Je dis souvent que ce que l’on déteste en dit autant sur nous que ce que l’on aime. Le problème, c’est que l’on a souvent tendance à ne pas creuser le travail que l’on rejette. C’est assez logique, quand je ne peux pas supporter quelque chose, je ne vais pas passer des heures à l’analyser.
Jusqu’à maintenant.
Je vous parle régulièrement de photographes que j’apprécie pour illustrer les articles, et je me suis dit que ça serait intéressant de faire l’inverse. D’essayer de comprendre pourquoi je n’apprécie pas certains travaux (« détester » est quand même un peu fort), de voir à partir de quand la ligne blanche est franchie, et ce que ça peut m’apprendre sur mes goûts et ce que je recherche en photographie (chez les autres, pour me nourrir, puis créer).
Commençons donc ce que l’on pourrait modestement appeler, un éloge de la haine.
Ps : l'article mélange travaux, thèmes, comportements. Le fil conducteur étant de comprendre ce que je n'aime pas. Et comme vous l'avez sans doute déjà deviné, petits malins que vous êtes, on baigne ici dans la plus pure des subjectivités. Tout ça est certes argumenté, mais n'engage que moi, si vous n'êtes pas d'accord, la boite à commentaires vous supplie de le lui dire. En avant !
Nurbex
Le mot « Nurbex » est un néologisme qui regroupe la photo de nu (« nu »!) et la photographie dédiée aux ruines/lieux abandonnés (le fameux « urbex ») ; bon, clairement, il ne fallait pas sortir de l’ENA pour le trouver, celui-là. Ces deux genres ont en commun leur capacité à attirer des débutants en mal d’inspiration, qui voient en eux une façon rapide soit d’acquérir un style, soit de se rapprocher du sexe opposé (un peu d’honnêteté allez).
Le propos de l’Urbex est très limité, il se résume à : « Whoah c’est glauque », « ça fait post-apocalpytique », et le légendaire « Je m’aventure dans des lieux étranges ». Sérieusement, je n’en ai jamais vu aucun qui développe un autre thème. Je me demande même si on ne peut pas acheter des blogs & les photographies d’Urbex qui vont avec, prêts à l’emploi sur le Darknet.
Le nu, c’est un cas clairement différent, il s’agit d’un style à part entière et qui a vraiment tout mon respect. Mais diantre que c’est difficile ! Il doit s’agir d’un des genres photographiques les plus casse-gueule, tant les frontières entre vulgarité d’un côté, et pornographie de l’autre sont minces. La marge d’action pour créer quelque chose de personnel et d’esthétique est très fine, et peu sont les élus. Mélanger le nu à l’Urbex, c’est clairement une mauvaise idée, la photographie ne fonctionne pas comme les mathématiques, la médiocrité, quand elle est cumulée ne s’annule pas, mais se cumule. Autrement dit, moins et moins, ça fait encore moins.
Là j’ai été gentil, je vous ai passé le plus vulgaire (principalement composé de tétons et de poses lascives), et, à l’inverse je vous laisse avec un magnifique nu de Ralph Gibson, j’adore la composition.
Qu’est-ce que ça dit de ma propre pratique au final ? Que comme je l’avais dit dans l’article « Que photographier ? », je préfère faire quelque-chose de personnel, quitte à ce que ça soit mauvais, plutôt que de suivre une tendance pour remplir un blog. Alors, certes, ça demande de la réflexion, c’est pas le chemin le plus facile, mais c’est le seul à mon avis.
Sébastien Roignant – Soledad
J’entends d’ici les internets crier :
« OH MON DIEU IL CITE QUELQU’UN DIRECTEMENT ! OH LA LA LE MANQUE DE RESPECT SUR LES INTERNETS. TRAÎTRISE ET FÉLONIE ! ».
Bon, on peut y aller ?
J’avais déjà parlé de Sébastien à deux reprise, dans l’article sur YouTube, et celui sur les internets. Sa chaîne YouTube est vraiment excellente, mais j’ai toujours été un peu gêné par le fait que la principale chaîne française consacrée à la photographie ne parle pas de photographie, mais de technique1. Du coup je n’ai pas toujours été très juste avec lui, mais bon, là ça va être l’occasion de remettre les pendules à l’heure.
J’ai parlé du Nurbex en premier, parce que quand j’ai vu la série Soledad (du « Landscape nude » cette fois) j’ai eu un peu la même réaction : « Bon, ok, on mélange des filles nues avec du paysage, et ça refait un genre/série, mouais…« . Mais je me suis complètement fourvoyé, fou que j’étais. Je pense que c’est une série photographique qui a besoin du texte qui l’accompagne pour vivre pleinement. Et en effet, quand Sébastien y explique sa démarche (ici), je suis comme la France à l’été 1939 : conquis. J’aime beaucoup l’idée de remettre l’Homme dans la nature, de requestionner notre place dans le monde, etc. Certes, ce n’est pas le genre de photographie que je préfère, mais c’est du bon boulot. Tu m’as fait changer d’avis, Seb’, et c’était pas une mince affaire.
