Introduction
J’avais déjà écrit un billet concernant les femmes photographes, à la suite de l’exposition qui leur avait été consacrée aux Musées d’Orsay et de l’Orangerie (Qui a peur des femmes photographes ?). Un délinquant revenant toujours sur les lieux de son méfait, je me retrouve de nouveau attelé à triturer ce sujet. L’article cité s’arrête en 1945 et en 70 ans, nombre de talents ont eu le temps d’émerger, et d’être ensuite (pour la plupart) copieusement ignorés.
A la base, je souhaitais rédiger un billet dans la même veine que le précédent, qui présenterait une liste de photographes, connues ou non, dont l’œuvre était marquante et devait être mise en avant. Cependant, plus je me suis documenté sur le sujet, plus je me suis rendu compte qu’il y avait un gros problème. Ce billet sera donc teinté de féminisme. Alors pour ceux qui ne suivent pas, ou n’écoutent rien, être féministe ce n’est pas souhaiter la prise du pouvoir par les femmes, mais simplement l’égalité avec elles. Même si je ne suis pas directement impacté par les discriminations sexistes (la possession d’un pénis m’en prémunit efficacement), j’ai une mère, une sœur, une copine, une relectrice, et si je peux défendre un peu leur cause (dans le domaine qui est le mien) c’est avec joie que je le fais. Et si cela ne vous touche toujours pas, dites-vous qu’une égalité parfaite entre hommes et femmes (notamment sur l’accès à l’emploi et au niveau de la rémunération) rapporterait 250 milliards d’euros par an, soit +20% du PIB, ce qui ferait quand même un sacrée quantité de pizzas si on choisissait de les investir là.
Camarades, démarrons.
Ps : pour ne pas alourdir l'article, j'ai simplement listé les sources à la fin, sinon on était parti pour 250 notes de bas de page. Elles sont en accès libre, consultez-les.
Le constat d’une absence
Nous sommes face à un cercle vicieux, un serpent se mangeant la queue, une situation s’aggravant d’elle-même. Comme nous allons le voir en long et en large, les discriminations dans la société ne s’arrêtent pas aux portes du grand temple de l’art, et les femmes sont sous représentées dans tous ses domaines, et donc en photographie. Cette absence, ce manque d’icônes et d’héroïnes, participe au problème en tuant dans l’œuf les vocations et les espoirs (« à quoi bon de toute façon ?« ), et cela ne va pas en s’arrangeant. Vous la sentez la vague de joie, là ? Non ? Moi non plus.
Disons-le d’entrée de jeu et sans équivoque : cette absence n’est pas le fait d’une piètre qualité dans leurs travaux, mais est construite socialement. Parce que bon, si l’on peut affirmer sans sourciller que c’est bien l’œil et l’esprit qui produisent l’art (et non l’instrument), l’imagination et les circonstances qui font l’image, on se rend vite compte que cela n’a rien à voir avec la possession d’un chromosome Y ou non. Cela veut aussi dire que changer cette situation ne demande rien de plus qu’une décision collective, vu qu’elle n’est basée sur aucun élément concret, matériel ou physiologique. En considérant cela, affirmer que les femmes sont absentes parce qu’elles font « moins bien » et « qu’on voudrait bien mais qu’on n’en trouve pas« , c’est soit être parfaitement ignorant de la réalité du sujet, soit avoir le cerveau dans le même état qu’un hérisson après une course poursuite sur l’autoroute avec un 38 tonnes.
Commençons par prendre un peu de distance afin d’apprécier pleinement la douce amertume de cet état de fait. En 2006, Reine Prat (agrégée de lettres et chargée de mission pour le Ministère de la Culture) publie un rapport sobrement intitulé » Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le spectacle vivant 1 – Pour l’égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation « . Alors certes, ces statistiques sont celles du spectacle vivant et non propres au monde de la photographie, mais je serais très étonné que l’on n’y retrouve pas les mêmes proportions. Les chiffres publiés dans ce rapport ont fait l’effet d’une bombe dans le petit milieu du spectacle vivant, parce que personne ne s’était rendu compte jusque-là, que (oups) les hommes pouvaient diriger jusqu’à 92% des théâtres consacrés à la création dramatique, 89% des institutions musicales, 86% des établissements d’enseignement… Mais ça ne s’arrête pas là (ça serait trop beau), leur place dans les programmations pouvaient atteindre 97% pour les compositeurs, 94% pour les chefs d’orchestre, qu’ils pouvaient être les auteurs de 85% des textes à l’affiche des théâtres du secteur public et y signer 78% des mises en scène. Personne n’avait vu non plus que le coût moyen d’un spectacle pouvait varier du simple au double, dans une même institution, selon qu’il était mis en scène par une femme ou par un homme.
Émois, stupeurs, tremblements, les médias s’en emparent, et de grands discours s’en suivent. En 2009, Reine Prat publie le 2e rapport de sa mission (« De l’interdit à l’empêchement« ), et on se rend joyeusement compte, qu’en fait, rien n’a changé. Malgré la surprise et les émois, les habitudes ont la vie dure. En 2013, Brigitte Gonthier-Maurin (sénatrice) présente un rapport intitulé » Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur le thème « La place des femmes dans l’art et la culture » « . Je vous laisse deviner dans quel sens a évolué la situation des femmes dans l’art depuis 2009 (spoiler : elle n’évolue pas, et idem en 2015 quand Reine Prat se penche à nouveau sur le sujet). Donc pour résumer les choses, nous sommes face à un problème, qui étonne tout le monde périodiquement (moi le premier en découvrant ces chiffres), mais qu’aucune politique publique sérieuse n’a vraiment essayé de résoudre.
