Quand j’ai commencé la photographie, je suis entré par la grande porte, celles des grains, de la chimie et des abréviations improbables. J’ai démarré avec un appareil argentique, un vieux et rustique (mais néanmoins pimpant) Nikon F-401 que mon père m’a donné, en avance sur mon héritage. C’était en 2007. En 2007, on faisait de l’argentique non pas pour être hipster-stylé-insta-compatible, mais simplement pour affronter une douce réalité : la pauvreté. Je venais de commencer mes études et c’était un moyen assez économique de commencer la photographie (qui plus est en plein format, à l’époque où le seul boîtier numérique FF était le Nikon D3, qui se vendait pour 4999$. Soit un peu moins de 2 ans de bourse. Une broutille).
Je suis passé au numérique quelques-mois après (pouvoir déclencher beaucoup, quand on débute, c’est pratique), mais même si je ne me fais pas l’apôtre de l’un plus que de l’autre (les deux sont complémentaires comme nous allons le voir) l’idée de revenir aux pellicules est toujours restée dans un coin de ma tête. Je m’y suis finalement remis en 2017, je n’y vois que des avantages (quasiment) et c’est de ça dont je dois vous parler aujourd’hui.
Parce que oui, si j’ai démarré cet article sous l’angle du matériel, ça ne sera pas principalement le sujet (même si on va en parler un peu). Il s’agira plus de voir en quoi la pratique de l’argentique peut vous aider d’un point de vue créatif, dans votre rapport aux autres, au temps et à la culture (si, si).
Mais tout d’abord : pourquoi est-ce que je dois vous en parler ? Eh bien, parce que cet article est intéressé. Dans mes autres billets, je présente des idées, livres, lectures, ou défends mon point de vue, mais ici, il est dans mon intérêt que vous vous mettiez à l’argentique. Pourquoi ? Pour la simple est bonne raison que plus on est nombreux à faire vivre cette pratique, plus longtemps les laboratoires seront ouverts, les appareils maintenus en bon état par leurs propriétaires, les pellicules seront produites et se vendront, et la connaissance maintenue. Bon après, comme vous allez le voir, c’est aussi dans vôtre intérêt, bien évidemment, et pas qu’un peu.
Ps : dans cet article, j'ai invité Richie Lem', photographe de rue et éternel compère à vous parler aussi d'argentique. Ses interventions sont en bleu.
En bleu ? D’accord ! Je viens ici m’adresser aux nombreuses et nombreux photographes qui lisent Thomas, mais pas uniquement. Vous n’êtes pas photographe ? Du tout ? Même avec votre smartphone ?
La période estivale étant bien annoncée par la récente canicule, vous sentez sans doute les vacances approcher. Et, en plus de trouver un ou deux romans de plage à la librairie du coin (ou sur Amazon, mais c’est moins classe quand même) si vous vous mettiez à la place de l’auteur et non du spectateur ?
Que vous reste-t-il qui prend peu de place, qui soit facile à apprendre, pas trop cher et pratique ? La photo !
La base
Vous me connaissez, je ne résiste jamais à l’idée de commencer n’importe quel contenu par une bonne vieille définition, et celui-ci ne saurait faire exception. Prenons dont le temps de définir de quoi on parle, quand on parle de photographie argentique. Car même si j’ai bien conscience que les plus vieux dans l’assistance (comprenez « nés avant 1990 ») connaissent déjà ce procédé, je vais faire un rappel pour tous les débutants. Ainsi selon Wikipédia, la photographie argentique c’est :
La photographie argentique est une technique photographique permettant l’obtention d’une photographie par un processus photochimique comprenant l’exposition d’une pellicule sensible à la lumière puis son développement et, éventuellement, son tirage sur papier.
Wikipédia
Le terme « argentique » s’est répandu au début des années 2000 quand le besoin s’est fait sentir de différencier la photographique classique, sur pellicule, de la photographie dite « numérique » en plein essor.
Emprunté au vocabulaire de la chimie, il fait référence aux minuscules agrégats d’argent qui constituent les images produites selon ce procédé.
