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Vilém Flusser vous parle de photographie, et ça fait mal

 Introduction

Cela faisait un petit moment que je n’avais pas publié un billet très orienté philosophie. Et pour cause, ce n’est ni le sujet préféré des philosophes (on trouve quand même une bibliographie beaucoup plus restreinte que pour les grands sujets de société, comme l’amour, l’art, etc.), ni un sujet qui est beaucoup vulgarisé (on a droit aux essais, et… c’est tout). Et puis, les grands penseurs de l’histoire de la philosophie (Platon, Socrate, Aristote, Voltaire, Rousseau), ne se sont jamais penchés, dans leurs écrits, sur la photographie.

Pour l’anecdote, j’étais à Madagascar, en janvier dernier, quand j’ai lu le livre dont je vais vous parler ici. J’ai pris une partie de mes notes sur un petit carnet dans le taxi qui m’emmenait de l’hôtel au boulot, et comme à Madagascar il n’y a ni feux de circulation, ni stops, ni rien qui ressemble à un code de la route, c’était un peu compliqué à déchiffrer au retour. Donc voilà, un billet qui vient de l’autre bout du monde.

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Antananarivo, dit « Tana », l’Hollywood de l’Océan Indien

Il sera donc ici question de l’ouvrage suivant :

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Vilém Flusser – Pour une philosophie de la photographie

L’ouvrage est un long essai portant sur la photographie, comme son nom l’indique subtilement. Il se lit plutôt bien, surtout si on le compare à du Hegel, bien que la dernière partie de l’ouvrage, sur le rôle des images dans la société, soit un peu plus ardue. Le fait qu’il n’y ait pas trop de notes de bas de pages, rend la lecture assez fluide.

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Un philosophe à double lunettes est deux fois plus dangereux qu’un standard, ils gagnent 2x plus d’XP par publication, et ils ont +15% de dégâts grâce à leur artefact pipe.

L’auteur est Vilém Flusser, un philosophe d’origine tchèque (Sudètes  représente baby !), et son nom est assez peu connu du public français mais dont l’œuvre est plus célèbre dans les pays de langue germanique, car les médias s’en étaient emparés. Il a principalement vécu dans son pays d’origine, puis au Brésil (dont il obtient la nationalité) et en France. Les essais de Flusser sont courts, provocants et lucides, avec un style ressemblant à celui d’articles de journaux.

Il fait partie des philosophes qui se sont aussi confrontés à la réalité. C’est à dire qu’il ne s’est pas contenté de balancer ses essais comme un gros album de rap, non non, il a été beaucoup sur le terrain. Il a notamment été conférencier à l’école d’Arles, a tenu des chroniques dans Artforum et European Photography, et a été un des curateurs de la XIIe biennale de São Paulo (en 1973). Vivant en Provence, il a aussi participé à plusieurs reprises aux rencontres d’Arles (de 1982 à 1984).

Maintenant que le contexte est posé, nous allons démarrer. Comme l’article que j’avais rédigé sur Barthes, il s’agira principalement de lister et expliquer les principales idées de l’ouvrage, sans pour autant prétendre se substituer à sa lecture assidue et méticuleuse, de préférence dans un endroit calme si vous en croyez mon expérience. Oui, la phrase précédente était particulièrement longue. Bref, on démarre. 

Ps : Vous pouvez retrouver tous les articles parlant de livres sous ce tag : Fiches de lecture, ou via la Bibliographie.