La seule initiative, qui si elle est louable sur le fond n’est pas très utile (car non contraignante), consiste en une feuille de route pour l’égalité dans les arts et la culture publiée dans le cadre de la politique gouvernementale en faveur de l’égalité entre hommes et femmes, en 2013. Elle stipule notamment que :
Le rôle du ministère de la Culture et de la Communication pour faire progresser l’égalité entre les hommes et les femmes est déterminant en raison de son domaine spécifique : le champ de la création et celui des représentations collectives véhiculées par les différents moyens d’expression artistique ou culturelle, […] leur puissance peut constituer un frein aux évolutions nécessaires vers une société plus juste et respectueuse de chacun, femme ou homme, tout comme elle peut les favoriser.
Débarque ensuite un éventail de mesures destinées à réduire les situations inégalitaires. Mais qui sont pour la plupart restées lettres mortes (« On ne peut pas mettre la parité chez les chefs d’orchestre, il n’y a pas de femmes ! » (et le serpent se remord la queue à pleines dents). D’ailleurs, en parlant parité, abordons un peu l’idée des quotas. L’application littérale de l’idée (50/50 à tous les niveaux) aboutirait à un changement complet de paradigme de la création, des critères de jugement esthétique, et n’irait pas forcément sans mal. En fait, accepter la mise en place de quotas suppose d’avoir admis l’existence de deux catégories différentes et la domination de l’une sur l’autre. Chaque personne est ainsi tenue de se reconnaître dans l’une de ces deux catégories. C’est d’autant plus ennuyeux quand il faut admettre appartenir à la catégorie dominée. Ceci explique en partie le fait que nombre de femmes refusent le principe des quotas. Bon, dans l’absolu, je reste partisan de cette solution, appliquée mécaniquement et avec des contraintes en cas de non respect, mais il faut juste avoir conscience que ça n’est pas magique et sans douleur.
Et tout cela nous amène à la question du jour : S’il n’y a pas la parité, quel est l’état de la représentation des femmes dans les arts et dans la photographie ?
En 2013, les femmes représentaient 64% des diplômés d’art plastique en France, mais moins de 25% des artistes représentés par les galeries. Si vous vous demandiez ce que c’est que le plafond de verre, c’est ça. Zoe Haller, sociologue (voir les sources en fin d’article) évoque aussi un autre problème : quand la représentation d’une communauté est en dessous des 30%, celle-ci ne se sent pas légitime (ce que confirment les études psychologiques). Par exemple, dans un groupe de 100 personnes, si 25 sont végétariennes et 75 mangent de la viande, les « sans-viande » ne se sentiront pas légitimes et auront du mal à défendre leurs positions (sauf s’il y a des végans, eux, rien ne les arrête). C’est là qu’est le double effet Kiss cool : les femmes sont moins représentées, et du coup se sentent encore moins légitimes à être représentées. C’est bien foutu. Elles sont aussi (selon des témoignages) souvent moins prises au sérieux, et leurs motivations professionnelles sont souvent questionnées (c’est aussi lié à la question de la maternité, perçue comme une contrainte strictement féminine, avoir des enfants serait incompatible avec une carrière).
Le rapport Quemin présente des chiffres tout aussi intéressants : les femmes ne représentent que 10% des 500 artistes les plus chers au monde, et seulement 20 à 25% du palmarès des institutions. Ce qui veut dire que le marché de l’art (qui vend et achète, et donc fait vivre) est encore plus « fâché » avec les femmes que les institutions (musées, festivals, & cie). La représentation des femmes sur le marché de l’art a augmenté de 1986 à 1992, puis a atteint un seuil dont il ne bouge plus : 22-23%. Pour information, la discrimination se fait aussi envers les jeunes artistes : dans les années 70, il était courant d’en voir dans les 500 plus chers ayant une trentaine d’années, maintenant l’âge moyen se situe plus vers les 70-80 ans. On cherche des valeurs sûres, établies.
Si ces chiffres vous paraissent lointains et abstraits, mais que vous avez quand même envie d’apprécier ces discriminations dans toute leur splendeur, je vous propose une petite expérience : regardez chez vous, combien de vos objets culturels (livres, films, etc.) ont été produits par des hommes ? Je n’en avais pas vraiment conscience avant qu’on me le mette sous les yeux, mais si j’enlève ce qui a été produit par des hommes dans ma bibliothèque, il ne restera pas grand chose. Nous sommes en plein dans ce que l’on pourrait appeler le colonialisme culturel masculin. Les décisions sont prises par les hommes (cf. les rapports de Reine Prat), qui produisent aussi les œuvres tout comme la plupart des histoires du médium. Dans ce contexte, difficile de faire changer les choses, tant ces stéréotypes (hommes = œuvres culturelles) sont omniprésents et intégrés tôt.
