Avant-propos
Le « Pourquoi » et le « Comment » sont deux notions dont je parle régulièrement sur le Blog, notamment dans ces articles :
Ces notions me paraissent essentielles, et sont les deux piliers de tout travail photographique. Il est temps d’en faire le tour, d’enfoncer le clou tel Ponce Pilate.
Définitions
Les gens demandent toujours comment on obtient certains résultats, rarement pourquoi. La première question est posée par ceux qui veulent faire la même chose, imiter ; et la seconde, par ceux qui cherchent à comprendre le mobile de l’acte, le désir qui l’a motivé. Et si ce désir est assez grand, le moyen de le réaliser viendra de soi. Autrement dit, l’inspiration, et non l’information, est la force qui engendre tout acte créateur.
Man Ray (dans Autoportrait) 1
Pourquoi
Le « Pourquoi » concerne toute la réflexion qui se passe en amont du travail photographique. C’est la partie qui prend logiquement le plus de temps. Pour ma part, même après plusieurs années de photographie, je ne suis pas sûr d’en être sorti, ni de savoir si j’en sortirai un jour. Cela regroupe toutes les questions que vous devez logiquement vous poser avant votre travail, pendant que vous photographiez, et même après, lors de l’édition.
Qui je suis ? Qu’est-ce que je veux raconter ? Pourquoi ce sujet entre-t-il dans ce projet ? Comment dois-je réaliser cette image ? Comme travailler avec ce sujet ? Cette photographie est-elle cohérente avec le reste ?
La liste est quasiment infinie, et sans un début de réponse à ces questions, il est assez périlleux de se lancer. La photographie étant un art, c’est avant tout une expression de soi. Ce travail d’introspection et de recherche représente la plupart du temps où vous vous consacrez à la photographie. C’est assez paradoxal d’ailleurs, car au final, le temps passé l’appareil dans les mains est moindre par rapport à celui-ci.
Comment
Cela regroupe tout ce qui concerne la réalisation de votre projet. Le choix du matériel, de la focale, les paramètres de prise de vue, la retouche (ou l’absence de retouche si c’est votre choix), les éclairages, tout ce qui permet le cliché final, toute cette technique, c’est ça le « Comment ».
Sont concernés
Cet article s’adresse principalement aux photographes amateurs. Nous considérerons comme « amateur » tout photographe ne prenant pas de commandes pour vivre de la photographie. En ce sens, les grands photographes sont à considérer comme des amateurs/artistes vivant de leur art.
Pour les professionnels (soit les photographes prenant des commandes pour vivre de leur photographie), il est évident que la partie « Comment » prime sur le reste. C’est pour cela qu’on les recrute, pour effectuer une tâche dans un cadre précis, en rendant un travail normé et maîtrisé techniquement. Par exemple, on embauche un photographe de mariage pour capturer les instants clés de l’événement, dans un registre bien précis (joie, intimité, célébration, etc.), on ne lui demande pas de réinventer l’histoire de la discipline ou de créer quelque chose d’unique. On ne demande jamais des portraits de soi flous. Non, un client veut un rendu stéréotypé.
Il y a bien évidemment de nombreuses nuances entre ces deux pratiques, mais il s’agit là de simplifier (les articles cités ci-dessus les abordent). Maintenant que tout est posé, entrons dans le vif du sujet.
« Pourquoi » avant « Comment »
Normalement, arrivé à ce point de l’article, vous avez déjà compris pourquoi il est essentiel de penser à la partie « Pourquoi » avant le « Comment ». Cela revient tout simplement à réfléchir avant d’agir. N’étant pas avare en métaphores, je vous soumets la suivante :
Penser sa photographie par le « Comment » c’est comme construire une maison sans plan, et l’improviser en fonction de ces capacités. « Je suis fort en salle de bain ? Très bien, mettons-en trois ! » / « Je viens d’apprendre à faire des sous-sols, je vais en mettre 2« . Au final, il y a plus de chances que votre maison ressemble à un débarras de chez Ikéa qu’à une œuvre architecturale. A l’inverse, si vous dessinez le plan, puis développez votre technique, votre bâtiment ressemblera à ce que vous souhaitiez et sera cohérent.
