Je vous parle régulièrement de la démarche photographique, du fait de travailler en série, de construire des projets, etc. Du coup, je trouvais ça intéressant de faire moi-même l’effort d’expliquer comment j’avais produit ma dernière série, et comment elle se plaçait dans mon travail. Ce billet sera sans doute plus court que les autres, mais bon, le sujet ne se prête pas non plus à des développements sans fin. Let’s go.
Ps : l'intégralité de la série se situe ici. Ps² : c'est seulement le seul billet où je peux dire ça, mais toutes les photographies étant de moi, elles sont non légendées.
L’idée de base
Bon, pour être honnête, ce n’est pas le genre de série qui vient à l’esprit un beau matin d’hiver, d’un coup d’un seul, comme la pluie sur le bitume. C’est le cas de certains projets, mais ça n’est pas arrivé comme ça ici. InColors, ça a été quelque-chose de lancinant, qui a traîné dans un coin de ma tête pendant plusieurs semaines / mois. J’ai eu plusieurs idées, qui se sont combinées au fil du temps pour former cette série.
- J’avais envie de photographier le tissu urbain, la « peau » de la ville, avec ses cicatrices, ses marques, réparations, comme si elle était vivante d’une certaine façon. J’aimais bien l’idée de souligner la relation amour/haine que l’on a avec elle, comme ça. Et puis, quand il faut s’attarder sur les petits détails et le banal, je suis toujours partant.
- J’ai repensé à une réflexion de William Eggleston (forcément pour mon premier travail où la couleur est centrale, ça a été une influence), où il racontait qu’à ses débuts il avait voulu faire de parfaits faux Cartier-Bresson, mais qu’il avait échoué. Je me suis demandé à quoi l’inverse aurait ressemblé, Cartier-Bresson et sa géométrie s’intéressant au banal et en couleurs. Alors, loin de moi l’idée de prendre ce travail comme un bête exercice de style, ça a plutôt été une base de départ.
- Je voulais me lancer dans un projet couleur, pour deux raisons principalement. La première étant que je fais principalement du noir & blanc pour mes autres projets (Rouen et Intercité notamment), et que c’était aussi une façon, en partant dans « l’inconnu » de relancer mon intérêt et ma curiosité. La deuxième raison est que je me sentais « prêt » à y aller, ce qui est assez lié à mon rapport photographique à la réalité. J’aime beaucoup le noir et blanc, parce qu’on sait dès le départ que ce rapport est faussé, il n’y a pas de débat : le monde est en couleur, la photographie qui en résulte ne l’est pas, donc elle est soumise aux choix de son auteur. Du coup, en noir et blanc, je me sens assez à l’aise pour faire ce qui me plaît. La couleur, j’ai toujours eu l’impression (jusqu’à maintenant) que c’était une délicate façon de se rajouter des millions d’ennuis : « ce bleu, il était vraiment aussi bleu dans la réalité ? ». Avec le temps, c’est une appréhension qui m’est (presque) entièrement passée, et du coup, nous y voilà.
Ainsi, au final, la série consiste en une approche personnelle, colorée et géométrique (voire abstraite des fois) de la couleur dans nos villes. Qui sont loin d’être ces lieux gris et neutres tel qu’on peut les percevoir dans l’imaginaire collectif.
Le titre
Il ne vous aura pas échappé que le titre n’est pas en français. C’est d’ailleurs la seule série pour le moment, car je suis un fervent défenseur (par ma prose, ma plume et mon verbe) de la langue de Molière. Cependant, ici, je dirais presque que je n’ai pas eu le choix : pour moi, elle s’est toujours appelée ainsi, ça sonnait comme une évidence. Il y a des séries pour lesquels je trouve le titre des mois, voire des années après (cf. L’image d’une ville).
En fait, il faut bien comprendre, que pour n’importe quelle série, le sujet principal est la ville. J’aurais pu appeler Graffitis « Graffitis dans la ville », Rouen « La ville de Rouen », etc. Comme c’est implicite, la plupart du temps j’évite (sauf, logiquement, pour l’Image d’une ville, que je n’allais pas appeler « L’image » c’est un peu pompeux). Du coup, la série aurait pu s’appeler « La couleur dans la ville » mais je trouvais ça horriblement laid, lourd et inutilement simplificateur. Là où, InColors sonnait comme une douce mélopée à mes oreilles.
Parce que c’est aussi une série qui est construite sur le ressenti visuel de la couleur dans la ville, ça ne me paraissait pas non plus totalement déconnant de la nommer ainsi, parce que je préférais le ressenti sonore de ce titre.
Réalisation
La réalisation de la série a été assez simple, il s’agissait avant tout de chasser la couleur dans la ville, je n’avais pas de pré-requis technique précis (comme j’aurais pu avoir si je voulais photographier un Ours polaire par exemple, ce qui aurait demandé un équipement spécifique). Du coup, j’ai utilisé ce que j’avais sous la main (et j’ai toujours un appareil sous la main), soit :
- Mon boîtier principal, avec une optique équivalent à 38mm en plein format, et une deuxième équivalent à 50mm en plein format.
- Un smartphone photographiant en RAW, avec une optique équivalent à 28mm en plein format.
