Il faut que je vous raconte une histoire, et comme très souvent quand je raconte une histoire, on va faire quelques détours. Le contexte, c’est souvent important.
Cette année, comme quasiment chaque année depuis que j’ai déménagé dans le Nord et que la pandémie ne l’empêche pas, je suis allé à la braderie de Lille. D’ailleurs, fun fact, je me suis même retrouvé sur France 2 par un heureux concours de circonstances. Vous pouvez le constater par vous-même.
En dehors de quelques messages de proches et connaissances surpris de voir ma tête apparaître sur leur poste de télévision un samedi à 13h, la braderie m’aura apporté autre chose cette année. Il ne s’agit pas d’appareils photo, non non (j’en ai déjà bien trop pour mon usage), mais du contact d’un homme fort sympathique, Marcel, ancien professeur d’histoire de l’art et grand collectionneur de livres d’art.
Après quelques échanges à base de fichiers Word très longs et très détaillés et d’une visite dans sa caverne d’Ali Baba, je me suis retrouvé avec ce livre (parmi plein d’autres, évidemment, vous me connaissez) :
Ce livre est introuvable, souvent hors de prix et… c’est à juste titre. Il m’a mis une claque, mais pour les bonnes raisons. Il y a plusieurs degrés, quand on prend une claque artistiquement. Le choc, le punctum a plusieurs saveurs et intensités. Prenons cette vidéo :
Quand dedans je vous parle du travail de Pierre Belhassen (j’ai calé la vidéo au bon moment), je parle de l’œuvre qui m’a secoué, bluffé, surpris.
Mais avec Ray K. Metzker, on est sur un tout autre ordre de grandeur. Au-delà de la qualité inouïe, constante et indiscutable de ses images, c’est bien son approche, sa vision et sa philosophie qui m’ont fait le plus grand bien. Mais avant de vous en parler, il va falloir regarder un peu dans le rétroviseur.
Est-ce que je suis en train de vous proposer de vous donner du contexte, après une introduction contextualisant l’achat d’un livre ?
Oui, parfaitement. C’est l’avantage d’être chez soi, on choisit le menu à l’apéro.
10 ans de pratique photo… et après ?
Si vous me lisez depuis des années, vous connaissez sans doute déjà l’histoire, sinon, vous allez la découvrir. Quoi qu’il en soit, je vais vous la faire courte : j’ai commencé la photographie à la fac (vers 2007-2008). À l’époque je faisais de la musique et, pendant un moment, j’ai un peu laissé tomber. J’ai repris la photo sérieusement en 2013, quand j’ai entamé ma vie professionnelle (c’était plus simple avec mon rythme de vie).
Cela fait donc 10 ans. Une décennie que je me penche sur le sujet, creuse, inspecte, imagine, réfléchis, partage. Et donc, c’est aussi l’occasion de mettre un petit coup d’œil dans le rétroviseur.
Quand j’ai fait l’interview avec Cliff Chan l’année dernière et que je lui ai demandé s’il avait des conseils à donner au photographe débutant qu’il était…, il a répondu que ça serait sûrement l’inverse. Qu’il aurait sans doute à apprendre de son « lui du passé », de l’énergie créatrice qu’il avait.
Et j’avoue qu’en ayant les images sous les yeux, je comprends cette réflexion. Parce qu’en regardant ces images, je n’ai pas honte, au contraire. J’aime encore beaucoup celle-là, que j’avais intitulée Fantôme.
J’essaye plus d’ressusciter des fantômes
Orelsan – Fantômes
Le teint pâle, les dents jaunes
On n’a jamais eu d’grandes causes
On avait juste des temps d’pause
Et si je continue de creuser, je continue d’en trouver que j’apprécie. Je vous en mets quelques-unes pour la forme.
Quand je me replonge dans les images de cette époque, je me rappelle une chose : ce que je cherchais à faire, c’est des bonnes images. Comme tous les débutants, en vrai. Je ne connaissais rien à rien, n’avais ni culture, ni projets, ni trop de connaissances techniques. Mais je prenais mon appareil avec juste cette envie-là : aller faire de bonnes images.
