant pas du tout envie de gérer 2 systèmes en même temps, et ayant peur de ne pas me servir d’un des deux appareils, et qu’il fasse doublon. Qui a besoin de deux appareils, sérieusement ?
- Ensuite, je me dis que je vais revendre tout ce que j’ai et changer complètement, c’est plus malin, il y a moins de frais. Je revends tout, j’achète ce que je veux et c’est réglé. Et pour être économe je vise le milieu de gamme. Le problème c’est qu’alors je descends en gamme, du coup, j’ai peur d’être limité à un moment, de regretter.
- Donc… je vise plus haut. Là, je me dis que bon, pour régler le problème de transportabilité, mais en conservant le niveau technologique de mon matériel, je vais rester dans des gammes de prix plus élevées. Le hic, c’est que pour ça, je dois revendre tout mon matériel (car forcément incompatible avec le nouveau) pour acheter un couple boitier + objectif… OH WAIT. Ce n’est pas ce que j’ai déjà ?
- L’étape de la raison, c’est celle où je finis par décider que ça fait quand même beaucoup de changements pour pas grand-chose au final, et que si ce que j’ai là marche et que je le maîtrise, autant le garder. Et que tout ça revient plus ou moins à échanger une Clio pour une 208.
- La fin de la boucle : « Je le garde, mais… c’est vrai qu’il est un peu lourd » et hop, retour à l’étape un.
Bon, c’est quelque chose qui est assez personnel et propre à ma pratique, mais au final, je suis sûr que si vous remplacez les problématiques par une autre, vous devez déjà être passés par là. Avec un objectif, un flash, etc.
Comme vous commencez déjà à vous en rendre compte, c’est assez peu productif, et on tourne très vite en rond.
Mais du coup, comment ne pas sombrer dans la folie ?
L’argent n’a jamais réglé aucun problème
Je le réécris, au cas où le titre ne serait pas assez clair : l‘argent n’a jamais réglé aucun problème. Enfin, dans la pratique d’une discipline artistique bien sûr. Si vous êtes à la rue, ou en préparation d’une campagne présidentielle, c’est vrai que ça commence à sembler utile. Pour le reste, quand cette solution me passe par la tête, et que l’alarme sonne par une phrase du type « si j’achète ça, ça sera mieux » , c’est qu’il y a un problème, un vrai problème. C’est que je raisonne mal.
L’exemple par la musique
Et si je vous dit tout ça, c’est parce que j’en ai concrètement fait l’expérience. J’en ai déjà parlé 2 ou 3 fois, je viens de la musique initialement. Et pour les guitares, j’ai vraiment pété une pile, genre folie totale. En fait, la principale différence avec le matériel musical, c’ est la grande interopérabilité de celui-ci. C’est assez simple, vous pouvez acheter une guitare Fender, jouer sur un ampli Marshall, avec des pédales EHX (là où, en photographie, vous êtes coincés, car si vous achetez Nikon, vous ne prenez pas les objectifs Canon).
J’ai dû en posséder une trentaine depuis que j’ai commencé à jouer (il y a une douzaine d’années environ), mais mes achats étaient principalement concentrés sur la période où j’étais étudiant. J’en ai beaucoup achetées, puis revendues, me disant à chaque fois que ça serait plus adapté à tel style, que ça sonnerait mieux pour tel projet, qu’avoir le choix était bien utile… J’ai eu la chance d’avoir un ami qui était collectionneur, donc j’ai pu posséder, jouer, ou simplement tester tout ce qu’il existait sur le marché, toutes marques confondues, de l’entrée de gamme chinoise sympathique à 300€, jusqu’à la pièce rare des années soixante à 25 000€ (oui, ça existe).
Au final ça n’a jamais marché. Certes, j’étais toujours content d’acquérir un nouveau jouet, mais je n’ai pas eu subitement un pic d’inspiration, ni composé le meilleur album du monde (vous auriez entendu parler de moi avant sinon), ou obtenu « le » son parfait. Comme pour toutes les disciplines artistiques, la seule chose qui fait vraiment la différence est la constante présente derrière le matériel, en l’occurrence moi. Et honnêtement, avec le recul je peux l’affirmer, une heure de travail intensif et sérieux apportera toujours plus qu’un nouvel instrument. Toujours. Au fur et à mesure des déménagement, et des besoins pécuniaires je les ai revendues et n’en ai gardées que quelques-unes qui avaient une valeur sentimentale et je suis très heureux ainsi.