Alors bien évidemment, il existe quelques phares qui permettent de se donner bonne conscience, où serait le sexisme dans un monde où Nan Goldin & Cindy Sherman sont des artistes établies ? Rappelons que les caractéristiques d’un phare, c’est d’être seul et isolé. De même, on peut se réjouir de la présence de femmes à des postes stratégiques, comme Agnès Sire à la tête de la fondation Henri Cartier-Bresson, ou encore Marion Hislen en tant que déléguée à la photographie pour le Ministère de la Culture et de la Communication, mais avoir des femmes à des postes-clé ne garantit pas forcément des programmations où la parité serait respectée. Elles sont nombreuses dans les institutions dédiées à la photographie, au Musée Carnavalet, au Centre Pompidou, au Musée d’Orsay, dans la critique (au Figaro, au Monde), dans les Galeries, les écoles de photographie, etc., mais restent absentes des programmations. On est en plein dans le paradoxe de la non-représentation, où le « j’ai voulu, mais je n’ai pas trouvé » reste une excuse qui est encore d’usage. Ha, et j’invite ceux qui me diront que « les femmes se sont mises tardivement à la photographie et que c’est pour ça qu’elles ne sont pas représentées« , à relire ce billet et à changer d’avis. A ses débuts la photographie était un loisir bourgeois, pas une pratique artistique essentiellement masculine, comme a pu l’être la peinture pendant des siècles. Bref.
Rajoutons, pour finir, un énième coup de pinceau à ce noir tableau, parlons de prophétie autoréalisatrice. Une prophétie autoréalisatrice est un énoncé qui modifie des comportements de telle sorte qu’ils font advenir ce que la prophétie annonce (ex : J’ai confiance en ma hiérarchie, et je la soutiens = ce comportement la rend encore meilleure, et digne de ma confiance). Ce qui n’était qu’une possibilité parmi d’autres devient réalité, par l’autorité de celui ou celle qui énonce la « prophétie ». L’adjectif, autoréalisatrice se rapporte à la dite « prophétie », et non aux événements annoncés ; si elle s’auto-réalise c’est parce que les protagonistes y adhèrent, y croient. Le fonctionnement du marché de l’art, et c’est aussi vrai pour la photographie est en plein là-dedans : les institutions (comme le Tate Modern, le Centre Pompidou) achètent des artistes tôt, avant de ne plus pouvoir le faire parce que leurs prix vont monter. Et comme les prix des hommes montent plus vite que ceux des femmes, ils achètent des œuvres masculines « par sécurité », et font par la même occasion… monter les prix. Un phénomène qui n’est pas arrangé par l’arrivée d’artistes chinois sur le marché (depuis 2007 principalement), pays où les pratiques artistiques sont très genrées.
Si j’ai pris le temps de détailler tout ça, c’est pour plusieurs raisons. La première, évoquée dès l’introduction, c’est que ces discriminations ne reposent que sur du vent, et qu’il ne faudrait rien de plus que des décisions (imposées ou collectives) pour changer la donne. La deuxième, tout aussi évidente, c’est qu’il y a un vrai enjeu démocratique et culturel derrière, un pays ne peut pas ignorer, freiner, ou mettre de côté 50% de ses artistes, même s »il ne le fait pas vraiment exprès » (soyons ouverts d’esprit). Ceci étant dit, envoyons la purée.
La grande liste
Nous voilà donc arrivés à ce qui sera le cœur de ce billet, un petite présentation des femmes photographes contemporaines, dont j’apprécie particulièrement l’œuvre. Parce que oui, on va être honnête, il y a un prisme, cette liste est partiale. Déjà parce qu’il n’est pas possible d’être neutre et objectif sur un tel sujet qui relève forcément du goût à un moment (tout comme il y a des travaux masculins qui ne m’intéressent pas – COUCOU SERGE RAMELLI – il y a des travaux féminins que je trouve mauvais). J’ai aussi écarté les photographes déjà très connues (comme celles citées ci-dessus), car les mettre en avant n’avancerait pas de beaucoup mon sujet.
La bonne nouvelle, c’est que je vais vous éviter tout le bullshit à la « Holalala, les femmes sont douces et sensibles, on va mettre des choses douces et sensibles », on n’est pas là pour s’extasier devant des photographies oniriquo-poético-culcul et creuses comme celles que peut nous pondre Julie de Waroquier. Ici, il y a aura de la guerre, des poils, des poneys et tout et tout. Ha, et il n’y a pas d’ordre spécial, c’est listé comme ça m’est venu.
Ps : Je ne conseille que les livres que j'ai lu, j'ai glissé des recommandations quand cela m'était possible.
Laura Pannack
Laura Pannack est une photographe documentaire et portraitiste britannique habitant à Londres. Son travail porte principalement sur les enfants et adolescents. Elle a reçu un certain nombre de récompenses, notamment une première place aux World Press Photo Awards en 2010, le Vic Odden Award de la Royal Photographic Society en 2012 et le John Kobal New Work Award en 2014. Elle est aussi titulaire du prix HSBC de 2017, ce qui n’est quand même pas une mince affaire. On peut voir sa façon de travailler dans la vidéo réalisée par FullBleed ci-dessous (en anglais) :
C’est un véritable coup de cœur, j’adore son travail. J’en avais déjà parlé dans cet article, pour ne pas faire de redite, je vous invite à le consulter. Il présente en même temps l’œuvre de Dana Lixenberg, qui a travaillé aussi sur le portrait.
Graciela Iturbide
María Graciela del Carmen Iturbide Guerr (vous gagnez un M&M’s si vous pouvez le dire 3 fois sans vous tromper) est une photographe mexicaine. Lauréate du Prix W. Eugene Smith 1987, du prix Higashikawa 1990, du prix Hasselblad 2008 et du prix Cornell Capa en 2015, elle est considérée comme l’une des photographes d’Amérique latine les plus importantes et les plus influentes de ces quarante dernières années. Elle a notamment développé le concept de la photographie documentaire pour explorer les relations entre l’Homme et la Nature, l’individuel et le culturel, le réel et le psychologique.