Vocabulaire

Dans son texte, Flusser développe un lexique de termes qui se sont révélés influents et qui continuent à être utiles pour penser la photographie contemporaine, les technologies numériques de l’image et leurs usages en ligne. Il me semblait pertinent de commencer par les présenter, étant donné que l’on va s’en servir (un petit peu) dans le reste du billet. Ces termes sont :

  • le « dispositif » : un outil qui change le sens du monde en opposition aux outils mécaniques qui changent le monde lui-même. C’est tout simple : avec une perceuse, on fait des trous, on change le monde réel. Avec un appareil photo, qui est un dispositif, on change le sens du monde, son interprétation, à qui on fait dire ce que l’on veut.
  • le « fonctionneur » (« functionary » en anglais) : le photographe, ou l’opérateur de l’appareil, qui est contraint par ses règles. Il le fait fonctionner, dans la limite de ce qu’il est possible de faire avec. Par exemple, on ne fait pas de vidéo avec un appareil photo argentique, c’est une limite.
  • le « programme », soit ce que peut l’appareil et la façon dont il le fait. C’est la façon la plus simple de résumer le concept qui se cache derrière ce terme.
  • « l’image technique » : une image produite de façon mécanique, et non directement par la main de l’homme (comme la peinture), c’est comme ça que je l’entends après la lecture de l’ouvrage.

Caractéristiques de la photographie

La première caractéristique de la photographie qu’il développe (c’est un hasard si c’est la première de l’article) concerne la lecture des images. En effet, bien que l’on puisse « lire » une image d’un premier coup d’œil, cela n’est qu’une lecture superficielle. Pour décrypter entièrement une image, l’œil doit rentrer dans la composition, petit à petit, en analyser les éléments et leurs interactions. Il appelle cela le scanning. Parce qu’en anglais ça pétait plus pendant les dîners. L’élément intéressant de son explication concerne le sens des éléments de l’image, en effet, une photographie est plurivoque et non univoque. Il y a au minimum deux intentions dans une image, celle de la personne qui l’a créée, et celle de la personne qui la regarde.

Apple fruit - Et si nous donnions à Louis Faurer la place qu'il mérite ? - Thomas Hammoudi - Fiches de lecture
Des pommes (y avait vraiment besoin d’une légende ?)

Ainsi, si l’on prend l’exemple, tout bête ci-dessus, le photographe a photographié une flopée de pommes, et c’est sans doute ce qu’il cherche à représenter. Mais le spectateur pourra y voir une critique de la société de consommation (toutes les pommes sont uniformes, ce qui correspond aux standards industriels), une critique sociale & morale s’il est religieux (la pomme rouge que croque Ève dans la Bible est ici démultipliée), ou juste un souvenir d’enfance (si sa mamie faisait de bonnes compotes). Bref, il est dans la nature de toute photographie de porter à minima deux sens, et le photographe n’a la maîtrise que d’une infime partie de ça.

Autre idée intéressante, Vilém Flusser considère que la photographie est en 4 dimensions. C’est à dire, les 3 dimensions de l’espace (hauteur, largeur, et profondeur) qui sont représentées dans l’image, ainsi que le temps, qui en est une composante essentielle. Ce n’est même pas une idée directement liée à la vitesse d’obturation (qu’elle soit d’1/1000e ou de 50 secondes n’est pas vraiment le sujet), mais plutôt au message qu’elle porte. Prenons les trois photographies ci-dessous :

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Photographie – B. Gilden
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Photographie – D. Almond
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Photographie – R. Depardon

La première photographie, de Bruce Gilden,  représente un instant assez rapide. A la lecture de l’image, on devine que les deux femmes ont vu apparaître le photographe devant elles, elles en sont surprises, cela n’a pas duré des heures. Inversement, Darren Almond photographie des paysages d’Angleterre à la lumière de la pleine lune (c’est le projet de son livre Fullmoon), l’image représente un moment qui a duré plusieurs heures. Et, encore une fois, ce n’est pas lié directement au temps d’exposition : l’image de Raymond Depardon doit avoir un temps d’exposition assez court, mais elle fait aussi référence à un « temps long ». Ce qui est tout l’objet du livre Errance dont elle est issue.

La magie de la photographie

Alors, soyez rassuré, ni Vilém ni moi-même n’allons dans cette partie vous pondre un concept pseudo-mystique à base de couchers de soleil, de portraits à pleine ouverture, et de « je sublime la vie grâce à mon regard ». Il y a des chaînes YouTube qui font très bien ça (comme celle-là, au hasard).