Donc pour résumer avec une prose un peu moins barbare, vous prenez du film photographique (il y en a de toutes les tailles, du 35mm vendu en bobines qui correspond au « plein format » jusqu’au 5×8 pouces) :
Puis vous le mettez dans l’appareil correspondant, vous l’exposez à la lumière (cette partie-là, ça fonctionne comme avec du numérique) et vous le développez pour voir vos photographies, avec l’aide de liquides chimiques. Ensuite, au choix, vous pouvez le tirer ou le scanner pour voir et conserver vos images.
Si le procédé vous intéresse, j’ai expliqué le mien en détails dans cet article :
Les sources
Si vous voulez creuser un peu plus loin le sujet (sur les aspects techniques et matériels dont il ne sera que très peu question ici), je vais vous livrer ma petite liste de sources personnelles. C’est comme ça, c’est la maison qui offre.
L’argentique n’est pas mort, loin de là. Il y a une vraie communauté, française et étrangère (principalement anglo-saxonne) qui fait vivre la pratique. On y trouve plein de ressources sur les pellicules, la chimie, les appareils ou la pratique plus générale. Vous pouvez donc consulter :
- http://apprendre-la-photo.fr : Parce que les bases de la photographie sont les mêmes, et qu’il faut aussi les maîtriser (d’autant plus que vous êtes limités sur la quantité de photographies que vous pouvez prendre, chaque erreur se paie, littéralement). Donc si vous partez totalement de zéro, commencez par ça.
- Il y a plein de contenus sur le sujet sur YouTube, je vous ai listé les chaînes que je suis ici.
- Si vous voulez acheter du matériel à pas cher, qui détonne et sort des sentiers battus, je vous conseille fortement le blog de Benber, spécialiste du sujet.
- Enfin, si vous maîtrisez la langue de Shakespeare, il y a deux blogs que je lis : 35mmc et Emulsive.
Bien évidemment, si vous avez d’autres contenus à me suggérer et qui publient régulièrement sur le sujet, n’hésitez pas à utiliser la boîte à commentaires pour me les conseiller.
Vous voyez ? Tout existe en ligne pour vous faciliter le travail, alors n’ayez pas peur de vous lancer. Vous avez forcément une petite envie de créer un petit quelque chose, de ne pas laisser du vide derrière vous. Sérieusement, qui sur son épitaphe rêverait de laisser aux générations futures un simple “A regardé toutes les saisons de Netflix entre 2015 et 2027” ? Il ne faut pas croire que les photographes savent à la naissance qu’ils seront photographes. D’ailleurs à part l’oreille absolue qui est peut-être innée, et n’aide pas forcément à jouer de la musique, je ne vois pas de « bonus à la naissance » dans le domaine de la photographie : tout le monde est égal.
Un autre avantage, c’est l’indépendance aux autres. Vous pouvez bien sûr rejoindre d’autres photographes si cela vous chante, mais faire de la photo seul dans son coin c’est tout à fait possible. Avouez que c’est plus simple que de faire du polo, de réaliser un blockbuster, ou de chorégraphier un opéra.
Enfin, le prix du loisir peut être un repoussoir, mais là encore, tout est question de relativité. Nous parlerons de prix après, mais sachez que si vous fumez un paquet par jour, en réduisant d’un quart vous pouvez déjà pratiquer la photo. Si vous buvez 6 pintes de bière par semaine dans les bars, en n’en buvant que 4 vous pouvez également pratiquer la photo (sinon, vous achetez 10 maximators à la supérette et votre budget explosera proportionnellement à votre foie).
Je ne suis pas là pour vous dire comment mourir moins vite ou épargner, mais que la pratique de la photographie est peu chère quand on la compare aux autres pratiques artistiques ou sportives. Mis à part l’écriture, le dessin ou la flûte à bec, c’est dur à battre.
En allant plus loin, un appareil situé entre milieu et haut de gamme en argentique doit se trouver aux environs de 150 euros, vous pouvez multiplier le prix par dix pour un numérique. Alors oui le numérique aura plein de boutons, mais on peut très bien s’en passer, et que des dizaines de photographes ont été exposés et le sont encore dans les plus grands musées du monde et ils n’avaient pas tous ces boutons, ces fonctions et ces menus qui intéressent plus les youtubers comparateurs de matériel que les photographes.