La photographie ci-dessus est issue d’un rêve qu’elle dit avoir fait, qu’elle a recréé et photographié. Elle est principalement connue pour son travail sur les oiseaux, et pour cette photographie, inconnue en Occident, mais connue partout au Mexique (un peu comme Che Guevara chez nous) :
Cette fois aussi, vous pouvez découvrir son travail dans cet article :
Le Photo Poche sur son travail est une bonne porte d’entrée pour la découvrir :
Françoise Huguier
Françoise Huguier, photographe française membre de l’Agence Vu est particulièrement connue pour son travail en Afrique, mais avait aussi fait beaucoup de photographies de mode. Elle part en 1989 sur les pas de Michel Leiris (un ethnologue français), ce qui lui inspire un premier ouvrage, Sur les traces de L’Afrique fantôme. Elle est d’ailleurs lauréate de la Villa Médicis hors les murs pour ce travail. Elle est restée proche de l’Afrique et a fondé en 1994 la première Biennale de la photographie de Bamako au Mali. Sa carrière (toujours en cours) est riche de voyages, projets, toujours avec cette approche documentaire profonde. C’est ce que je retiens le plus de son travail, sa capacité à trouver un sujet, et à le creuser jusqu’à taper le fond.
Idem, le Photo Poche est un bon début pour découvrir son œuvre :
Sophie Calle
Sophie Calle est une artiste plasticienne, photographe, femme de lettres et réalisatrice française. Son travail d’artiste est centré sur sa vie, et notamment des moments les plus intimes, afin d’en faire une œuvre. Elle utilise tous les supports possibles : livres, photos, vidéos, films, performances, etc.
C’est surtout son ouvrage Suite Vénitienne qui l’a fait connaitre. Elle a suivi et photographié un homme, un inconnu, toujours le même le temps d’un voyage à Venise. Elle lui a proposé de poser pour elle à la fin, ce qu’il a refusé, souhaitant rester anonyme.
Sarah Moon
Sarah Moon, née Marielle Warin le 17 novembre 1941 à Vernon (Eure), est une mannequin puis photographe française. Si je précise son lieu de naissance, c’est parce que je suis aussi né à Vernon, 17 411 jours soit 47 ans, 8 mois et 2 jours plus tard (oui, cette information n’a aucun intérêt).
Ce qui est avant tout marquant dans l’œuvre de Sarah Moon, c’est son rapport à la fiction. Depuis ses premiers clichés, ses photographies n’ont eu de cesse d’illustrer un certain désir de détachement de la réalité (d’où son choix de se lancer dans la photographie de mode, puisqu’il n’y est question que d’illusion, de séduction, de rêve et jamais de représentation fidèle du réel). Ses photographies sont, pour la plupart, mises en scène. Il y a, chez elle une vraie volonté de brouiller les pistes, autant par ses choix de mises en scènes irréelles que par le traitement particulier de ses images qui est devenu sa signature. Robert Delpire entre autres a dit de sa photographie qu’elle tend à « déréaliser » tout ce qu’elle prend.
Le processus de développement est aussi central dans son œuvre. Une grande partie de ses polaroids sont marqués par des dégradations. Ces procédés évoquent le temps, la décomposition, l’avancée inexorable vers la destruction et, dissimulant parfois une partie de la scène représentée, ces accidents représentent l’absence du passé dans le présent, la perte de l’impression vécue, le manque, la fragilité du souvenir. L’apparition des taches, et d’« accidents » minutieux sur le négatif ou lors du tirage de ses épreuves forme aussi des strates représentant la photographie et ses procédés techniques. Outre les dégradations, des flous interviennent dans nombre de ses photographies. Deux types de flous sont récurrents : des flous dus au mouvement du sujet et à un long temps de pose ; et des flous orchestrés par des expositions répétées d’une même image légèrement décalée à chaque fois, dédoublant ainsi les contours et annihilant toute vérité.
Safaa Mazirh Ben Rahou
Artiste autodidacte, Safaa Mazirh s’est confrontée pour la première fois à la photographie dans le cadre des ateliers de l’association Fotografi’art qui regroupe à Rabat plusieurs jeunes photographes.
Fascinée par les mouvements du corps sur scène, elle a rapidement engagé un travail sur cette thématique avec plusieurs compagnies de théâtre. De leurs spectacles, Safaa Mazirh a su retenir l’art de la mise en scène, en construisant en quelques mois un théâtre photographique du réel. Depuis 2014, elle a été exposée dans de nombreuses galeries françaises et marocaines.
Guia Sara Besana
Guia Besana est une photographe autodidacte italienne vivant et travaillant entre Paris (France) et Barcelone (Espagne). Avec une attention particulière aux problèmes des femmes, elle voyage dans différents pays pour ses projets. Son travail est régulièrement publié dans des magazines et blogs internationaux: BLINK, le blog photo CNN, le New York Times, Huffington Post, Marie Claire, Vanity Fair, Le Monde, Courrier International, Esquire … Son travail personnel a été reconnu par plusieurs prix internationaux : Los Angeles LADCA (USA), MIFA (Russie), MarieClaire International Award, AI AP (USA), PWP – Professional Women Photographers (USA), finaliste du prix Julia Margaret Cameron (France), finaliste du Prix Leica Oskar Barnack. Avec son projet personnel «Baby Blues», elle a remporté l’Amilcare Ponchielli Grin 2012 (Italie).