Comme il y a toujours un petit malin pour me dire « D’après toi, c’est quoi une bonne photo ? », on va écarter ce sujet tout de suite, pour la simple et bonne raison que : je n’en sais fichtrement rien. Je n’ai pas de grille sous le coude, là, toute prête avec un système de points qui vous permettrait de faire systématiquement le tri sans jamais vous planter. Le mieux que j’ai, c’est une méthode d’analyse :
En revanche, le fait que quand je dis « une bonne photographie » vous voyiez tous de quoi je veux parler montre qu’intuitivement il y a quand même une base commune que l’on met derrière ce terme. Disons que vous allez plus souvent penser à une image intelligemment composée qu’à la dernière photo que vous avez prise pour l’envoyer à votre assureur, suite à un accident de voiture. Mettre des mots sur le concept pour le préciser va souligner nos différences et divergences, mais refuser de le faire ne signifie pas que nous n’avons pas une base d’acception commune de ce terme.
Donc donc donc.
À mes débuts, comme je vous le disais, je me concentrais sur la production de « bonnes » images. Puis j’ai commencé à me documenter et à structurer ma pratique. Les images sont devenues des séries, qui sont devenues des projets, les projets des livres, des zines ou expositions. L’expérience acquise s’est transformée en formations, vidéos YouTube et ainsi de suite.
Il a fallu faire, comprendre comment faire, puis l’expliquer. Et ça, évidemment, ça a eu un impact sur ma pratique. À un moment donné, je pense qu’il m’était devenu difficile de faire des photographies sans répondre à la question : où est-ce qu’elles vont aller ? C’est quoi leur but ? Leur utilité ?
D’une certaine façon, j’avais l’impression (c’est sans doute toujours un peu le cas d’ailleurs) d’avoir un regard par-dessus mon épaule, le vôtre. Un regard à qui, après avoir expliqué tant de choses, je devais un peu des comptes. Produire des projets régulièrement, toujours meilleurs que les précédents, sortes de vitrines des méthodes dont je fais la promotion.
Et globalement : oui, ça fait sens. Je reste convaincu que la pratique artistique de la photographie est une excellente façon de s’y épanouir, s’exprimer, et d’y être créatif. Mais ce n’est pas pour autant que tout a vocation à aller dans un projet photo (ce que je dis d’ailleurs moi-même aux élèves des formations, mais que j’ai du mal à suivre 😅).
C’était devenu une pression, et le concept de la pression c’est que si elle est trop forte, elle écrase les choses. C’est sans doute pour ça que depuis quelques mois je me questionne un peu sur ma pratique. Ce que vous avez pu voir dans cet article et cette vidéo :
PS : Après, rassurez-vous, je n'ai pas DU TOUT abandonné toute pratique artistique. J'ai commencé un projet pendant le confinement, qui devrait être (en partie) exposé l'année prochaine. Ce que je décris là, c'est plus des creux, des périodes moins créatives à cause des mécanismes que je présente.
Et donc, comment tout ça se goupille et nous permet de retomber sur le sujet du jour ?
Eh bien, c’est assez simple. J’ai repris en main ma pratique photo avec un bon gros « fuck it ». Tant pis si les images que je fais ne servent à rien. Tant pis si elles ne vont pas dans un projet, ne peuvent pas servir à illustrer un concept ou autre. Ce n’est pas ça l’important, parce que :
La photographie, c’est avant tout produire des bonnes images.
Thomas Hammoudi
Oui, je me cite moi-même.
Plus sérieusement, c’est ça que je me répète depuis quelques mois pour me motiver. J’ai envie de créer, essayer, observer, produire. Mais pas forcément me lancer dans un gros projet, une exposition, un livre ou trouver du sens à tout ça. Et ça tombe bien, parce que la photographie, c’est avant tout produire des bonnes images.
On verra le reste après, on a le temps.
Cette quête-là me (re)motive terriblement. Prendre un appareil photo et partir avec la question « qu’est-ce qu’on va bien pouvoir ramener ? » est assez grisant. Cela m’a aussi permis de déterrer par mal d’images des limbes où elles étaient. Ni abandonnées, ni publiées, mais « en attente de ». Ce sont les hors-séries qui sont sur ce site et que j’ai publiés sur Instagram.
La boucle est bouclée. En regardant dans le rétroviseur, je me rends compte qu’il m’a fallu une décennie pour revenir au point de départ. Et j’en suis assez heureux.
L’approche que je vous décris là, la quête des bonnes images, cette recherche permanente, c’est ce que j’ai retrouvé chez Metzker et qui m’a conforté dans cette vision. Mais son travail ne s’arrête pas là, et il est temps qu’on en parle aussi.