Les pellicules, c’est cher ? Là encore tout est relatif, ça commence aux environs de 3 euros pour aller jusqu’à 13 euros, mais la moyenne se situerait plus aux alentours de 5 euros pour 36 poses.
Enfin il reste le développement, et c’est la partie la plus complexe tant on peut y lire d’informations. Pour faire très simple, chez vous, il ne faut pas de chambre noire ou de lumière rouge pour développer vos pellicules. Il faut une petite cuve dans laquelle vous déposez un certain temps quelques produits chimiques à une certaine température.
Il faut enfin mettre en concurrence le développement argentique avec le développement numérique ! Si vous ne le savez pas, je vous l’apprends, quasiment tous les photographes numériques « retouchent » leurs photographies, ou tout au moins équilibrent la luminosité et les contrastes via des logiciels dédiés. On appelle cela « développer » même si c’est un processus entièrement informatisé, et ces logiciels ont pour la plupart un coût. Les plus courants sont Lightroom et Photoshop qui fonctionnent de pair et coûtent une dizaine d’euros par mois. Rapporté au prix de la chimie que j’utilise cela fait plusieurs milliers de photos développées par an. Sachant que ces logiciels vous demanderont pas mal de temps avant de les maîtriser, d’en connaître les fonctionnalités et de savoir les exploiter. En comparaison, si vous savez faire un gâteau au chocolat, vous avez le niveau pour développer vous-même vos films.
Et inversement, si vous savez développer un film, tentez de cuisiner, c’est pas plus difficile.
Enfin il existe de nombreux clubs photo ou associations de photographes, celle voisine de chez moi a un forfait de 55 euros à l’année, et tout est compris dedans, les cuves, les chimies, le scanner et tout ce qui va avec. En bonus ils peuvent vous expliquer comment faire, génial non ?
La complémentarité
La pratique de la photographie argentique est complémentaire de celle du numérique. Je ne prône pas l’usage de l’un plus que de l’autre, mais plutôt l’alternance des deux. En fait, dans ma pratique photographique, je me suis rendu compte que je trouvais chez l’un ce qui me manquait chez l’autre et inversement.
Les appareils photo numériques permettent de photographier plus. Photographier plus, c’est accumuler plus de matières, avoir un droit à l’erreur plus grand (voir quasi infini) et reporter certains choix à plus tard. Vous n’avez pas besoin de décider de la sensibilité ISO que vous allez employer pour les 36 prochaines photographies, vous pouvez changer à chaque. Vous n’avez pas non plus besoin de décider dès la prise de vue si vous voulez du noir et blanc ou de la couleur.
Un argument que j’entends souvent c’est que « la photo, c’est quand même un peu compliqué« . Oui, il y a pas mal de petits numéros sur vos objectifs, des chiffres sur des molettes et des boutons incompréhensibles partout. Vous savez quoi ? Ils servent pas à grand chose, tous ces trucs.
NON, apprendre la photo n’est pas compliqué, et OUI, c’est rapide. Pour qu’une photo soit réussie, le photographe Bruce Gilden dit qu’il faut deux choses : « appuyer au bon moment, et viser dans la bonne direction » . C’est tout.
Bien sûr c’est quand même utile de savoir comment fonctionne l’appareil dans les grandes lignes, comprendre ce que sont la vitesse et l’ouverture mais ça prend autant de temps que de faire 5 parties de FIFA 2019 en ligne ou de voir deux « Touche pas à mon poste » à la télé.
Ces appareils numériques sont donc de plus en plus touffus et bardés de fonctions parfois inutiles. Et personnellement, je fuis les menus du mien, je l’ai programmé une fois que je l’ai eu, depuis il fonctionne très bien, mais ça ne va pas plus loin. Sans rentrer dans la techno-phobie primaire, disons quand même que chez certaines marques l’ergonomie n’est pas toujours au top. Aussi, les numériques sont couverts de touches et de boutons, et la plupart du temps assez laids. Alors, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. J’aime bien l’idée qu’un objet que j’ai quasiment H24 sur moi soit un minimum joli. C’est tout personnel, mais j’accorde parfois un peu plus d’importance au style de l’appareil qu’au nombre de pixels. L’exemple suit ci-dessous en images.