Plus personnellement (c’est un peu l’objet de l’article) ça me renvoie aussi à moi-même, qui n’aime que peu être en contact direct avec les gens pour ma photographie (même pour la photo de rue je reste assez en retrait). Cela vient d’une part de ma pratique de la musique : j’ai passé des années à gérer des répétitions, des egos, des envies, etc., là où la photographie me permet de travailler en restant indépendant, ça doit aussi être une question de goût personnel. Du coup, je pense que dans mon jugement initial il y avait un peu de « je n’aime pas faire ça, donc je n’aime pas ça« , mais je retiendrai la leçon.
Serge Ramelli
Les vrais lecteurs le savent, l’ont vu venir, ne sont pas surpris. Je ne pouvais faire un article analytique sur ce que je déteste (là, je peux garder le mot), sans en parler. Vous voulez du HDR dégueulasse ? Des cieux violets ? Des ombres à + 100 et des blancs à -100 dans Lightroom (la meilleure formule qui soit) ? Du sharpening ? VOUS VOULEZ DU SHARPENING ? Eh bien gamin, ça va être ta fête.
Serge Ramelli fait principalement des tutoriaux Lightroom et Photoshop, jusque-là rien de bien dramatique, on a tous besoin d’apprendre à s’en servir à un moment. Par contre, là où ça me travaille un peu plus, c’est qu’il fait la promotion d’une photographie creuse, totalement aseptisée, et dont chaque pixel n’a pour but que d’être mainstream, de plaire, de remplir un cahier des charges, et ça c’est vraiment pas mon truc. Parce que le but derrière, c’est de refourguer du preset Lightroom à la « en veux-tu ? en voilà ! ». Sans blague, y a peu d’artistes qui arrivent à satisfaire mon goût à 100%, là où Ramelli arrive à faire l’inverse, et quasiment sans le moindre effort. On dirait même qu’il a créé un nouveau genre, un OVNI inclassable : la photographie putassière. Chapeau l’artiste ! Le plus hallucinant étant que Yellow Corner ait édité un de ses ouvrages A 50€ PUTAIN. Je rappelle qu’à ce tarif-là vous pouvez vous offrir 3 Photo Poche (disons Ander Petersen, Eugène W. Smith, et Harry Gruyaert pour être éclectique)2.
Et l’air de rien, tout ça, ça dit plusieurs choses de ma propre pratique. Déjà, un peu comme pour le Nurbex, il vaut mieux réfléchir un peu que de faire n’importe quoi sous prétexte de trouver un style ou pire, de plaire. Deuxièmement, la photographie n’est clairement pas une histoire de recette sur un logiciel de retouche, vous en voyez le résultat. Et enfin, si vous faites de la photographie3 dans le seul but de gagner de l’argent, je vous conseille plutôt de prendre votre carte chez Les Républicains, ça a l’air beaucoup plus rentable.
J'ai aussi parlé de ce sujet en vidéo.
La photographie macro
A tous mes lecteurs qui font de la photographie macro, je m’excuse d’avance, mais là, c’est l’heure du festival. Allez, démarrons, plus vite on commence, plus vite ça sera terminé.
Je n’ai jamais compris l’intérêt que peut avoir ce style photographique, que ce soit l’intérêt de le pratiquer, ou celui des images produites. Là, vous me direz, ce n’est que mon avis, et que tout le monde s’en tamponne le coquillard. Et vous avez raison. Mais ce n’est pas là que les faits sont d’une violence sans fin et ni appel : prenez toutes les histoires de la photographie (photographie contemporaine incluse) présentes dans la biblio et lisez-les (oui, ça fait un sacré pavé). Vous vous rendrez rapidement compte qu’on n’y parle absolument jamais de macrophotographie. Et ce n’est pas un oubli, ou le résultat d’une concertation improbable entre les auteurs de ces ouvrages. C’est juste que tout simplement, la macrophotographie n’a laissé aucune trace dans l’histoire de la discipline, n’a eu aucun impact, aucun intérêt qui mérite d’être narré.
Une fois qu’on a dit ça, on a tout dit. La discipline peut avoir un intérêt scientifique (c’est je pense son but premier) pour le reste, c’est le néant. En plus de 150 ans de pratique de la photographie, si elle avait quelque chose d’intéressant à dire (sur tous les plans, esthétique, artistique, historique, social, etc.) je pense qu’on s’en serait rendu compte depuis longtemps. A la limite, et j’en parle parce que je le sens venir dans les commentaires d’ici, on peut trouver ces images « belles », mais comme j’en ai parlé dans « La démarche photographique », ce n’est ni un but, ni un propos. Le beau se fane, se périme et est lié à l’époque, bref, n’est pas suffisant pour sous-tendre un projet photographique.