Ses images ont été exposées à Los Angeles, à New York, à Buenos Aires, en Italie, en France, en Espagne et en Malaisie. Avec un CV pareil, j’étais assez surpris de ne pas l’avoir découverte avant. Mais vous me direz, Alexandre Benalla a aussi un CV de folie, et ça n’empêche pas d’avoir quelques doutes sur ses compétences. Mais le travail de Besana est à la hauteur de sa reconnaissance, elle est capable d’aller photographier le bout du monde (voir ici), et c’est aussi une excellente portraitiste.
Elle est aussi à l’aise sur des projets plus personnels, comme POISON, une suite de mises en scène colorées autour du thème de l’empoisonnement, ou avec Under Pressure, des photographies allégoriques sur la pression sociale que subissent les femmes en société.
Zineb Sedira
Zineb Sedira est une artiste britannique d’origine française et algérienne. Elle vit à Londres et travaille entre Alger, Londres et Paris. Son travail porte principalement sur des questions d’histoire, de conservation, de transmission de la mémoire de l’immigration et de la guerre d’Algérie.
Empreint de sa fascination pour la relation mère/fille, son projet Mother, Daughter & I (2003) met en scène trois générations de femmes, et pose la question de la transmission dans un monde globalisé. On peut le trouver, entre autre, dans les collections du Centre Pompidou et de la Tate Modern…
Partagez cet article :
Jane Evelyn Atwood
J’ai déjà parlé de Jane Evelyn Atwood dans deux articles La démarche photographique et Construire un projet photographique, comme si à chaque fois que j’avais besoin d’un exemple sérieux, c’était elle que je ressortais. En fait, je voulais parler de Mary Ellen Mark (je confonds régulièrement leurs deux travaux (elles ont 2 prénoms + 1 nom ça me perturbe). Je vous invite donc à relire les deux paragraphes consacrés à leurs œuvres dans ces billets, et je fais un simple récapitulatif pour les quelques flemmards de l’assemblée : Jane Evelyn Atwood, née à New York, est une photographe franco-américaine. Elle vit et travaille en France depuis 1971, résidant entre la Bretagne et Paris. Elle est célèbre pour son travail sur la prostitution dans la rue des Lombards, à Paris, pour lequel elle s’est vraiment immergée dans ce milieu. Ci-dessous, quelques images de ce travail :
Si vous souhaitez en apprendre plus sur son parcours, c’est par ici :
Sally Mann
J’ai aussi déjà parlé de Sally Mann dans ce billet, Quand la photographie est-elle rentrée dans l’intime ?. Sally Mann, c’est un peu mon exemple joker à chaque fois que j’ai besoin de défendre l’idée que oui, la famille proche, les enfants que l’on a, c’est un sujet tout autant valable, pertinent et intéressant que la guerre en Irak ou les passants de la 5e avenue de New-York.
Sally Mann est surtout réputée pour son œuvre très controversée, Immediate Family, où elle ré-invente la photographie de famille (présente dans la bibliographie). Ses photographies sont directes, viscérales, crues mais sans vulgarité. Elles sont sans artifices. Ces photographies, prises entre 1984 et 1991, montrent son fils Emmet et ses deux filles Jessie et Virginia dans l’intimité de la vie de tous les jours où se mêlent l’innocence des jeux d’enfants, une sensualité troublante (c’est surtout ça qui a posé problème à l’Amérique puritaine) ainsi qu’une vertigineuse mise en abîme sur la mort, la violence et la vie. Elles lui donnent une renommée internationale mais suscitent des polémiques dès la seconde moitié des années 1990. L’auteure est ainsi accusée d’exhiber ses enfants et son travail se trouve censuré et vandalisé. Néanmoins, ses enfants, désormais adultes, prennent sa défense face aux attaques qui persistent, comme le montre l’exposition organisée à Lausanne, en 2010, taguée et privée de sponsors.
Quant à la réalisation de ses projets, Mann photographie le plus souvent en noir et blanc en format 8×10. Elle travaille elle-même ses épreuves dans son laboratoire personnel. Elle réalise ses prises de vue surtout en extérieur, la plupart du temps dans sa grande propriété à Lexington, isolée dans les bois des montagnes Blue Ridge. Ses photographies jouent sur des contrastes profonds, conférant à des sujets de la vie quotidienne un caractère sensuel et mystérieux.
Le livre dont sont issues ces photographies :
Mary Ellen Mark
Je n’aime pas photographier les enfants en tant qu’enfant. J’aime les voir comme des adultes, comme la personne qu’ils sont vraiment. Je suis toujours à la recherche de qui ils pourraient devenir.
Mary Ellen Mark
Mary Ellen Mark est une photographe documentaire américaine, connue pour ses reportages au travers des États-Unis, dans lesquels les portraits occupent une place prépondérante. Elle a fait partie de l’agence Magnum entre 1977 et 1982 (elle a ensuite exercé en tant que photographe indépendante, et réalisé des commandes pour des magasines tel que Life, The New York Times Magazine, The Rolling Stones et Vanity Fair.). Je la connais surtout pour le livre paru chez Aperture, Mary Ellen Mark on the portrait and the moment, une masterclass qui a été adaptée en livre (aussi dans la bibliographie) et qui est vraiment un must-have pour qui souhaite progresser dans le domaine du portrait documentaire et de la photographie plus généralement.