Des notes de lumière
Il est donc temps de nous pencher sur l’œuvre et la carrière de Ray K. Metzker. Pour ce faire, j’ai choisi de séparer les différents sujets afin de gagner en lisibilité. Nous allons donc parler :
- De ma nouvelle photographie préférée,
- De sa vie et de son œuvre,
- Des leçons à tirer de sa pratique.
La dernière partie est sans doute celle que je voulais le plus faire, mais elle nécessite les autres pour tenir debout.
Allons-y.
Ma nouvelle photographie préférée
Le titre est sans doute un peu exagéré (on se croirait presque sur YouTube), mais il y a du vrai dedans. C’est cette image qui m’a scotché, donné envie d’acquérir le livre (en serrant les fesses au moment de l’annonce du prix), de me plonger dans son œuvre et de vous concocter le présent article.
Cette image a donc été prise en 1957 à Chicago. Et contre toute attente, si j’en crois les informations de cette page présentant un lot d’images de Metzker mises aux enchères, il serait possible de l’acquérir pour « seulement » 7 500 €. Il est vraiment dommage que ma fille ait besoin d’être nourrie chaque jour, j’aurais pu me laisser tenter.
Et donc, pourquoi j’aime tant cette photographie ? 🤔
Je pense que c’est lié à plusieurs facteurs :
- L’ambiance très rétro et américaine. On ne va pas se mentir, ça marche toujours (même si je suis le premier à m’en plaindre). Le chapeau de l’homme avec sa veste, le bus « continental », la pharmacie Walgreens, tout y est.
- Les nuances de gris. Du blanc au plus noir des noirs, tout y est. C’est sans doute l’œuvre d’un habile tireur, mais le résultat est équilibré, riche, j’aime beaucoup.
- Et évidemment, la fabuleuse composition de l’image. Elle est clairement incroyable, je serais content de sortir 5 images comme ça dans ma vie (Metzker ne se gênera pas pour avoir un score très largement supérieur à ça 😅). Les lignes, courbes, verticales, tout s’enchaîne parfaitement. Ce n’est ni trop dense, ni pas assez, une leçon d’équilibre.
Et une fois qu’on tombe sur ça, on se dit : mais quel genre de photographe sort ce genre d’images ?
Eh bien, suivez-moi, c’est la prochaine partie.
NooOOh, biographie !
Vous avez la ref pour le titre ? 😅
Ray K. Metzker (10 septembre 1931 – 9 octobre 2014, à Philadelphie) était un photographe américain connu principalement pour ses paysages urbains expérimentaux en noir et blanc et pour ses composites (des assemblages de photographies).
Metzker est né à Milwaukee et a vécu à Philadelphie à partir des années 1960 jusqu’à sa mort (après un court passage en Europe). Il était marié à la photographe Ruth Thorne-Thomsen.
Il a été élève de Harry Callahan et Aaron Siskind à l’Institut de design de Chicago. Il s’y est inscrit en 1956, à l’époque où il était appelé « le nouveau Bauhaus« . Après l’obtention d’une maîtrise de l’Institut en 1959, le travail de Metzker a commencé à susciter une attention et une considération critique croissantes, d’abord d’Edward Steichen, qui était à l’époque conservateur de la photographie au Museum of Modern Art de New York. La première exposition solo de Metzker aura lieu au Museum of Modern Art en 1967.
Après ses études supérieures à l’Institut, Metzker a beaucoup voyagé en Europe en 1960-1961, où il a eu deux révélations : que la « lumière » serait son sujet principal, et qu’il rechercherait la synthèse et la complexité plutôt que la simplicité. Metzker disait souvent que l’artiste commence ses explorations en embrassant ce qu’il ne connaît pas.
Il a enseigné pendant de nombreuses années au Philadelphia College of Art et a également enseigné à l’Université du Nouveau-Mexique.
Les images de Ray Metzker remettent en question la nature de la photographie et de la « réalité » photographique. À travers le cadrage, les images composites, les expositions multiples, la solarisation, la superposition de négatifs et la juxtaposition d’images, le travail de Metzker a repoussé les limites de ce qui semblait formellement possible en photographie noir et blanc.
