Introduction
Si vous vous attendiez à un tutoriel des « 10 lieux à photographier pour retrouver l’inspiration », je crains de faire des déçus. L’idée du présent article est plus de voir comment trouver ce que vous devriez photographier, en partant d’une réflexion que je me suis faite. Etant donné que je suis reparti de zéro lors de l’écriture du blog et dans la construction de ma réflexion sur la photographie, j’ai parfois tendance à secouer le cocotier, à reconsidérer l’intérêt de certains « principes ». Forcément, des articles comme Et j’ai quitté les internets, Pourquoi avant comment et Pourquoi Henri Cartier-Bresson c’est de la pizza, ne plaisent pas à tout le monde, et ça ouvre régulièrement des débats. Et ça c’est génial, j’adore les débats, c’est intéressant, enrichissant, pour les deux parties si la discussion est argumentée et intelligente.
Mais comme on est sur internet, c’est parfois la porte ouverte à toutes les fenêtres. Ce que je vois souvent, et qui m’est aussi arrivé, sont des arguments du type Ad hominem, pour faire simple, on confond une personne avec ses propos, c’est principalement employé par les débutants, ou les « Papy-Bokeh » bousculés dans leur croyances. On va voir un peu plus loin le rapport avec le titre de l’article, mais je vais prendre un exemple concret (en parlant de ma série Graffitis) :
Bref, ces photographies, c’est pas du Doisneau
Et là, je suis embêté : Oui, ce n’est pas du Doisneau, d’ailleurs on en a déjà un de Doisneau, ça serait un peu dommage d’en avoir un deuxième. 😬
Par contre, Brassaï a produit une série sur les graffitis parisiens que Picasso avait beaucoup apprécié, notamment pour son regard sans préjugés (tiens, tiens…). C’était réciproque, Brassaï étant fasciné par la personnalité de l’artiste espagnol.
Vous avez eu vraiment une très heureuse idée de constituer cette collection, car sans la photo le graffiti existe, mais comme s’il n’existait pas. Sans la photo, ils seraient voués à la destruction.
Pablo Picasso à Brassaï.
Diantre ! Flûte ! Sacrebleu ! On arrive donc au cœur du problème : dans notre cas présent, lequel de ces photographes serais-je donc censé suivre ? Qu’est-ce que je devrais photographier alors ?
Suivre ses lubies
Cette question, vous vous la poserez sans doute souvent dans votre parcours photographique, que ça soit votre gentille tata, votre dernier follower, on va se mêler de ce que vous devriez photographier. Parfois c’est constructif, on vous ouvre des pistes, on vous aide à arrondir les angles, à gagner en propos, et parfois non. Mais que faire alors ?
Rappelez vous de cela : la seul chose que vous ne photographierez jamais, c’est vous-même1. C’est ce que je dis parfois, quand on parle de mon travail, avec une pointe d’ironie et de familiarité (que vous me pardonnerez j’espère) :
C’est peut-être de la m****, mais c’est ma m****.
Thomas HAmmoudi
Et dans ces deux lettres se tiennent un monde de différences.
Si vous êtes vous même, vous n’aurez jamais à rougir de votre travail, à vrai dire, 99% des grands photographes2 n’ont fait que suivre leurs lubies. Qu’est-ce qui dans le monde vous parle ? Vous interpelle ? Qu’est-ce que vous voyez ? Qu’est-ce que vous avez à dire ? Il n’y a que peu de liens dans ces questions, avec le fait d’adhérer à un paradigme basé sur des artistes, des styles, des consignes à reproduire (ou non). Les exemples sont très nombreux sur le blog, mais on va en reprendre quelques-uns, ça ne fait jamais de mal.
Christophe Jacrot
Christophe Jacrot est un photographe français. Son projet a commencé il y a 8 ans et nous révèle l’émouvante fragilité des grandes villes de l’hémisphère nord au travers d’un projet unique en son genre sur les intempéries.
Météores est un titre aux sonorités poétiques, mais qui évoque des réalités bien physiques : comme le rappelle le dictionnaire Le Robert, le terme se rapporte en effet à « tout phénomène qui se produit dans l’atmosphère », neige, pluie, tempête…
Je cherche à capter ce qui nous apparaît permanent dans les intempéries, leur part d’éternité.