Si certains des photographes comme Sarah Moon (présentée ci-dessus) pratiquent leur art pour s’échapper de la réalité, Mary Ellen Mark avait l’habitude de dire qu’ »il n’y a rien de plus extraordinaire que la réalité« , et ce sont des portraits ancrés dans la réalité des milieux les plus défavorisés qu’elle souhaitait représenter à travers son travail de photographe. Abordant toujours un thème visuel et une idée spécifique de sujet de photojournalisme social pour ses projets, elle a réalisé des séries dans des maisons closes, des cirques d’Inde, les rues de Seattle, des milieux défavorisés de Caroline du Nord ou encore un hôpital psychiatrique.
Ce livre (en anglais), est une petite perle. Ce n’est pas un livre photo rétrospectif ou sur un projet particulier, mais une véritable masterclass où elle partage sa vision de la photographie, ses conseils, et détaille sa pratique. C’est vraiment à lire.
Susan Meiselas
Susan Meiselas, née à Baltimore (Maryland) est une photographe américaine. Elle est, au passage, titulaire d’une maîtrise en éducation visuelle de l’Université Harvard (la base). Elle a commencé la photographie en s’intéressant aux gens de son quartier (ce sont les photographies de ce paragraphe). Son premier essai photographique majeur portait sur la vie des femmes pratiquant le strip-tease dans les foires de la Nouvelle-Angleterre, qu’elle a photographiées pendant trois étés consécutifs tout en enseignant la photographie dans les écoles publiques de New York. Carnival Strippers a été publié en 1976 et une sélection a été installée au Whitney Museum of Art en juin 2000.
Meiselas a rejoint Magnum Photos en 1976 et a travaillé comme photographe indépendant. Elle est surtout connue pour sa couverture de l’insurrection au Nicaragua et ses nombreux documents sur les droits de l’homme en Amérique latine. Elle a publié sa deuxième monographie, Nicaragua, juin 1978-juillet 1979, en 1981. En 1997, elle a réalisé un projet de six ans portant sur une histoire photographique centenaire du Kurdistan. Puis en 2001, elle a produit Pandora’s Box, qui explore un club S & M new-yorkais.
Son projet le plus récent, A Room Of Their Own (2015-2016), explore les expériences des femmes dans un refuge au Black Country UK. Répondant à une commande de l’organisation artistique britannique Multistory, Meiselas a animé une série d’ateliers avec des femmes réfugiées pour créer un récit visuel combinant des photographies, des témoignages de première main et des œuvres d’art originales. A Room Of Their Own a été publié par Multistory en 2017.
Meiselas est une photographe majeure du XXe siècle. Elle a eu des expositions en solo à Paris, Madrid, Amsterdam, Londres, Los Angeles, Chicago et New York, et son travail est inclus dans des collections du monde entier. Elle a reçu la médaille d’or Robert Capa pour son travail au Nicaragua (1979); le prix d’excellence Leica (1982); le prix Engelhard de l’Institute of Contemporary Art (1985); le prix Hasselblad Foundation Photography (1994); le prix Cornell Capa Infinity (2005); la Harvard Arts Medal (2011) et, plus récemment, une bourse Guggenheim (2015). En 1992, elle a été nommée boursière MacArthur.
Meiselas a été présidente de la Fondation Magnum depuis sa création en 2007. Une exposition rétrospective, Mediations, a été présentée au Jeu de Paume et puis au MoMA de San Francisco. Elle est présentée dans cette vidéo :
Le livre, issu de l’exposition est une pépite que je vous recommande, si vous souhaitez découvrir en profondeur son travail (il y a beaucoup de reproduction de ses carnets de note) :
Helen Levitt
Helen Levitt est une photographe de rue américaine. Personne n’a photographié comme elle le bouillonnement de la rue à New York la métropole qui était son terrain de chasse (qu’elle n’avait quitté une seule fois pour un voyage mexicain en 1941). Elle commence la photographie, en délaissant ses cours de peinture à 18 ans, en autodidacte. et se nourrit de visites dans les musées, de films (Zéro de conduite, de Jean Vigo ; Le Sang d’un poète, de Jean Cocteau), de culture noire et de jazz.
Son œuvre est née sur le trottoir, au milieu des années 1930, et elle s’y est développée jusqu’à la fin, en 1991. Elle a essentiellement photographié le quartier latino et noir d’East Harlem, avant qu’il ne devienne un ghetto, et à une époque où les enfants n’étaient pas encore rivés à la télévision. Une zone de travail restreinte, mais qu’elle a creusée jusqu’au fond, produisant une œuvre immense, une des plus fortes de la photographie du XXe siècle.
Sa vie a changé, en 1935, quand elle découvre le travail d’Henri Cartier-Bresson, produit dans les rues d’Italie ou du Mexique. A l’époque, elle a 22 ans, Cartier-Bresson 27. Il passe toute l’année 1935 à New York, pour préparer son exposition avec Walker Evans et Manuel Alvarez Bravo. Cette année là, elle ne prend pas une photo, mais absorbe le travail de Cartier-Bresson, l’accompagne dans la rue, sait désormais ce qu’elle veut faire. Pour l’anecdote, c’est à cette période qu’il lui donne une photo, qu’elle a punaisée dans sa cuisine ; elle s’y trouvait encore peu avant sa mort. La deuxième grande rencontre de sa vie d’artiste est celle de Walker Evans. Elle lui montre ses images en 1938. Ils partagent un laboratoire, font des photos ensemble dans le métro. Elle lui a emprunté la dureté sèche de l’esthétique documentaire.