A l’inverse, les appareils argentiques sont souvent très simples. Plus vous reculez dans le temps, moins ils ont de fonctions et plus ils se concentrent sur l’essentiel. Seuls les modèles récents (comprenez « à partir des années 80 » grosso modo) disposent par exemple d’un auto-focus décent. Au début j’appréhendais un peu le fait de faire manuellement la mise au point, ou l’exposition, mais au final c’est quelque chose que j’apprécie. On surestime très largement l’intérêt et l’importance de la technologie pour la plupart des travaux photographiques, et en maîtrisant bien son matériel on s’en sort très bien. L’argentique permet de revenir aux bases de la photographie, et de se concentrer sur l’essentiel. Cela sonne comme un cliché, sans doute parce que c’est vrai. Aussi, détail non négligeable : de nombreux appareils sont entièrement mécaniques, cela veut dire qu’ils fonctionnent sans pile, donc tout le temps pourvu qu’ils soient bien entretenus. Oubliez les problème de batterie, vous pouvez laisser le même appareil 6 mois dans votre sac.
Et puis utiliser des boîtier argentiques c’est plus écologique, à l’heure de l’obsolescence programmée et du tout jetable, vous aurez parfois des appareils plus vieux que vous qui ont toujours fière allure et qui fonctionnent comme à la première heure.
Cependant, tout n’est pas toujours tout rose, certaines limites sont quand même parfois casse-pieds. Par exemple, vous ne pouvez pas changer les ISO. Une fois que la pellicule est mise, c’est terminé. Donc si vous avez décidé d’utiliser de la 25 ISO et que la nuit arrive, votre appareil est bon pour rester dans sa sacoche. Enfin, le temps de traitement des images est un peu plus long. Même en développant soi-même et en scannant à la maison, il faut bien compter une demi-journée pour voir ses images, a minima. C’est d’ailleurs parfois frustrant, les pellicules n’ayant pas été conçues pour être scannées, l’exercice se révèle parfois être irritant. Pour ma part j’ai trouvé un système qui fonctionne bien, je vous renvoie encore une fois vers l’article cité ci-dessus où il est décrit.
C’est vrai que vous n’aurez sans doute pas d’écran de contrôle pour vérifier toutes les deux minutes que la photo est bonne ou pas. Au début, si vous n’avez jamais utilisé autre chose que votre téléphone, je préfère vous avertir qu’il risque d’y avoir quelques loupés. Au lieu de mitrailler, en argentique, on fait attention à ce que l’on fait, au sujet que l’on veut prendre, et qu’on prend son temps. Donc vous apprendrez bien plus vite de vos erreurs et ne passerez pas des heures sur youtube à chercher des tutoriels photoshop pour corriger tel ou tel défaut.
Ainsi, je conçois les deux pratiques comme complémentaires. Même si j’en fais un peu à l’argentique, je ne me vois pas faire de la photographie de rue entièrement sur cette technologie. Il y a trop de ratés et besoin d’un peu d’aide (là un bon auto-focus est pertinent) pour que ça vaille le coup. En revanche, je travaille sur d’autres projets (promis, je vous montre ça dans 3-4 ans) qui eux n’auraient aucun sens ni charme en numérique. Alterner l’un est l’autre, c’est un peu la voie du zen.
Concernant le rapport au temps, comme dit Thomas vous ne verrez vos photos au mieux quelques heures après avoir shooté, mais ça sera souvent quelques jours ou quelques semaines avant de voir le résultat. Ainsi vous aurez un regard à froid sur vos productions et votre propre jugement n’en sera que meilleur. Vous serez peut-être moins tenté d’envoyer un tas de choses non triées en orbite sur tous les réseaux sociaux.
Pour en rester sur les réseaux sociaux, sachez que j’ai remarqué que le mauvais goût en photo se trouve bien plus dans le numérique que dans l’argentique. Ainsi des pratiques comme la désaturation partielle ou le HDR, les deux pires inventions mises à la portée du grand public depuis l’arrivée du numérique, sont invisibles en argentique. Donc vous n’aurez pas le cerveau pollué par toutes ces inepties et vous pourrez vous concentrer sur le principal : prendre des photographies de sujets qui vous intéressent vraiment.