Non, l’idée que présente Vilém Flusser est beaucoup plus subtile. Il considère que la photographie est magique, car elle présente une forme d’éternel retour au même, qui s’oppose à l’histoire, une science, qui elle ne se répète pas. Il va falloir s’accrocher un peu, mais pas de panique, c’est un concept assez simple à intégrer si on prend un exemple basique : dans le monde réel (historique) le lever du soleil pousse le coq à chanter, dans le monde de l’image, les deux (le coq et le soleil) renvoient l’un à l’autre. L’un signifie l’autre et inversement : le soleil qui se lève pousse le coq à chanter, le coq qui chante induit que le soleil est en train de se lever.

Le symbolisme du coq - Et si nous donnions à Louis Faurer la place qu'il mérite ? - Thomas Hammoudi - Fiches de lecture
L’illustration par le kitsch

Pourquoi est-ce magique ? Parce que cela s’oppose diamétralement à la science, à l’une des bases fondamentales de la physique : la causalité. Une conséquence suit toujours une cause. Si je lâche mon stylo, il tombe sur le sol. Il ne peut pas tomber sur le sol tant que je ne le lâche pas. Il y a un rapport de cause à effet, dans un sens unique, entre ces deux événements. Comme la photographie casse cette causalité, et donc un des principes fondamentaux de la physique/science, elle est magique. En effet, le principe même de la magie, étant de fonctionner d’une façon s’opposant à toute forme de rationalité. Par exemple, quand Harry Potter vole sur son balai, c’est de la magie car il n’y a aucune loi scientifique qui pourrait expliquer cela.

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Dioramas – H. Sugimoto

Bref, prenons la photographie de Sugimoto ci-dessus. Dans le monde réel (et historique) la mort d’un animal, attire les vautours. Il y a un lien de causalité direct de l’un à l’autre. Dans cette photographie, ce lien est cassé : les vautours sont là autour du cadavre de l’animal. Leur présence signifie sa mort, la symbolise même, et la mort de l’animal induit la présence des vautours. Il y a bien une forme d’éternel retour au même, rendant cette photographie… magique. 

Nature de l’appareil photographique

Flusser aborde dans son essai l’appareil photographique et ses caractéristiques, c’est sans doute la partie que j’ai préférée. J’ai trouvé qu’il avait le talent de mettre des mots et des concepts sur des choses que l’on a tous pressenties, sans pouvoir les exprimer aussi clairement.

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Pour lui, l’appareil photo, est un objet structurellement complexe, mais fonctionnellement simple. Cela signifie qu’il y a tout une tartine d’électronique, d’optique, d’informatique ou de chimie pour le faire fonctionner (sa structure est complexe), mais que globalement, il faut tourner des molettes et appuyer sur un bouton pour le faire fonctionner (il est fonctionnellement simple). En cela, il diffère fondamentalement des échecs par exemple, qui sont un jeu structurellement très simple (de modestes pièces de bois sur une planche) mais de fonctionnellement très complexe (on peut passer une vie à chercher de nouveaux coups).

En revanche, en photographie comme au jeu d’échecs, on cherche en permanence de nouveau coups, pour aller plus loin, apprendre, progresser. Il y pose cependant une nuance : face à l’appareil, l’amateur s’émerveille de la complexité structurelle de l’appareil et ne cherche pas de nouveaux coups. Alors, dans ce contexte je ne suis pas d’accord avec l’usage du terme amateur, comme de quelque chose de péjoratif : être amateur c’est très bien aussi (voir ici). Cependant, il traduit justement une certaine réalité : beaucoup de personnes s’émerveillent du fonctionnement de l’appareil, mais ne cherchent pas à le pousser plus loin dans l’usage qu’ils en font. D’où le fait qu’il y a 10 fois plus de forums sur le matériel, que ceux qui sont consacrés à la recherche et au travail photographique.