C. Jacrot
Un sujet en apparence simple, que l’on pourrait imaginé déjà trop traité, mais qui sous l’œil de Jacrot, et avec sa personnalité, prend une tout autre dimension. J’ai vraiment beaucoup aimé l’ouvrage. En plus, vivant en Normandie, la pluie est un sujet sur lequel je suis particulièrement sensible :).
Gabriele Basilico
Gabriele Basilico est un photographe italien. Architecte de formation, c’est sur ce centre d’intérêt qu’il a concentré son travail (qu’est-ce que je vous disais…). Il a gagné sa célébrité grâce à son travail sur Milan. Il m’a principalement marqué pour sa photographie du Tréport prise dans le cadre de son travail pour la DATAR sur la côte normande. Il avait déclaré avoir compris pourquoi il faisait de la photographie, ce qu’il y recherchait en prenant cette photographie. J’aime beaucoup le côté neutre, un peu terne de ses images, avec de la retenue là où d’autres auraient été flamboyants.
Je ne doute pas que si son travail était publié anonymement en ligne, il pourrait très facilement être affublé de critiques sur ses compositions : « trop gris », « ne respecte pas la règle des tiers », « les blancs sont cramés, les noirs bouchés », « déjà vu », « manque de vie », « pas créatif », et j’en passe. Mais cela serait apposer un canevas d’analyse qui ne fait aucun sens, ce sont ses images, on y voit sa personnalité, son sens esthétique, son intérêt pour le bâti. Qu’est-ce qu’il pourrait bien y avoir de plus ?
Conclusion
Je ne peux pas vous écrire quoi photographier, car vous êtes les seuls à avoir la réponse. C’est cette recherche qui doit sous-tendre votre travail. Parfois on peut y réfléchir en amont, parfois on constate cela en aval, des sujets reviennent souvent, des formes, un thème. Bruce Gilden de Magnum a répondu à des questions d’internautes sur Street Shootr. Morceau choisi :
If you only had one piece of advice for someone starting street photography what would it be and why?
It would be that you have to follow what’s in your guts, okay? And you can only be yourself. I couldn’t be anyone else than who I am and you can’t be anyone else than who you are. And no matter what anyone tells you, unless you don’t have a talent at all for photography or street photography, you know, listen to your heart. But you have to be truthful with yourself. That may be the hardest part.
Bruce Gilden
Traduction :
« Si vous aviez un conseil à donner à quelqu’un débutant la photographie de rue, ça serait lequel, et pourquoi ?
Bruce Gilden : Ça serait de suivre ce que vous avez dans les tripes, okay ? Et vous ne pouvez être que vous même. Je ne pourrais jamais être quelqu’un d’autre que ce que je suis et vous ne pourrez jamais être quelqu’un d’autre que celui que vous êtes. Et peu importe ce que l’on vous dit, à moins que vous n’ayez aucun talent pour la photographie, ou la photographie de rue, vous savez… écoutez votre cœur. Mais vous devez être honnêtes avec vous même. C’est sans doute la partie la plus difficile . »
Pour poursuivre la réflexion sur ce sujet je vous conseille ces trois articles :
- Bien évidemment, je ne parle que de vos projets personnels. Si vous faites de la photographie corporate (par exemple), toute cette réflexion n’est plus pertinente. ↩︎
- J’entends par « Grands photographes » les photographes généralement reconnus, qui ont eu de nombreuses expositions, qui ont été édités par de grandes maisons d’éditions (comme Steidl ou Taschen), et ont reçu des prix prestigieux (Fondation Hasselbald, Word Press Photo, Wildlife photographer of the Year, Prix de photographie de l’Académie des Beaux-Arts, etc.) Bien sûr il y a énormément d’exceptions, et certains photographes sont découverts bien après leur mort sans avoir eu tout ça, mais néanmoins ils ont fait preuve d’un grand talent (comme Vivan Maier). Il s’agit d’une définition générale, qui ne peut s’appliquer à tous les photographes, évidemment. ↩︎
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