Il a été reconnu comme l’un des plus grands maîtres de la photographie américaine, son travail est détenu dans diverses grandes collections publiques et fait l’objet de huit monographies. Il a reçu des prix de la John Simon Guggenheim Memorial Foundation, du National Endowment for the Arts et de la Royal Photographic Society. Des rétrospectives de son travail ont été organisées en 1978 par l’International Center of Photography à New York et en 1984 par le Museum of Fine Arts à Houston, un spectacle qui s’est ensuite déplacé au San Francisco Museum of Modern Art, à l’Art Institute of Chicago, au Philadelphia Museum of Art, au High Museum of Art à Atlanta, à l’International Museum of Photography à Rochester et au National Museum of American Art à Washington, DC. En 2011, une grande rétrospective de la carrière de Metzker a été organisée par le Nelson-Atkins Museum of Art à Kansas City, qui a voyagé au J. Paul Getty Museum à Los Angeles et au Henry Art Museum à Seattle.
Bref, il est étonnement peu connu et représenté en Europe, mais est très connu et diffusé aux USA.
Les différentes phases de sa carrière
Ray Metzker a constamment poussé une idée ou une technique à l’extrême, découvrant ainsi ses limites et son potentiel. À la fin de chacune de ces incursions dans l’inconnu, il a changé de cap de manière spectaculaire. Metzker intitule et regroupe ses images en fonction de leur lieu ou de leur technique. Ensemble, ses différentes séries représentent sa vision artistique qui fusionne les réalités de la vie moderne avec les possibilités expressives intrinsèques du médium photographique.
Chicago, 1956–59
Lors de ses études à l’Institute of Design à Chicago, il a réalisé son premier ensemble cohérent de travaux personnels, des images du quartier des affaires de Chicago. Ces photos incarnent bon nombre des préoccupations formelles qui le fascineraient pendant les cinquante années suivantes.
Le projet de thèse de Metzker en 1959, My Camera and I in the Loop, prend pour sujet le centre-ville de Chicago, mais le résultat en dit plus sur la photographie que sur la ville.
Les images de ce projet ont été exposées à l’Art Institute of Chicago (1959-1960) et incluses dans le numéro d’Aperture consacré aux étudiants et professeurs de l’Institute of Design de l’Illinois Institute of Technology de Chicago (1961).
Europe, 1960–61
Après avoir obtenu son diplôme d’études supérieures en 1959, Metzker a voyagé dans toute l’Europe, photographiant dans plus d’une douzaine de pays. Il a ignoré les monuments pour se concentrer sur des préoccupations plus élémentaires : des piétons solitaires et des espaces urbains transformés par la lumière du soleil et l’ombre.
Early Philadelphia, 1962–64
Metzker a déménagé à Philadelphie en 1962. Il a photographié dans l’ancienne partie centrale de la ville, travaillant d’abord avec une chambre 4×5 pouces, puis avec un appareil photo 35mm.
En se concentrant sur des sujets quotidiens, il a transformé les gestes fugaces des inconnus et les aspects modestes de l’environnement urbain en de superbes images (et parfois assemblages).
Composites, 1964–84
Metzker est surtout connu pour ses « Composites », des images découlant de son idée qu’une seule œuvre peut être créée à partir d’une pellicule entière. De loin, elles se lisent comme des tapisseries abstraites et graphiques. Quand on se rapproche, on peut voir qu’elles sont composées d’une série de vignettes individuelles, qui peuvent être lues à la fois simultanément et séquentiellement.
Atlantic City & Sand Creatures, 1966–77
En 1966, il commence à travailler sur la ville d’Atlantic City et produit des images très graphiques, comme celle ci-dessous. Elles sont réalisées sous le ponton d’Atlantic City, il utilise les motifs de lumière qui pénètrent l’espace en forme de tunnel pour souligner des silhouettes à peine lisibles.
Mais ce n’est pas le travail qui l’a fait connaître lors de son passage dans cette ville. Fasciné par les baigneurs du littoral du New Jersey, Metzker est retourné plus de dix étés pour capturer des images spontanées de personnes en train de jouer ou de se reposer.
Les plus soucieux de la mode vont probablement sur d’autres plages, mais ce qu’Atlantic City a – et ce qui m’a attiré – c’est la diversité.
Ray K. Metzker
Sur le contenu des images et sa méthode de travail, Metzker a aussi déclaré :
Ce qui apparaît dans les images était la décision du sujet, pas la mienne. J’ai pris ce qu’ils ont présenté – des moments délicats – sans fioritures et sans glamour, pourtant tendres et exquis.
Ray K. Metzker
Metzker a utilisé une bourse du National Endowment for the Arts en 1975 pour rassembler la série sous le nom de Sand Creatures, publiée plus tard en 1979 sous forme de livre.