On retombe sur le même comportement que celui que je dénonçais dans le Nurbex, là où ce dernier cachait une absence de réflexion personnelle par l’application de codes (« nu + graffitis »), ici c’est la technique qui fait le boulot, comble le vide créatif. Les seules fois où on entend parler de la discipline, c’est toujours par ce biais là : nouvel objectif qui va encore plus prêt, nouveau flash, etc. A l’inverse, vous pouvez chercher les expositions de macro-photographie à la MEP, je vous souhaite bien du courage. Et c’est là que ça m’apprend quelque-chose sur ma pratique et mes goûts : je ne pense pas qu’une technique (en particulier celle-ci : « photographier de près/en gros plan ») soit suffisante pour porter un projet photographique, ou dire quelque chose de son auteur et du monde. Si je devais hiérarchiser l’importance des éléments de la construction d’un projet, je dirai : Sujet > Traitement / Angle d’approche > Technique, et non l’inverse, ce que la macrophotographie par sa nature impose. Et vous vous en doutez, je ne suis pas du genre à balancer les choses à la légère, s’il y a bien une chose que je fais sur le Blog c’est documenter, creuser, questionner. En macrophotographie, je n’ai rien trouvé qui sorte de ce que je critique ici, qui ait pu me toucher alors qu’à priori je suis assez peu intéressé par cette branche.
Alors, on va encore me taxer d’élitisme et cætera, mais c’est une fois de plus tout l’inverse, je pense juste que l’on peut faire mieux que ça, ça me paraît légitime d’aspirer à plus. Avec toutes les possibilités que le monde vous offre, vous ne croyez pas qu’il y a plus intéressant à photographier que des fleurs échelle 2:1 ? Vous n’avez vraiment rien de plus pertinent à raconter ?
La photographie animalière
Si tout le monde a repris son souffle on va continuer. Bon, là ça va se passer un peu mieux. A la base, je ne souhaitais pas parler de la photographie animalière, mais étant donné que certaines remarques du point précédent pourraient s’y appliquer, je me suis dit qu’un petit paragraphe pour éviter les ambiguïtés ne coûterait pas bien cher.
Le fait est que la photographie animalière est aussi une discipline très dépendante de la technique, tant de sa maîtrise que de la possession d’un matériel adapté (ce qui est déjà personnellement un frein, mais continuons…). Si l’on reprend les mêmes arguments que précédemment, la photographie animalière n’a pas marqué de sa patte (héhé :D) l’histoire de la discipline avec le même impact que le photojournalisme ou la photographie de paysage a pu le faire (là en vrac je pense notamment à Ansel Adams ou à la Mission photographique de la DATAR)
Mais il y a un « mais ». Certes les possibilités expressives sont limités, certes la plupart des photographes se contentent d’une approche descriptive/scientifique (type National Geographic), mais certains photographes tirent leur épingle du jeu avec brio. C’est extrêmement difficile, tant la matière première à disposition est limitée et exigeante, mais c’est possible. C’est le cas de Nick Brandt, une superstar de la photographie animalière ou de Vincent Munier dont j’apprécie beaucoup les images du Grand Nord. On y sent sa passion pour ces terres, ces animaux (il avoue lui-même prendre un peu de temps pour l’observation avant de se décider à sortir son boitier) et surtout, on a froid en regardant les images. Pas facile à transmettre comme sentiment !
Bref, malgré quelques similitudes dans mon discours, à mon sens la photographie animalière n’est pas à mettre dans le même panier que la macrophotographie.
Conclusion
Au final, ne pas apprécier quelque chose, l’analyser, comprendre pourquoi ça nous touche comme ça est tout aussi intéressant que l’inverse. Je me demande d’ailleurs si je ne vais pas commencer à acheter des bouquins qui me répugnent (« La photographie de coucher de soleils pour les nuls »), histoire de continuer l’aventure (enfin, les prendre à la bibliothèque, ça sera financièrement plus logique). A méditer.
PS : A tous ceux que j'ai vexés, je vous invite à relire ce billet : La règle du Game.
PS² : Comme je l'ai dit, je serais ravi de débattre avec vous de tous ces sujets, par contre le premier qui me fait de l'Ab hominem, il gagne sa place dans l'article.
Et pour finir dans le thème, je vous laisse avec A Day to Remember. A plus dans l’bus.
- Dans le sens où il n’y a pas de contenu sur la photographie : analyses d’ouvrages, visites d’expositions, présentations d’auteurs, etc. C’est pas un reproche, juste un constat. Chacun fait sa soupe, s’il l’avait fait, je n’aurais plus de boulot ici ! ↩︎
- D’ailleurs si vous voulez vraiment vous en offrir, allez voir par ici : La bibliographie. ↩︎
- Je parle bien évidemment de photographie personnelle / artistique, je me doute bien que si c’est votre métier, vous ne faites pas ça pour gagner de l’amour et un peu d’eau fraîche. ↩︎
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