Je n’avais pas de réglage particulier pour toute la série, j’étais souvent entre F/5.6 et F/8 pour avoir tout net et profiter des couleurs (exception faite du smartphone qui a une ouverture fixe). Le temps de pose et les ISO varient pour chaque image (forcément entre les couleurs du métro et un immeuble en plein cagnard, il y a quelques petites différences d’éclairage.
J’ai réalisé cette série sur plusieurs mois (entre février et juin 2017), en fonction de ce sur quoi je tombais au quotidien. Ensuite, a démarré le travail d’édition.
Edition
L’édition n’a pas été très compliquée, j’ai trouvé la ligne que je voulais tenir au bout de quelques semaines. J’ai choisi de ne garder que les images ayant une composition simple, facilement mémorisable, voire abstraite, et ayant une couleur qui dominait largement les autres. Ensuite, j’ai utilisé le meilleur ami que j’ai, le plus efficace de tous : le temps. C’est vraiment grâce à lui que je sais si je fais quelque chose parce que ça me plaît profondément, ou parce que ce n’est qu’une lubie passagère. J’avais accès à cette série (en cours) depuis plusieurs terminaux (mobiles, pc, etc.) et j’allais régulièrement la consulter, pour la peaufiner, l’agencer, mais surtout la regarder. C’est comme ça que j’ai su que je faisais avant tout ce travail pour moi, que j’en serais satisfait même si je ne le publiais pas, et donc que j’étais sur la bonne voie (vis à vis de moi-même du moins, ce qui, on se l’accordera, est quand même un bon début).
Pour l’organisation, j’ai réuni tous mes RAW dans deux collections Lightroom : InColors et InColors_TMP. La deuxième n’étant que le sas de la première, la zone d’incubation : je laisse mariner là certaines images, et si elles survivent à ça sur une longue période, je les intègre à la série.
Quant au développement, je suis parti du rendu colorimétrique de la pellicule Provia de Fujifilm que j’aime beaucoup, j’ai ensuite modifié les valeurs de teinte/saturation/lumière, pour mettre en avant la couleur principale de chaque image. C’est tout ce qu’il y a a retenir, je vous passe la partie longue et ennuyeuse sur la balance des blancs, la netteté, les corrections aberrations, etc. Tout le monde s’en fiche, moi le premier.
Un exemplaire ?
[DISCLAIMER] Cet article a quelques années maintenant, tous les exemples sont bien évidemment écoulés et je n'en produis plus. Les tirages sont toujours dispo en revanche.
Si vous voulez vous offrir un petit exemplaire de cette série, c’est tout à fait possible. J’ai réalisé des carnets au format 13x18cm contenant toutes les images. Des sortes de nuanciers géométrisés des villes que je parcours, chouette non ?
Cependant, attention, je ne l’ai produite qu’en quantité limitée, il n’y a que 30 exemplaires disponibles et je n’en referai pas d’autres, ça perdrait de sa magie sinon.
Ils sont en vente au prix de 29,95€ (soit le prix du carnet + les frais de port). Le bouton ci-dessous fonctionne jusqu’à épuisement du stock, ensuite il s’autodétruira, comme le PS après une élection.
Ps : n'oubliez pas de bien rentrer votre adresse lors du règlement, c'est la chienlit sinon.
Pour information, je n’ai pas encore reçu les carnets à l’heure où j’écris ces lignes, et puis, je réserve aux acheteurs le plaisir de les découvrir en vrai. Les images ci-dessus ne sont que des prévisualisations. En attendant, voici des images des carnets que j’avais précédemment réalisés pour les séries Intercité et Rouen :
Conclusion
Un lecteur avisé m’avait dit que je ne parlais pas assez de mon propre travail sur le Blog. Ce qui est vrai, et issu d’une certaine forme de modestie, entre un article sur Cartier-Bresson et un sur Josef Koudelka (teasing!), il me paraît un peu présomptueux de caler quelque-chose sur ce que je produis. Mais bon, dans le cas présent ça me faisait plaisir de vous en parler, après des mois à avoir bossé ça dans ma caverne. Et puis, plus généralement, j’aime bien l’idée d’être transparent, ouvert vis-à-vis de ma pratique photographique, et que le savoir et l’expérience se transmettent. L’objectif étant d’aider et d’inspirer d’autres personnes. De toute façon, entre nous, il n’y a rien qui soit vraiment un secret industriel ici, donc si ça peut faire avancer d’autres personnes, je suis le premier ravi.
Ps : les images ici ne sont que des illustrations, l'intégralité de la série se trouve ici : InColors
Si ce genre d’articles vous botte, n’hésitez pas à me le faire savoir en commentaire (ou en le criant dans la rue, c’est marrant aussi).
J’ai aussi parlé de cette série en vidéo, quelque années après l’écriture de cet article. J’y ajoute quelques éléments complémentaires. C’est par ici :
A plus dans l’bus.
Ps : Si le sujet vous intéresse, j'ai écrit un livre complet sur la création de projet . Il vous apprendra comment développer une photographie personnelle, rester motivé, et trouver votre style grâce à un projet photographique. Découvrez-le ici : Vers la lumière.
J’ai écrit cet article en écoutant cette playlist (qui n’est pas disponible sur YouTube).
Laisser un commentaire