L’appareil fait ce que veut le photographe, et le photographe doit vouloir ce que peut l’appareil.

Vilém Flusser

Concernant cette recherche de « nouveaux coups », pour Flusser l’appareil photographique dispose d’un nombre de possibilités fini. Ainsi, les photographies sont soit informatives, soit redondantes. C’est à dire que soit une photographie nous apprend quelque chose de nouveau (un journaliste photographie un événement et diffuse ses images) soit elles sont redondantes (une photographie de paysage de montagne ne nous apprend rien de nouveau sur la montagne). En conséquence, si la photographie est informative, il existe une possibilité de moins, une photographie de moins à faire. Il existe donc, implicitement, une sorte de recherche d’information par la transformation du monde en photographie.

C’est une position assez radicale, bien qu’elle repose sur une certaine réalité. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce n’est pas parce qu’une photographie est redondante qu’elle est mauvaise ou inintéressante. Elle redit juste quelque chose autrement. D’ailleurs, il ne parle que d’une photographie seule, mais à l’échelle d’un projet, c’est assez différent. C’est assez normal au final, on le constate déjà dans la littérature : il y a des histoires que l’on nous rabâche depuis des siècles (elles sont donc redondantes) mais pas moins intéressantes pour autant. Par exemple, Le Seigneur des Anneaux et Harry Potter racontent la même histoire : un personnage faible et seul contre un ennemi qui voit en lui, auquel il est lié, et qu’il doit défaire en traversant de difficiles épreuves. J’ai quand même adoré les deux.

Images et histoire

L’invention de la photographie constitue une rupture dans l’histoire qui peut seulement être comprise par rapport à cette autre rupture historique qu’est l’écriture linéaire.

Vilém Flusser

La citation précédente constitue l’introduction parfaite pour cette sous-partie. Dans son texte, Flusser place la photographie comme étant, d’une certaine façon, tant une rupture (car un changement) qu’une continuité (car elle en reprend des fonctions) de l’écriture. C’est une idée que j’ai trouvée assez intéressante, et à ma connaissance, il est le seul à l’avoir développée.

En effet, selon lui, l’une des caractéristiques de l’histoire est l’opposition entre l’écriture et l’image. Jusqu’à l’invention de la photographie, on déchiffrait des textes pour découvrir les images qu’ils signifient. Par exemple en lisant cette phrase « La voiture bleue devant la maison », eh bien, sans surprise, votre esprit forme l’image d’une voiture bleue devant une maison. Je n’ai pas précisé le modèle ni la marque d’ailleurs, faites-vous plaisir sur ce point. Bref. Le texte, notamment au Moyen-Âge avait une très grande importance, car il régulait le monde. Flusser parle de textolâtrie (rien à voir avec les SMS) : le texte définissait la vie dans son ensemble (via les textes religieux par exemple), organisait la vie quotidienne dans les monastères, les rapports de possession et hiérarchiques, etc.

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Image d’un texte

L’émergence de l’image (puis de la photographie) change ce rapport et constitue en cela une rupture, désormais, c’est l’image qui illustre le texte, et non l’inverse, dans le sens où l’on déchiffre les images et les signes qu’elles contiennent et non plus le texte comme précédemment. D’ailleurs, autre différence, pour le texte, l’écriture impliquait la lecture. On écrit sachant qu’on est lu, ce qui n’est plus le cas de l’image. Certaines sont simplement regardées, et non décryptées/analysées.

Désormais, écriture et image se nourrissent et peuvent se contenir l’une l’autre, et nous y sommes habitués. Nous sommes mêmes habitués à leur changement régulier, nous serions très surpris si ça n’était plus le cas : imaginez votre journal quotidien toujours avec la même image en couverture, toutes les publicités pour un même produit avec la même photographie, etc.

Photographie et peinture

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Metropolitan Museum of Art #5 – Laurent Breillat

Comme nous venons de le voir, les idées étaient auparavant interprétées du point de vue de leurs formes écrites, et la photographie proclame des nouvelles formes de perception de l’expérience et du savoir.