En quoi l’argentique m’aide sur ce point ? C’est peut être caractériel, je suis zen mais speed, et quand j’ai mon appareil numérique entre les mains je ne m’arrête pas. L’argentique a une limite humaine, 36 poses c’est un chiffre fini : je les ferai peut-être aujourd’hui, peut-être demain. Les 700 poses que je peux prendre sur la carte de mon appareil numérique sont une frontière presque irréelle : je sais que j’y arriverai à un moment, et une nouvelle carte me le fera oublier, je deviens presque insensible au temps.
Alors qu’être sensible au temps oblige à mieux définir ses recherches, mieux cadrer, ne pas multiplier les photographies identiques, à mieux s’appliquer. Et, c’est heureux, le bénéfice de l’argentique se reporte sur le numérique.
Simplicité et potentiels
Avant de démarrer, je vais faire un petit disclaimer, j’ai déjà parlé de matériel dans deux articles. Donc si vous pensez encore qu’acheter des appareils photo fera de vous un meilleur photographe, lisez ça avant de poursuivre :
La pratique de l’argentique vous permet d’accéder à un très large choix de combinaisons de matériel. Votre choix se fera principalement sur deux points : les pellicules et les boîtiers. Il y a plein d’autres aspects (comme la chimie employée ou les scanners), mais ils sont plus secondaires.
Il y a une question de qualité à prendre en compte, personne ne fait de l’argentique dans le but de faire des photos moches, sans quoi l’industrie numérique sortirait des capteurs pourris à destination des hipsters. Pour cela il existe les filtres Instagram et c’est bien assez.
Il y a un pléthore de pellicules et l’argentique gagnant chaque année en popularité, il n’est pas rare de voir de nouvelles émulsions (c’est comme ça qu’on dit dans l’milieu) arriver sur le marché. Certaines sont légendaires et ont été employées par les plus grands magazines et photographes, et vous pourrez vous aussi les tester en en glissant une dans votre boîtier. C’est aussi une façon efficace de travailler la cohérence de votre portfolio : en utilisant régulièrement la même émulsion et le même traitement, vous pouvez développer un « look » petit à petit.
L’autre point sur lequel vous allez avoir l’embarras du choix, c’est le matériel. Et là, c’est un peu la fête, pour trois raisons raisons :
- Il y a plein de matériel dont plus personne ne veut. Du coup, vous trouvez les Rolls Royce d’il y a quelques années pour pas un rond. J’utilise par exemple un Nikon F100, un reflex professionnel de la fin des années 1990 (c’est l’avant dernier modèle argentique sorti par Nikon avant le F6), une machine de guerre de vélocité et de justesse que j’ai eu pour un peu plus de 220€ dans un état proche du neuf. Une broutille quand on compare à l’équivalent numérique actuel.
- Le matériel ne décote pas, il ne fait qu’augmenter. Et c’est simplement lié à des notions basiques d’économie : le marché des appareils est fini (on n’en produit plus) et la demande augmente un peu plus chaque jour. Donc à moins de vous faire arnaquer, vous êtes à peu près sûr de revendre ce que vous avez acheté au prix où vous l’avez payé. C’est d’ailleurs quelque chose qui fait souvent rire les « vieux de la vieille », qui rigolent face aux petits jeunes qui achètent un Canonet à 150€ alors qu’il en valait 1/5e une décennie plus tôt.
- Vous avez accès à des formats inaccessibles en numérique. Quand vous faites de l’argentique le 35mm, le fameux plein format qui fait rêver sur les forums c’est « la base ». Vous démarrez avec ça. Mais vous pouvez allez aussi plus loin : vous souhaitez tester un moyen-format ? Eh bien c’est accessible à partir de quelques centaines d’euros. Si la qualité d’image est nécessaire pour certains de vos projets (et je sais de quoi je parle, je suis en plein dedans !) et n’est pas juste une lubie de pixel-peeper : elle est désormais à portée de bourse.
Je me permets d’insister, parce que c’est un message auquel je tiens beaucoup : le matériel ne fera pas de vous un meilleur photographe. Jamais. En aucun cas. Si je prends le temps de vous décrire ce que je viens de décrire, c’est simplement pour montrer que la pratique de l’argentique n’est pas désuète, qu’elle offre de véritables possibilités créatives et qu’un matériel très intéressant est à portée de bourse. Bref, si devoir vous armer d’un peu plus de patience et de rigueur ne vous fait pas peur, foncez.