Evans, Cartier-Bresson, Levitt forment un sacré trio. On pourrait presque dire qu’ils résument la photographie de la première moitié du XXe siècle à eux trois. Trois photographes d’envergure, trois pensées sur le documentaire. Le premier, réputé pour sa méchanceté (ce qui est quand même impressionnant quand on est dans la même équipe que Cartier-Bresson, qui était réputé pour ses colères très dures), a eu cette formule célèbre : « Les seuls photographes qui ont su tracer une voie entièrement nouvelle sont moi-même, Henri Cartier-Bresson et Helen Levitt. » Et Levit a dit : « Evans était brillant, très brillant. Mais Cartier-Bresson était un génie ! »
Le talent d’Helen Levitt a été reconnu très tôt par les grandes institutions américaines : Steichen lui consacra une exposition individuelle en 1943 au Musée d’Art Moderne de New York (MoMA). La Fondation HCB lui a rendu hommage à son tour, plus de cinquante années plus tard, une « photographe rebelle dotée d’un esprit libre, frondeur et merveilleux » (selon Agnès Sire, directrice de la fondation).
Elle fut pourtant longtemps oubliée par la suite. Son style, entre l’art et la presse, était mal identifié (elle ignorait les journaux, refusait les commandes). Ses photos de petit format ne sont pas spectaculaires, et elles ne montrent pas un pays conquérant. Elle ne sortait pas de chez elle, voyait peu de monde, avait un sale caractère, et vivait modestement. En 2000, au Salon Paris Photo, un portrait de cinq gamins dans la rue a trouvé preneur à 400 000 francs. Cela n’a pas suffi à la faire sortir de chez elle.
La seule façon de s’approcher d’elle, c’est par les images, ses livres. Peu de texte, beaucoup de place aux images, je vous conseille ce livre rétrospectif. C’est une belle bête, de grand format, les images y sont très bien reproduites.
[/emaillocker]
Céline Clanet
Céline Clanet est une photographe française, diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles. Entre expositions personnelles, collectives, prix, bourses, livres, son CV est très bien rempli. Ses photographies se retrouvent dans les collections de la Société Française de Photographie, France, du Portland Art Musem ou encore dans les Archives Départementales du Conseil Général de Savoie. J’ai découvert son travail à l’occasion de l’écriture de ce billet, et je dois avouer que c’est mon deuxième coup de cœur de cette liste avec Laura Pannack. Qu’il s’agisse de travaux de commande (de reportage principalement, sur des sujets variés comme la construction, ou la chasse à la palombe dans le pays basque) ou de travaux personnels, elle a un sens de la composition et de la gestion de la couleur que j’apprécie beaucoup. Il y a deux projets, dans son travail, que j’ai particulièrement aimés :
Kola
Ces photographies sont le résultat de 5 ans d’exploration de la Péninsule de Kola, aussi appelée Oblast de Mourmansk ou Laponie Russe. Un territoire arctique situé à l’extrême nord-ouest de la Russie, entouré par la Mer Blanche et la Mer de Barents.
C’est une terre âpre, où les habitants doivent s’accommoder d’un hiver sans aucun soleil pendant deux mois, et d’une année entière sous climat arctique. Des Sámis se sont installés ici il y a des milliers d’années, pour vivre en nomades parmi leurs rennes, et tentent aujourd’hui de maintenir cette identité. D’autres peuples aussi y sont venus, de toutes parts de Russie, pour construire leur vie et domestiquer l’Arctique russe. C’est aussi un territoire secret qui abrita, durant l’ère soviétique, la plus grande concentration d’installations militaires et d’armes nucléaires au monde et c’est encore aujourd’hui la base de la « Flotte du Nord », ainsi que de plusieurs villes militaires fermées et interdites.
Une terre fragmentée, partagée entre des industries minières lourdes, des activités militaires secrètes et l’élevage du renne par un peuple indigène.
Rendue partiellement inacessible à cause du manque d’infrastructures, des interdictions militaires ou de la barrière de la langue, la péninsule secrète a néanmoins concédé ces images à Clanet. Via ce corpus, on la suit s’enfoncer dans les paysages de ce lieu obscur, comme si elle avait un pied dans une neige mystérieuse dont la profondeur serait inconnue.
Máze
Ce projet porte aussi sur le grand nord. Depuis 2005, Céline Clanet se rend régulièrement à Máze, un village sámi situé tout en haut de la carte européenne, au-delà du cercle arctique, en Laponie norvégienne. Elle y a photographié les gens, les maisons, les rennes et un territoire qui ne devraient plus être là aujourd’hui, devant être noyés sous les eaux d’un barrage hydro-électrique planifié par le gouvernement norvégien au début des années 70, projet heureusement abandonné, sous la pression et la résistance Sámi. C’est aussi un endroit qui va sans doute se transformer de manière radicale dans le siècle à venir, à cause des ravages du réchauffement climatique et de l’acculturation.
Par son travail, elle fait de Máze le symbole de la résistance et de l’impuissance.
Fierté, méfiance, silence et grande beauté y règnent.
Vous pouvez retrouver 2 interviews de Céline Clanet sur France Culture.