Dans ce contexte, Flusser affirme que les photographies sont à comprendre de manière strictement différente des « formes d’image pré-techniques », entendez par là : tout ce qui n’est pas issu d’un procédé mécanique, donc les gravures, estampes, dessins, etc. Ainsi, il oppose les photographies à des peintures qu’il décrit comme des images qui peuvent être « décodées » de manière sensible, car l’observateur est capable d’interpréter ce qu’il voit comme un signe plus ou moins direct de l’intention du peintre. A l’opposé, même si la photographie produit des images qui semblent être des « représentations fidèles » des objets et événements, elles ne peuvent pas être « décodées ». Le cœur de cette différence, pour Flusser, a sa racine dans le fait que les photographies sont produites à travers les opérations d’un dispositif. Et le dispositif photographique opère d’une manière qui n’est pas immédiatement comprise ou façonnée par son opérateur. Par exemple, il décrit l’acte de photographier de la manière suivante:

« Le geste du photographe comme recherche d’un point de vue sur une scène prend place au travers des possibilités offertes par le dispositif. Le photographe se déplace au sein de catégories spécifiques de l’espace et du temps par rapport à la scène : proximité et distance, vues frontales et de côtés, exposition courte ou longue, etc. (…) Ces catégories sont un a priori pour lui. Il doit « décider » à travers elles : il doit appuyer sur le déclencheur. »

Vilém Flusser, Philosophy of Photography, vol. 2,‎ 2012

Pour simplifier, la personne qui utilise l’appareil photographique peut penser qu’elle règle les contrôles afin de produire une image montrant le monde de la manière dont elle veut qu’on le voie, mais c’est la nature pré-programmée de l’appareil qui fixe les paramètres de cet acte et c’est le dispositif qui façonne le sens de l’image finale. Étant donnée la nature essentielle de la photographie dans tous les aspects de la vie quotidienne, la nature programmée du dispositif photographique façonne l’expérience de regarder et d’interpréter des photographies aussi bien que la plupart des contextes culturels dans lesquels nous produisons puis analysons ces images.

Valeur de la photographie

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Money, money, money.

Pour Flusser, la photographie ne dispose que de 3 canaux de diffusion : artistique, politique et commercial. Cependant, elles n’ont pas de valeur intrinsèque, ce qui est typique de la société d’information post-industrielle. En effet, les photographies diffèrent des objets, comme les chaussures par exemple. Celles-ci portent une valeur, qui s’use avec le temps et l’usage qu’on en fait. Ce qui n’est pas le cas des photographies, par définition reproductibles à l’infini, sans rien perdre de leur intégrité et à moindre coût, sinon gratuitement.

Il note aussi un certain déclin du concept de propriété : désormais, le pouvoir appartient à celui qui a produit l’information (le photographe) et non à celui qui possède l’objet (un tirage de la photographie), cette dernière, comme nous l’avons vu, n’ayant plus grande valeur désormais.

Conclusion

Pour résumer l’article, le philosophe Vilém Flusser a analysé l’émergence de la photographie comme emblématique d’un âge nouveau de la civilisation. Ce nouvel âge se voit déterminé par l’usage des appareils, c’est-à-dire des dispositifs fonctionnels programmés produisant des images techniques, mettant ainsi fin à la prédominance de l’écriture linéaire. Cette nouvelle culture découlerait d’une vision plus directe de la réalité sous forme d’images (photographies, films, vidéos) issues du fonctionnement des appareils. Or de telles images techniques, loin d’être spontanées, résultent de calculs numériques qui font exister et fonctionner les appareils de visualisation, des « black box », comme les désigne Flusser. Les programmes de ces appareils détermineraient les conduites individuelles, et les possibilités créatives. Le traitement automatisé et combinatoire de l’information serait donc devenu la loi sous-jacente de la nouvelle visualité.