Pour ma part, le dernier appareil photo que j’ai acheté m’a coûté 25 euros, j’en suis très content et surprise, il n’y a AUCUN bouton de réglage. Je l’allume et j’appuie pour prendre une photo, comme un jetable mais réutilisable plein de fois, et il a même un flash. Et si le matériel ne fait pas de vous un meilleur photographe – contrairement à ce que les vendeurs et testeurs affirment un peu partout – un appareil simple et efficace peut vous aider à vous consacrer à l’essentiel : prendre des photos. Parce que regarder des fiches techniques et tourner des boutons, qu’on se le dise, ce n’est pas essentiel du tout.
Faire pour mieux comprendre
Maintenant que le cadre est posé, on va rentrer dans le vif du sujet. L’essentiel de l’intérêt de l’argentique ne se situe pas dans ses aspects pratiques. C’est limite anecdotique comme intérêt.
Non, la vraie raison de s’y mettre c’est : l’essentiel de l’histoire de la photographie s’est faite avec cette technologie.
Alors, ne vous méprenez pas. Ce n’est pas parce que l’histoire de la photo a été faite avec des sels d’argents qu’il faut continuer à la faire comme ça et bouder le numérique pour la suite. Ça n’est pas du tout ce que je dis, et d’ailleurs, il y a de plus en plus d’images issues du numérique dans les tirages en vente à Paris Photo chaque année. Si je vous dis ça, c’est uniquement d’un point de vue pédagogique / culturel et pour votre pratique.
Je l’ai rabâché 500 fois mais : j’ai commencé la pratique artistique par la musique. Et au final, il n’y a rien qui aide mieux à comprendre pourquoi un morceau est intéressant et bien construit qu’en pratiquant soi-même. On a l’esprit beaucoup plus aiguisé à voir tous les détails, les choix, les parti-pris, et à éventuellement en tirer une leçon pour soi. C’est ce que je vous conseille de faire avec la photographie.
Prenons deux exemples de ce que la pratique peut concrètement vous apporter :
- Toutes les photographies argentiques dans les livres d’histoires ne sont pas des scans de négatifs, mais de… tirages. Il y a donc tout un travail pour les produire, des choix qui sont faits (méthode employée, choix techniques, chimiques, papiers, etc.) et que l’on ne peut apprécier que si on les connaît un minimum. Comme les solarisations de Man Ray par exemple. Ensuite, connaître ces procédés peut vous être utile à vous, quand vous serez devant une feuille blanche et que vous aurez à décider de comment présenter votre propre travail.
- J’ai déjà pas mal parlé de Cartier-Bresson, il difficile d’en comprendre toute la fulgurance quand on n’a soi-même utilisé que des appareils dotés d’un auto-focus, d’une molette d’ISO et d’une carte SD de 64Go. Prenez un appareil argentique et tentez l’expérience, vous regarderez son travail autrement ensuite.
Vous voulez vous inspirer des plus grands et intégrer leurs leçons dans votre pratique ? Commencez par utiliser les mêmes outils.
Car le réel adhère
Enfin, la dernière raison que j’ai de pratiquer l’argentique, et sans doute la plus importante (grossièrement, je dirai que ça constitue 80% de mon envie de continuer), c’est que le réel adhère et qu’on n’apprécie jamais mieux cela qu’avec l’argentique. Alors, là comme ça ça peut vous paraître un peu obscur, mais on va prendre le temps de voir ça.