PS² : Je le dis, même si ça n'est certainement pas très important, mais c'est sans doute le travail que j'aime le moins, même si c'est l'un des plus connus. Comme quoi 🤷🏻♂️
New Mexico & Pictus Interruptus, 1971–80
En 1971, Metzker a accepté un poste de professeur visiteur à l’Université du Nouveau-Mexique. Il commence par photographier les lieux, dans un style proche de ses travaux passés, très graphique et aux compositions très travaillées.
Puis, la sobriété du paysage désertique et l’intensité de la lumière ont semé une graine créative, ouvrant la voie de sa série intitulée Pictus Interruptus. En plaçant des objets simples près de l’objectif de l’appareil photo, il a obscurci une partie de la vue lointaine. Les images résultantes unissent visuellement des formes nettes et floues, créant une tension entre représentation photographique et abstraction.
City Whispers, 1980–83
Avec cette série, Metzker est revenu à une approche technique relativement simple et aux terrains familiers que sont les rues des centres urbains comme Philadelphie et Chicago. À la fois rugueuses et gracieuses, ces images sont dominées par des ombres envahissantes et un sens de l’isolement et de la fragmentation.
Landscapes, 1985–96
Au milieu des années 1980, Metzker s’est détourné de la ville en tant que sujet pour se concentrer sur le paysage naturel. Ces œuvres combinent une mise au point sélective avec une palette tonale lumineuse et une densité visuelle ou dans la composition.
Late Philadelphia, 1996–2009
En 1996, Metzker est revenu à la prise de photographies dans les rues de sa ville d’élection, Philadelphie. Ces images sont lyriques, ludiques et sincères – une brillante synthèse de sa passion pour la magie de la lumière et de sa dévotion continue à unir les actes d’observation et d’invention.
Le récap
Et évidemment, vous pouvez retrouver toutes ces images et bien plus dans le livre Notes de lumière. Il est très cher et très difficile à dégoter, mais vous pouvez en avoir un bon aperçu ici :
Les leçons à retenir de son œuvre
Dans Notes de lumière, il y a justement une interview de Metzker qui termine le livre. Dedans, on lui pose cette question : Votre plaisir de photographier se ressent. Qu’est-ce qui vous fait croire en la photographie?
Je vous laisse lire sa réponse.
Il y a tant de sujets possibles, regardez dehors ! Quand je me promène, je suis attentif à chaque détail. Ce qui attire mon attention et me pousse à actionner l’obturateur est la première étape du processus. J’attends quelque chose qui fasse accélérer les battements de mon cœur. Mais même si je ne ressens pas cette excitation, il y a souvent quelque chose – que je ne peux pas vraiment décrire – qui résonne en moi et qui me pousse à continuer. Même si, dans un premier temps, ce n’est pas un cliché « à garder », il peut ressurgir dans le futur. Sortir et marcher, s’arrêter, étudier, jouer avec les possibilités. Regarder est l’activité principale de mon existence !
Donc, si je devais essayer de décrire mon modus operandi, savoir où et comment je fonctionne reviendrait à savoir où je pourrais être. Un autre point important de mon activité consiste à rechercher et à pousser mon médium aux limites de ses possibilités. Je n’ai pas besoin de lieux exotiques pour être stimulé. De la familiarité naît la nuance. Plus on revisite un sujet, plus on a de chances de faire des découvertes.
La puissance de l’image du « nuage » tient au fait que l’on croit d’abord que les formes sont des nuages pour ensuite réaliser qu’il s’agit de neige sur la route… Le défi est de savoir comment réinventer ce que l’on fait.
Ray K. Metzker
(Désolé pour la qualité, c’est un scan du livre, je ne l’ai pas trouvée sur le web)
Je la trouve incroyable. C’est ça qui m’a mis une claque (au-delà de l’excellence de son œuvre, dont vous avez une idée plus précise maintenant). Il y a absolument tout dedans. Des choses qui résonnent avec ma propre vision et pratique, des éléments sensés, pragmatiques, motivants. Honnêtement, j’ai déjà lu des livres de 300 pages sur la photographie où il y avait moins de sagesse pratico-pratique qu’ici.