Au final, j’ai trouvé l’ouvrage très intéressant, et enrichissant dans sa façon de penser et de décrire la photographie. Il est relativement peu connu, ce qui est dommage, je ne l’ai jamais vu mentionné dans d’autres lectures, au contraire de Barthes par exemple qui est souvent cité par ses pairs. La lecture de l’ouvrage est assez fluide (un essai, sans notes de bas de pages), mais quelques concepts restent encore un peu obscurs dans mon esprit après sa lecture (les « catégories » notamment, je comprends le sens qu’il donne à ce terme quand il l’emploie, mais je serai incapable d’en donner une définition). Bref, lisez des livres, prenez soin de vous, et si vous avez des conseils de lecture sur la philosophie de la photographie, n’hésitez pas !


Pour aller plus loin :

  • Brassat, E. (2009). L’intrusion de l’image technique dans le réel à l’âge des appareils. Essaim, 23,(2), 37-50. En ligne (URL).
  • Lenot, M. (2014). Jouer contre les appareils : pour une définition de la photographie expérimentale,Jouer contre les appareils. Publications de la Sorbonne. En ligne (URL).
  • Moles Abraham, A. (1992). Vilém Flusser, un philosophe des Sudètes. In: Communication et langages, n°91, 1er trimestre 1992. pp.112-114. En ligne (URL).

Et pour écrire ce billet, j’me suis noyé sous cet album :


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Commentaires

30 réponses

  1. Avatar de Miguel Moquillon
    Miguel Moquillon

    Bonjour Thomas,

    Ce commentaire pour proposer une correction : même -> mème dans la magie de la photographie :
    « une forme d’éternel retour au même » -> « une forme d’éternel retour au mème »

    Sinon, j’ai bien apprécié l’article et, au travers de ta synthèse, le discours de Vilém Flusser est très intéressant, notamment au sujet du dispositif et de son impact sur l’image produite : celle-ci n’étant pas seulement la résultante des choix du photographe mais aussi du programme du ou des dispositifs (si on compte ceux de visualisation).

  2. Avatar de marie
    marie

    Ola Thomas,
    Je viens de découvrir Flusser et je n’ai, pour l’instant, eu l’occasion que de lire des analyses ou des résumés de ses thèses. Je n’ai donc pas encore lu le livre dont tu parles, mais je peux peut-être t’aiguiller (toi ainsi que celles et ceux qui le souhaiteraient) vers des ressources complémentaires autour de son oeuvre.
    Tout d’abord, le site « Flusser Studies » -> http://www.flusserstudies.net/
    Dont le papier de Marc Lenot -> http://www.flusserstudies.net/sites/www.flusserstudies.net/files/media/attachments/marc-lenot-flusser-les-photographes-les-photographes-flusser.pdf

    Mais également son ouvrage « Gestures », dont j’ai cru comprendre qu’il était un bon complément à ses thèses sur la photographie. Attention, il ne parle pas que de photographie dans « Gestures », mais aussi de plein d’autres choses.
    https://jpgenrgb.files.wordpress.com/2017/07/338252667-flusser-gestures.pdf

    Merci pour le récapitulatif

  3. Avatar de Albaut
    Albaut

    Pour ce qui est de la photo : une flopée de pommes ,j’ai pensé à autre chose ,j’y es vu la pub :: 5 fruits et légumes par jour .malheureusement plus de légumes !donc on met plus de pommes.
    Blagues à part .mais si! ton stylo peut tomber sans que tu le lache.Si toi tu tombe .cest la réaction en chaîne.

  4. Avatar de gérard Barré

    Bonjour, j’ ai un problème avec l’ amalgame film/photographie.
    Bien qu’ il s’ agisse d’ image, le premier déroule, la seconde fige.
    Et que dois-je faire de l’ hyperréalisme et/ou des boites de soupe du Pop Art ?
    L’ appui sur le déclencheur n’ est peut-être plus le seul moyen de productions « techniques »… En fait, je ne lirais pas ce livre, j’ ai déjà assez de mal à comprendre ce que je fais…

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Quelle analogie ?
      Et c’est l’inverse, lire, ça permet souvent de comprendre ce qu’on fait haha.