Appliqué à la photographie
Et le constat est exactement le même dans la pratique photographique, et heureusement pour moi, je n’ai pas eu besoin de 10 ans ni de dépenser un budget conséquent pour m’en rendre compte.
Peu importe où vous en êtes dans votre pratique, que vous soyez à la recherche d’une démarche ou dans la construction d’une série, changer de matériel ne vous fera jamais avancer d’un pouce. Et deux heures, derrière un carnet, avec un crayon à la main, en vous posant les bonnes questions, vous apporteront toujours plus, infiniment plus, que de changer d’objectif ou de boîtier. Essayez un peu pour voir, et si ça ne marche pas, je vous rembourse.
Et pour finir de vous convaincre, je vous propose de faire le tour des raisons qui peuvent vous pousser à changer de matériel.
Que tirer du matériel ?
Grosso modo, il y a 3 raisons qui peuvent vous pousser à changer de matériel, et aussi à justifier votre achat. Voyons ce qu’elles sont, et si elles sont fondées.
Le culte du changement
Là on retombe à la Photokina dont je parlais au début de l’article. S’il y a bien une chose dont l’actualité « photographique » nous abreuve, via les blogs, les réseaux sociaux, et Youtube, c’est la question des nouveautés de matériel. C’est tellement courant que l’on n’y réfléchit plus, on considère ça comme presque normal, alors qu’en fait il n’y a rien de plus étrange. Capitalisme, quand tu nous tiens !
Il faut bien comprendre que l’intérêt des marques n’est pas seulement de vous vendre du matériel, et que vous le gardiez 20 ans, et cela jusqu’à ce que chacun ait le sien et que le marché soit saturé. Le but de ces campagnes marketing, sur les nouveautés à paraître et parues, est aussi de vous faire renouveler votre équipement, de vous faire gober que oui, votre boîtier est vieux, et que si vous en changiez, vous seriez beaucoup plus efficace. Tout ceci est basé sur un beau ramassis de conneries.
Il n’y a pas forcément besoin de remonter au début du siècle dernier pour le prouver. Certes, Atget a conservé son matériel (même quand celui-ci était devenu désuet) toute sa vie, mais jusqu’à récemment encore, la donne n’était pas la même.
De 1980 à 2001 Nikon a produit et vendu le Nikon F3. 21 ans de bons et loyaux services… (à côté, le 7D de Canon paraît bien ridicule avec ces 5 ans en place sur le marché, durée que l’on a décrite comme une belle longévité à la sortie de son successeur). Imaginez un peu ce que ça représente, si vous l’aviez acheté lors de sa sortie et que vous aviez 20 ans, vous auriez eu le même boîtier, sans que l’on vienne vous casser les pieds avec son obsolescence jusqu’à vos 41 ans passés. Quand même ! Et rendez-vous compte, pendant ces 21 ans, personne n’est mort, la créativité ne s’est pas arrêtée, et la photographie ne s’est portée ni mieux ni moins bien qu’avant chez les Nikonistes.
Monter en gamme
C’est une idée qui découle logiquement de la précédente. On pense qu’en changeant de boitier et en montant en gamme (je ne parle pas pas d’acheter dans la même gamme le nouveau modèle, mais de passer à la gamme supérieure) on y gagnera quelque chose, photographiquement parlant. C’est tout aussi faux. Un appareil, c’est un peu comme une voiture, que vous ayez une Ferrari ou une Fiat Punto, si vous ne savez pas où aller et comment y aller, elle restera au garage. En montant en gamme vous ne pouvez espérer gagner que :
- De la qualité : Oui, on ne va pas se mentir, un appareil à 4 000€ aura un meilleur capteur et produira des images d’une « meilleure qualité » (peu importe comment on le mesure) qu’un appareil d’entrée de gamme. C’est pour ça que les professionnels de l’image en achètent, quand vous devez shooter la dernière voiture de Volkswagen, et que les tirages vont faire le tour du monde, vous avez besoin d’une qualité impeccable. Mais ça ne concerne que… 2% (?) des photographes. Pour le reste du monde, on s’en contrefout. Personne ne tombera jamais en émoi devant la qualité d’une image, tout le monde s’en cogne et personne ne fait la différence en dehors des spécialistes de forum. Pour l’écrire noir sur blanc : si tu n’as rien à raconter, pas besoin de haute qualité.