Dans son livre, La chambre claire, Roland Barthes développe plusieurs concepts, assez novateurs sur la façon que l’on a de percevoir la photographie, sur notre rapport avec elle. J’ai d’ailleurs écrit un article qui résume entièrement le livre, c’est par ici, c’est la maison qui offre :
Pour ceux qui n’ont pas le courage de tout lire (honte à vous !), on va résumer succinctement l’idée : le réel adhère à la photographie, cela veut dire qu’il la marque, il laisse une trace en elle. Ce n’est pas pour autant que la photographie reflète à 100% la réalité (j’en ai déjà parlé ici et ici), mais on est obligé de partir d’elle pour produire un travail photographique. C’est l’une de ses spécificités par rapport aux autres arts : la peinture ou la musique ne partent pas de la réalité, mais uniquement de ce que l’artiste a envie d’y mettre (ce qui peut être son envie de reproduire la réalité évidemment, mais pas nécessairement). Cette notion, elle est fondamentale, et je m’en sers souvent comme d’une ligne rouge. Quand on casse ce lien au réel dans une image, on s’éloigne peu à peu de ce qui fait pour moi l’essence même de la photographie (en retouchant/modifiant beaucoup le sens des images par exemple). Je ne fais pas de hiérarchie entre les pratiques, c’est plus un critère d’analyse qu’autre chose. J’aime les choses relativement pures photographiquement parlant, donc où ce lien est toujours fort, quand l’adhérence est visible. Plus on s’en éloigne, moins cela va m’intéresser.
En quoi est-ce lié à l’argentique ? Eh bien, dans cette pratique, vous obtenez physiquement cette trace de l’adhérence du réel, c’est le négatif. Vous n’avez pas des bits sur un disque dur, mais bel et bien un objet qui rend compte, qui est une trace, de ce que vous avez photographié. Et si vous en prenez soin, cette empreinte peut durer jusqu’à un siècle (bon courage pour faire pareil avec un disque dur !).
Imaginez ne connaître que les kindles et vous voir offrir votre premier livre ! C’est pas forcément plus pratique, il en faut un par histoire, mais pourtant vous pouvez le garder, le regarder, le toucher. Quel charme ! C’en est de même avec l’argentique, il y a une préhension de la matière et une vulnérabilité qui en font tout le caractère.
Et ça, c’est un élément que j’aime beaucoup, notamment quand il s’agit de photographier mes proches. J’aime l’idée de garder un objet physique de ces rencontres. Parce que, au final, quand on a le négatif en main, on n’est séparé de ces moments, de ces souvenirs que par une étape (la lumière de la personne a marqué le négatif, je regarde le négatif, on est presque encore ensemble). C’est une idée que je trouve assez poétique.
J’en ai récemment fait l’expérience. Cette année, j’ai perdu mon grand-père. La dernière fois que je l’ai vu, à peu près une semaine avant son décès, on a été marcher un peu ensemble, dans sa rue. Comme d’habitude, j’avais un boîtier sur moi, j’ai déclenché quelques fois. Depuis quelques mois, plus le temps passait, plus je prenais conscience que ces moments allaient être rares et qu’il fallait en garder ce que je pouvais. J’ai pris ces photographies avec un sentiment que l’on pourrait qualifier de « pré-nostalgie », sans savoir qu’elles seraient les dernières.
J’ai beaucoup hésité à vous les montrer, parce qu’elles sont importantes pour moi, mais je ne pense pas que ça apporterait grand-chose au final à ce que je viens de vous dire. Désormais, dans un classeur chez moi, sont rangés les négatifs. Ils sont petits, fragiles, mais sont une empreinte incontestable des derniers moments passés ensemble : au moment où ils ont été produits, nous étions tous les deux là, ensemble, séparés seulement par le boîtier. Le hasard aurait pu faire autrement, mais il m’aura bien laissé ça, et j’en suis heureux.
C’est là je trouve, et c’est tout à fait personnel, la grande force de l’argentique : nous laisser des empreintes des moments qui nous sont importants.
Conclusion
J’espère que cette petite incartade dans le monde du grain, du film et de la chimie vous aura donné envie de venir jouer avec nous. Je suis intimement convaincu que c’est une pratique qui a encore de belles années devant elle, qui est riche et peut vous apporter beaucoup pour votre propre pratique et c’est ça que j’ai essayé, avec l’aide de Richie, de vous transmettre aujourd’hui.
Si vous avez des questions, n’hésitez pas à les poster en commentaire. Si vous faites déjà de l’argentique, vous pouvez aussi répandre la bonne parole, en partageant l’article 😉
Bien évidemment, je ne saurais terminer cet article sans vous renvoyer vers le travail de Richie. Cliquez sur le bouton ci-dessous pour découvrir son travail et son Blog, on s’y marre bien aussi.
Et si vous avez envie d’en apprendre plus, j’ai aussi produit une vidéo à ce sujet :
Pendant la rédaction de ce billet, j’ai principalement écouté :
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