      1. Avatar de gérard Barré

        Je voulais dire : « à comprendre ce que je fais », … en photographie.
        Bien des images, certaines des miennes comme de beaucoup d’ autres, de maîtres aussi, sont le fruit du pur hasard, d’ un déclenchement intempestif, d’ une erreur parfois, d’ une décision tout à fait arbitraire.
        Un peu comme ce qui prévaut dans l’ écriture automatique où le « déclencheur » s’ efface, ou est carrément absent.
        Le hasard donne lieu a des révélations uniques, hors de ce sacro-saint diktat de la série, (quelle foutue mode qui ne sait plus conçevoir une photo que dans un cheminement, une histoire, un fatras d’ explications), sans lequel une image ne vaudrait pas par elle-même, elle seule. Ce qui est faire bien peu de cas d’ elle… Ainsi j’ ai vu, de mes propres yeux vu, à Arles cet été, un mur de légendes et de texte relatifs à des photos pris d’ assaut alors que les photos en question n’ étaient même pas regardées. C’ était le comble de l’ absurdité. Depuis, je suis tellement conforté dans mon habitude de ne surtout pas accompagner du moindre texte mes photos que je me contente du minimum syndical : date, lieu. C’ est si bien dit :  » La photo c’ est magique ». D’ autant plus si le magicien n’ a pas la main…!

        1. Avatar de Thomas Hammoudi
          • C’est bien ce que j’avais compris : lire permet de mieux comprendre notre propre pratique.
          • Non, pas « bien des images… sont le fruit du pur hasard ». C’est extrêmement réducteur. Il y a un choix à la prise de vue (la décision de déclencher et de cadrer) et à l’édition. Tout cela ne se fait pas par hasard. Sinon, qu’est-ce qui différencierait un Ronis d’un Meyerowitz ?
          • Si on s’ennuie à construire des séries (je préfère « projet »), ça n’est pour rien. On n’a jamais lu un livre d’une seule page. C’est beaucoup mieux pour développer un propos sur le long terme et de façon plus fouillée. Mais ça n’empêche pas les pratiques différentes, comme celles de Gursky qui doit faire 8 photos par an (selon ses dires), un peu comme des tableaux.
          • Ce que vous décrivez est issu de l’émergence de l’art conceptuel dans les années 70, qui a mis comme (son nom l’indique), le concept au cœur de l’art. Encore une fois, ça n’est pas la seule façon de faire. Ni la mieux, ni la moins bien. C’est vous qui décidez de la quantité de texte à mettre, en fonction de votre envie de guider le spectateur ou de se faire sa propre idée du sujet. Ce que vous avez vu à Arles n’est qu’une approche parmi d’autres
          1. Avatar de gérard Barré

            Merci d’ avoir bien voulu répondre point par point ; je n’ en dirais pas plus pour ne pas vous contrainre à perdre du temps, autrement mieux utilisé à nous fournir d’ autres approches de la photographie autrement plus vivifiantes que les dogmes du politiquement corrects. Cependant, concernant le dernier point, je constate constamment (…) que sur le s réseaux, une photo lourdement « textuée » à très nettement la faveur des « observateurs » ; pourtant seulement enfermés dans un état de simples lecteurs à la recherche d’ explications rassurantes sur leur degré de capacité à s’ émouvoir d’ une image…
            Pour paraphraser :  » Ne rien dire et laisser voir ».

          2. Avatar de Thomas Hammoudi

            Gérard, il ne faut pas prendre les réseaux sociaux comme exemple.
            Ils ne valent rien, c’est souvent l’avis de la masse d’amateur qui y font les choses, pas celles d’experts.
            Allez dans des expos, ou consultez quelques livres d’art, vous verrez qu’il n’y a pas de vérité à ce sujet.