- Du confort / de l’efficacité : Oui, aussi c’est vrai. Grâce aux évolutions technologiques, un appareil vieux d’1 an sera plus fiable qu’un appareil qui en a 10. Il fera la mise au point plus vite, calculera mieux l’exposition, et le nombre d’images ratées sera sans doute plus faible. Mais est-ce que cela a de l’importance ? Je veux dire, pour vous, sûrement un peu, mais est-ce que l’on se souviendra de votre travail pour cela ? Est-ce que vous avez déjà entendu quelqu’un dire : « Oh oui, Jean-Jacques, c’est un excellent photographe, il est à l’aise avec son boîtier, ça se voit sur les images » ? Non ? Bah moi non plus.
Ces « gains » sont certes existants, mais ils n’ont rien à voir avec votre travail photographique. Et si votre but est de l’améliorer, d’aller plus loin dans votre propos, c’est encore une fois la mauvaise solution. Intéressez vous toujours au « Pourquoi » avant de vous intéresser au « Comment ».
Acheter pour se spécialiser
C’est là la moins ridicule des façons d’acheter. Je peux comprendre que certaines pratiques de la photographie justifient l’achat d’un matériel un peu spécialisé (l’achat, pas le renouvellement). C’est le cas de la macro, et de la photographie animalière, qui par leur distance aux sujets, de très proche à très loin, nécessitent l’achat d’un matériel un peu différent.
Ce que je comprends moins en revanche, c’est l’intérêt artistique des dites disciplines, tant le propos est généralement faible et la technique prépondérante. A part « sauvez la planète », « la nature est belle » et « un univers se cache dans ce qui est petit, c’est magique » elles n’ont jamais raconté grand chose de plus. Mais bon, ce n’est qu’un avis personnel, je digresse.
La légende du feeling
Je sais, je sais, j’avais parlé de trois raisons et je vous en sors une quatrième de derrière les fagots, comme ça sans prévenir. Ce Blog est vraiment fou-fou. En fait, si je ne l’ai pas comptée, parce que c’est une fausse raison tant elle est ridicule. Je l’avais lue avec le sourire sur les forums dédiés aux guitares, je l’ai retrouvée sur ceux liés à la photographie.
On parle parfois de feeling, d’une espèce de besoin de se sentir à l’aise avec son matériel pour pouvoir créer. Autant avec la guitare je pouvais le comprendre, (Fender propose une centaine de profils de manche, et la morphologie de chacun étant différente, il paraît logique d’en adapter la forme à la personne qui l’utilise), autant pour la photographie c’est une blague. Hé ho, les gars, on parle de mettre son œil dans un trou et d’appuyer sur un bouton. Faut arrêter les conneries deux minutes.
Le défi du mois
J’appelle ça pompeusement un défi, mais c’est plutôt une auto discipline que je m’impose et que je vous conseille aussi. Quand vraiment vous souhaitez acquérir quelque chose, que vous avez pesé le pour et le contre, interrogé tous les forums, vendu les 2 reins de Mamie pour le payer : attendez un mois.
Le marché capitaliste mondial ne va pas s’effondrer entre temps, ce que vous voulez sera toujours là après, mais… réfléchir fait parfois du bien. C’est une façon, somme toute simpliste, de prendre du recul par rapport à nos envies, et de juger de leur réelle utilité.
Conclusion
Nous y voilà arrivés. J’espère que vous en avez profité, parce que c’est la seule et unique fois que je traiterai de ce sujet ici. Vous pouvez bien évidemment imprimer l’article et l’accrocher à côté de votre ordinateur, c’est un bon mémo avant de passer à la caisse.
Ainsi, et pour le crier une dernière fois : le matériel ne sert à rien. Ce n’est pas le sujet, on s’en cogne. Achetez n’importe quel boîtier, vraiment, et gardez-le jusqu’à ce qu’il explose. Gardez-le parce que vous le connaissez. Gardez-le, parce que c’est à vous de faire mieux, pas à lui.
Et si vous avez vraiment de l’argent, achetez des livres, tout est dans la bibliographie.
PS : j'ai réglé mon problème, finalement j'ai revendu mon sac à dos, j'en ai acheté un plus gros, mon boîtier rentre dedans, et étrangement je n'ai plus envie de le changer. Easy as ABC.
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