Kate Barry
Je ne sais pas si c’est le fait de grandir dans une famille d’actrices qui a rendu l’idée de la solitude si éprouvante. Je viens d’une famille d’actrices, de mon arrière-grand-mère à ma grand-mère, de ma mère à mes sœurs. Mon père, la musique qui les accompagne. Qui accompagne toutes ces histoires racontées, tous ces rôles joués. C’est une histoire de famille où le regard de l’autre s’est toujours posé, s’est toujours joué, s’est toujours mesuré.
Kate Barry
Kate Barry, née à Londres et décédée à Paris était une photographe portraitiste britannique. C’est la fille de la comédienne, réalisatrice et chanteuse Jane Birkin et du compositeur John Barry, ce que j’ai découverte totalement par hasard. J’ai acheté le livre rétrospectif The Habit of Being lors d’une braderie au Jeu de Paume, séduit par son regard sur le banal urbain.
Ma démarche photographique a bifurqué avec les paysages, ou les portraits de paysages, car elle est née du besoin de me soustraire à la relation duelle qu’implique le portrait. Je l’ai menée sur une période d’environ quatre ans, dans des lieux qui se trouvaient généralement vides et en retrait. Sans plan préalable, retenue par rien, pendant plusieurs années j’ai donc fait des allers-retours, entre portraits et paysages, les paysages pour tenter de répondre à des questions que chacun peut légitimement se poser face à la temporalité des choses, notre impossibilité de pénétrer leur sens, notre caractère provisoire. Une tentative d’ordonner les choses.
Kate Barry
Le livre – The Habit of Being
Ce livre regroupe ses portraits de paysages, tout un pan méconnu du travail photographique de Kate Barry. Tout en délicatesse et fragilité, elle savait contempler ces paysages animés d’objets abandonnés, de plantes résilientes, habités par la force des petites choses. Ce livre nous invite à remonter le fil d’une œuvre magnétique réalisée entre 2002 et 2008. Depuis ses planches contacts que Kate Barry découpait soigneusement pour isoler ses images préférées jusqu’à son choix pour des plus grands formats, l’ensemble est accompagné de nombreuses citations issues de notes de travail et correspondances. Vous pouvez en découvrir un peu plus sur ce projet, dans cette vidéo (sa mère Jane Birkin y témoigne d’ailleurs).
Conclusion
Il n’y a rien qui me ferait plus plaisir, si ce billet réveillait ou déclenchait une vocation. Si après sa lecture, une femme, peu importe son âge, passe de « c’est un truc de mec la photo » à « D’autres l’ont fait avant donc je peux le faire », alors le pari est totalement gagné.
Ce tour d’horizon est là pour ça, pour ce changement là, partagez-le autour de vous. Mes billets sont parfois drôles, parfois poussés, parfois barrés ou légers, mais je suis persuadé que celui-ci peut faire du bien à ceux et celles qui le liront.
Bon, et comme il serait malvenu de crier des problèmes sur tous les toits, de se plaindre de l’absence de solution pour les régler et de ne rien tenter, je me suis demandé comment faire avec mes petits moyens pour aider. Et la meilleure idée que j’ai eu (les commentaires sont ouverts si vous en avez d’autres) c’est de m’engager publiquement à illustrer tous mes billets, à partir de celui-ci, en respectant la parité homme/femme (à l’exception bien évidemment des billets thématiques sur un ou une photographe, parce que ça serait par définition impossible). Je vous invite à me rappeler à l’ordre quand ça ne sera pas le cas ;).
Ps : j'ai aussi réalisé une version vidéo de cet article.
La dose de ressources sur le sujet
Les rapports (tous accessibles en ligne) :
- Alain QUEMIN (Direction générale de la coopération internationale et du développement), Le rôle des pays prescripteurs sur le marché et dans le monde de l’art contemporain. Juin 2001.
- Reine PRAT – mission pour l’égalité et contre les exclusions – mai 2006 – rapport d’étape n°1
- Reine PRAT – mission pour l’égalité h/f – mai 2009 – rapport d’étape n°2 : De l’interdit à l’empêchement.
- Brigitte GONTHIER-MAURIN (Sénatrice), Rapport d´information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le thème « La place des femmes dans l’art et la culture », 2013.
- Reine PRAT, « Arts et culture … Et que rien ne change ! », Travail, genre et sociétés 2015/2 (n° 34), p. 187-191.
- Irène JONAS, Et pourtant, elles photographient… Le parcours des femmes photographes, étude sociologique, mai 2020.
Ressources en ligne :
- Atlantes et cariatides, le blog sur la place des femmes dans la photographie.
- GADREY, J., Les coûts gigantesques des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes, Alternatives économiques, 31/10/2017.
- VisuellesArt (blog)
- FemmesPhotographes, le blog de l’association ayant l’objectif de proposer une alternative au manque de visibilité de la photographie pratiquée par les femmes.
- Les femmes s’exposent, site du festival dédié aux femmes photographes professionnelles toutes catégories en France et à l’international, à Houlgate.
- Quelle place pour les femmes photographes ? Podcast de l’émission Regardez, voir de France Inter.
- Jack Parker : « Ouvre ta gueule ! », Podcast paru dans l’émission Nouvelle école. Elle y aborde notamment sa découverte du féminisme et de comment elle considérait (avant) les oeuvres des femmes comme « moins bien ».
- Rencontres photo d’Arles : où sont les femmes ?, Libération, 03/09/2018.
Et forcément, Ni vues Ni Connues ? Comment les femmes font carrière (ou pas) en photographie, la conférence s’étant tenue à la Maison Européenne de la photographie en 2015.
Laisser un commentaire