Réfléchir au « Pourquoi » de votre photographie ne mène pas forcément à une réflexion fulgurante sur le sens de la vie. Cela peut aussi vous conduire à une approche plus instinctive, en choisissant de laisser volontairement une place au hasard. Cela reste différent d’une absence de démarche. C’est l’approche choisie par Jackson Pollock, un peintre cette fois, qui jette de la peinture sur ces toiles. D’une certaine façon il « choisit » ce hasard2. A vous de trouver votre chemin dans tout ça.
Avec ce concept, la technique n’est plus qu’un moyen de parvenir à un but, fixé d’avance. Elle n’a aucune valeur, aucun propos en soi. Comme je le disais dans cet article, cela a un peu de mal à passer auprès de certains photographes qui basent, à tort, leur pratique sur leur maîtrise technique. Si un jour vous voulez vous amuser, demandez-leur quelle est la démarche derrière leur images… Effet garanti !
A-t-on besoin d’un minimum technique ?
Le seul minimum technique, obligatoire, syndical et sacro-saint dont vous ayez vraiment besoin, est de savoir allumer votre appareil. Pour le reste, comme le dit Rineke Dijkstra : « Ce qui est important c’est de connaître les possibilités« . Il faut que vous ayez une vision claire de ce qu’il est possible de faire avec votre boîtier et vos objectifs, et travailler ce qui sert votre propos techniquement parlant. Par exemple, si vous souhaitez faire du paysage : il va vous falloir maîtriser le triangle d’exposition, l’assemblage de panoramas, l’utilisation d’un trépied, etc. Par contre, en ce qui concerne les techniques du portrait, vous pouvez laisser toutes ces notions dans un coin.
Le parcours logique est : Votre projet > maîtriser la technique pour y parvenir > Réalisation. Et non : Maîtriser une technique > l’utiliser> « Où est-ce que je mets ça dans mon portefolio ? Quel est le but de ces images ? ». Partez de vous, toujours.
Illustrations
Voici deux exemples, issus de La photographie contemporaine par ceux qui la font (cf. la bibliographie).
David Lachapelle est un photographe américain. Sa pratique est la plus illustrative du concept évoqué ici : il conçoit ses photographies puis réalise la mise en scène. Il prépare les éclairages, le décor, les modèles avec toute son équipe, une fois qu’il sait où il va. Sa technique ne sert que son propos.
Sebastião Salgado est un photojournaliste brésilien, vivant en France (je précise, on ne sait jamais, vous pourriez le croiser dans le métro). C’est sans doute le dernier monstre sacré du photojournalisme, il est connu pour ses reportages sur la famine, la guerre, les travailleurs, de par le monde. Il photographie en noir et blanc, ses images étant réputés pour leur style grandiose, baroque.
Et quand on lui demande quelle est sa technique, il répond tout simplement « être proche des gens« . A méditer.
Ps : la version vidéo, ci-dessous.
- Man Ray défendait aussi ce concept, c’est dans cet épisode de Regarder voir ! ↩︎
- La réalité est un peu plus complexe. Assurément, la peinture de Pollock est à mille lieues, et de la peinture classique qui accordait une large place au choix réfléchi, et de la peinture surréaliste qui optait pour un choix inconscient et intuitif. La place du hasard dans son œuvre a été sujet de débats. Pollock, lui, ne reconnaissait aucun hasard dans sa peinture. Il maîtrisait les cours d’encre (au moins il le croyait) : « Avec l’expérience il me semble possible de contrôler la coulée de peinture (…) je n’utilise pas l’accident parce que je nie l’accident. ». Interview réalisée par Howard Putzel dans Arts and Architecture, février 1944, in Hans Namuth, L’atelier de Jackson Pollock, Macula, Paris, 1978. ↩︎
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