Ainsi :
- Il souligne l’importance du regard. C’est la première chose qu’il répond. Avant tout, il regarde. Il est attentif à chaque détail. C’est le conseil que m’avait donné Joel Meyerowitz quand je l’avais rencontré à Paris Photo : « Always try and stay awake ». Essayez toujours et restez éveillé, ne vous endormez pas dans le brouillard votre appareil à la main. Photographier n’est pas l’acte qui démarre la photographie, c’est le regard. Comme lui, suivez les battements de votre cœur. Je ne compte plus les fois où j’ai fait demi-tour en me disant « si, y avait un truc » pour retourner quelques pas en arrière photographier une scène qui avait attiré mon attention.
Pour côtoyer pas mal de photographes de tous niveaux (à cause des formations notamment), je pense que la capacité à regarder ce qui vous entoure et à VRAIMENT regarder avant de foncer et déclencher partout peut vraiment faire de grosses différences sur la ligne d’arrivée. - Ensuite, il aborde la notion de recherche, de pousser le médium à ses limites. Vous l’avez vu en regardant ses travaux au fil des décennies : il cherche sans cesse. Il tente, essaie, modifie, colle, regroupe, innove, sans arrêt. Et passe aussi pas mal de temps à revisiter ses archives également (il en parle dans d’autres passages de l’interview). Encore une fois, le travail photographique, ça n’est pas de se pointer devant un paysage, de déclencher dans tous les sens puis d’aller triturer des boutons sur Lightroom comme si on essayait de décoller un chewing-gum de sous une table. Au-delà du regard dont on vient de parler, de la capacité à voir, les idées importent. Coller des images comme il l’a fait était brillant. Et vous n’avez besoin de rien d’autre que de réfléchir pour avoir ce genre d’idées, aucun matos ne vous le donnera. C’est ça qui est exaltant, je trouve : avoir autant de possibilités créatives là, maintenant. Comme il le dit, le défi est de sans cesse réinventer.
- Enfin : « de la familiarité naît la nuance ». AMEN TO THAT. C’est beaucoup plus facile de partir loin et de profiter du regard neuf du dépaysement pour sortir plein de « bonnes » images. Je le fais le premier, hein, c’est chouette. Mais j’aime tellement plus ces photographes qui arrivent à sortir des choses incroyables de leur environnement proche, vu, revu, et re-revu des centaines de fois. Je vous renvoie à cet article où je parle du travail de Wesley Verhoeve pour ça, qui en est un excellent exemple.
Impact & essais
Et c’est après avoir découvert Metzker que j’ai eu envie de me remettre à la multiexposition (en numérique, vu les prix de l’argentique, on va rester calme).
J’aime particulièrement cette image :
Ces trois-là, un peu moins, mais quand même assez pour vous les montrer :
Pour les faire, j’ai utilisé mon boîtier numérique, comme je le disais, mais j’ai oublié qu’il sortait des JPG et non des RAW (on a seulement des RAW des images individuelles que l’on peut réassembler soi-même, mais je préfère faire tout en une fois sur place). Du coup, je n’ai pas été aussi vigilant aux réglages que si je l’avais su, mais c’est un détail. Je le dis juste pour ceux qui voudraient se lancer.
Ce qui est intéressant, ce n’est pas les images pour elles-mêmes d’ailleurs, mais pour la démarche derrière. Metzker m’a donné envie de tester des choses, de combiner, créer, arranger les choses autrement. De tester des possibilités créatives que je laissais un peu de côté (et qui sont en vrai assez grisantes à utiliser, elles donnent beaucoup plus l’impression de créer que de capturer, un plaisir qu’on ne va pas bouder).
Bref, testez des choses.
Conclusion
Dans un autre bouquin et complètement par hasard, je suis tombé sur cette citation :
Une photo réussie n’est qu’une étape préliminaire vers l’utilisation intelligente de la photographie.
August Sander
Et j’avoue qu’elle résonne bien avec l’idée globale de cet article. Une bonne image n’est qu’une étape, qu’un morceau, vers une utilisation plus poussée de la photographie (les livres, les expos, et tout le bordel).
Metzker a excellé dans les deux tout au long de sa carrière, dans un équilibre assez bluffant entre la réussite des images individuelles et la cohérence de l’ensemble.
Personnellement, après avoir passé quelques années sur la deuxième partie (qui était chouette 🦉 à explorer), j’ai bien envie de petites étapes. Comme je le disais, la boucle est bouclée après 10 ans de pratique, back to square one. Créons, on verra le reste ensuite.
L’album que j’ai poncé ces dernières semaines, ainsi qu’une playlist qui rassemble les titres de Ruby Waters, que j’ai découverte en première partie de City & Colour il y a peu. Voilà, vous savez tout.
Laisser un commentaire