          3. Avatar de monica
            monica

            Je me suis posé la même question et j’ai trouvé une tres bonne approche de la part de Alec Soth dans ses videos Pictures and Words. Les mots peuvent ruiner une photo , mais pas toujours .

  5. Avatar de Marc Lenot
    Marc Lenot

    Merci de m’avoir cité. Très bon résumé. Si vous voulez approfondir : http://photographie-experimentale.com/

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      De rien 🙂

      C’est mis dans ma to-read list du coup.

  6. Avatar de Marcu

    ouah! découverte de cet hommes . lu très vite ce matin …je reviendrai .

    Ps la photo de Depardon est un soleil couchant..peut être très « blanc  » mais couchant si j’en crois le réverbère ..lol

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Cool, content de t’avoir fait découvrir quelque-chose !
      Quel œil de Lynx, je n’avais pas vu, je corrige 🙂

  7. Avatar de jpgmsa

    Je dois avouer que je n’ai pas bien compris le paragraphe sur les vautours (en passant, il s’agit de la photo ci-dessus et non ci-dessous… enfin, sur mon écran). En quoi le lien de causalité est-il cassé ? L’animal est mort, les vautours sont présents et s’en repaissent… 

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      C’est bon, c’est corrigé, bien vu 😉

      En fait, c’est un peu complexe d’illustrer le propos de Flusser d’images, étant donné que lui-même ne le fait pas. Ceci étant dit : ce que tu décris se passe dans la vraie vie.
      L’animal meurt -> les vautours s’en repaissent. C’est l’un, puis l’autre, dans un lien de causalité (somme toute normal !).
      Dans la photographie, ce que dis Flusser, c’est que ça marche dans les deux sens : tu sais que l’animal est mort parce que tu vois des vautours et inversement, cela cassant le lien direct de causalité, c’est donc magique.
      Tu ne vois pas l’animal mourir puis les vautours arriver sur l’image, elle est fixe.

  8. Avatar de Jon Snow
    Jon Snow

    Bonjour,

    Pas certain d’avoir tout bien assimilé, en tout cas pour moi l’image a précédé l’écriture et non l’inverse, et les peintures rupestres par exemple constituent des images bien plus anciennes que l’apparition de l’écriture… Le concept de rupture entre écriture et photographie me semble donc moins évidente pour moi que pour le philosophe Flusser^^

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Et il n’y a qu’une seule réponse à ça :il faut lire le livre

  9. Avatar de F. Mendes
    F. Mendes

    Intéressant. Plus besoin de lire le livre…
    Merci.

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Ha non, au contraire, ce n’est qu’un résumé, qui plus est subjectif. Rien ne vaut la lecture de l’original.

  10. Avatar de Julien B.

    Passionnant ! Merci pour la découverte !

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Content que ça t’ai plu !

  11. Avatar de Aurélien PIERRE

    Ok… j’ai rien compris 😀 Je vais essayer de trouver le bouquin, je pense pour le coup que c’est trop résumé 😉

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Haha. Tu m’en feras un résumé !

  12. Avatar de Jean-Claude
    Jean-Claude

    La photo de Raymond Depardon n’a pas été faite à midi. L’ombre du lampadaire s’ etire longuement au bas de la photo. Si le soleil avait été au zénith, il y aurait eu peu d’ombre au sol !

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Ha oui ! Bien vu ! Je laisse l’article tel quel, ça sera là preuve incontestable de ton œil de lynx !

  13. Avatar de GAUTHIER
    GAUTHIER

    Bonjour Thomas
    Merci de nous avoir fait connaitre ce point de vue et merci pour le décryptage.
    J’ai bien aimé l’allusion à le chaine youtube » qui sublime la vie grace à son regard » MdR !!!

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Moi qui pensait avoir été discret… Haha.

      1. Avatar de GAUTHIER
        GAUTHIER

        Menteur !!

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