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Roy DeCarava : Entre ombres et lumières, le portraitiste de l’Amérique noire

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Roy DeCarava par Abe Aronow, 1984.

Une photographie est une photographie, une image, une illusion complète en elle-même, ne dépendant ni des mots, ni des procédés de reproduction, ni de quoi que ce soit d’autre pour exister, pour justifier son existence.

Roy DeCarava

Introduction

Il est sans doute le plus méconnu des grands photographes. Méconnu car il est peu sorti de sa ville, New York, et que sa reconnaissance par les grandes institutions a tardé à arriver. Méconnu, parce que son travail est dur. La puissance est là, la poésie aussi, mais les images sont sombres, à peine visibles. Il voulait vous faire ressentir ce qu’il avait ressenti, voir ce qu’il avait vu et se fichait du bruit ou des zones bouchées. Il faut creuser les images pour rentrer dedans, gratter à la surface. Mais personne n’en a fait ni n’en fera de cartes postales.

On lui doit des travaux remarquables sur le quartier de Harlem d’où il est originaire et auquel il a consacré près d’un demi-siècle.

Noir américain, il n’a jamais versé dans la photographie documentaire d’un James Van Der Zee ou d’un Gordon Parks, au contraire. Il a souhaité développer :

Une expression créative, la volonté d’exprimer l’intime de la condition des Noirs, que seuls l’un des leurs peut réellement interpréter.

Roy DeCarava

Comme il l’a expliqué en 1952 en déposant son dossier pour obtenir une bourse de la fondation Guggenheim. Il sera d’ailleurs le premier photographe afro-américain à l’obtenir.

Grand amateur de jazz, il s’est aussi penché sur ce monde, avec son appareil photo, essentiellement à Manhattan.

Cet article sera donc consacré au photographe Roy DeCarava.

PS : Sauf mention contraire, toutes les photos sont de Roy DeCarava.

Jeunes années

Roy DeCarava est né dans le quartier de Harlem à New York en 1919, et a d’abord étudié l’art dans les écoles publiques de la ville, notamment à la Textile High School, dont il est sorti avec les honneurs en 1938.

Il travaille ensuite dans la division des affiches de la Works Progress Administration, où il réalise un temps des gravures et des peintures, avant d’être admis à la Cooper Union.

DeCarava y étudie jusqu’en 1940, date à laquelle il part suivre les cours du Harlem Community Art Center jusqu’en 1942, puis ceux de la George Washington Carver Art School jusqu’en 1945.

Parmi ses premières influences à cette époque figurent le peintre néerlandais Vincent van Gogh et les muralistes mexicains Diego Rivera et David Alfaro Siqueiros. Il développe aussi un intérêt pour le clair-obscur, hérité de la peinture. Par la suite, ses photos vont davantage plonger dans le contemplatif à la façon d’Edward Steichen que dans le dynamisme et l’énergie d’un Garry Winogrand dont on a déjà parlé dans cette émission. Justement, la photographie, parlons-en.

Les débuts en photo

DeCarava a d’abord utilisé un appareil photo comme moyen de rassembler des informations pour ses peintures ; cependant, au milieu des années 1940, il passe exclusivement à la photographie comme principal moyen d’expression artistique. Il en admire le caractère direct et la flexibilité.

Il travaillait avec un appareil photo 35 mm, ce qui lui permettait de se déplacer facilement dans la ville. C’est une certaine forme de liberté pour l’époque (celle-ci faisant plutôt la part belle aux chambres). Cette liberté n’est pas sans rappeler celle de l’observateur ambulant d’Henri Cartier-Bresson.

Aussi, et contrairement à la plupart des photographes de son époque, Roy DeCarava a développé et tiré lui-même ses images, ce qui lui a permis de créer au fil du temps une esthétique distincte et durable. Il considère que le processus de création d’une photographie commence bien avant que l’on ne prenne l’appareil et qu’il n’est achevé que lorsque l’image a été tirée pour représenter l’idée que l’on en avait.

Carrière

La première exposition personnelle de photographie de DeCarava a lieu en 1950 à la Forty-Fourth Street Gallery de New York. Grâce à cette exposition, il rencontre le photographe Edward Steichen (oui, encore lui), à l’époque directeur du nouveau département de photographie du Museum of Modern Art, qui achète trois images pour la collection du musée.

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Photographie – Roy DeCarava

Deux ans après, avec le soutien de Steichen, DeCarava devient le premier photographe afro-américain à obtenir une bourse de la fondation Guggenheim. Cette bourse d’un an lui permet de se consacrer à plein temps à la photographie et de mener à bien le projet qui aboutira à The Sweet Flypaper of Life, dont on va reparler dans quelques instants.

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Photographie – Roy DeCarava

Steichen fait également participer DeCarava à un certain nombre d’expositions collectives au Museum of Modern Art, dont la légendaire The Family of Man (1955), qui a voyagé dans le monde entier jusqu’en 1965, ce qui a permis à son travail d’être mieux reconnu à l’étranger.

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Graduation, 1949 – Roy DeCarava

Sa galerie

Toujours en 1955, DeCarava ouvre la galerie A Photographer’s Gallery sur la 84e rue ouest de Manhattan, la première galerie du pays à se consacrer exclusivement à la photographie d’art américaine au film argentique.

L’idée est de faire reconnaître la photographie comme un art auprès du public. Il organise une douzaine d’expositions (solo et collectives) dans les deux années d’existence de la galerie. Il a présenté les premières œuvres de photographes américains qui allaient bientôt devenir canoniques et a fait progresser la considération artistique de la photographie.

Toujours dans cette idée de partage, de bouillonnement et de pousser la créativité, il ouvre aussi un atelier pour les photographes afro-américains en 1963.

Le virage vers l’enseignement et dernières années.

Roy DeCarava s’est aussi consacré à l’enseignement. Il a enseigné à la Cooper Union School of Art de 1969 à 1972. Puis, en 1975, il rejoint le corps enseignant du Hunter College de New York et a été nommé professeur distingué d’art de la City University of New York en 1988.

En 1996, le Museum of Modern Art a organisé une rétrospective DeCarava qui a voyagé dans plusieurs villes et a fait découvrir son travail à une nouvelle génération. Il a aussi reçu la National Medal of Arts en 2006. Il meurt en 2009 à l’âge de 89 ans.

Décortiquons son travail

Bon, maintenant que nous avons les grandes lignes, il est temps de se plonger dans ce qui fait l’intérêt et la force de l’œuvre de Roy DeCarava.

The Sweet Flypaper of Life

Il n’y avait pas d’images noires de dignité, pas d’images de belles personnes noires. Il y avait un grand vide. J’ai essayé de le combler.

Roy DeCarava

Les personnes sur ces photographies n’avaient aucun mur. Elles m’ont simplement accepté et m’ont permis de les photographier sans aucune gêne.

Roy DeCarava

Parlons maintenant de son livre paru en 1955 chez Simon & Schuster, aux USA, un petit livre intitulé The Sweet Flypaper of Life. Le doux papier attrape-mouche de la vie.

Contexte

Il est impossible de parler de ce livre sans évoquer le contexte social, culturel et racial des États-Unis à cette période. Sans rentrer dans l’histoire politique et sociale du pays, il faut évoquer un point : il n’existait pas, avant ce livre, de représentation juste des Noirs américains, faite par les Noirs américains, pour les Noirs américains.

Quelques tentatives ont cependant existé, jetons-y un coup d’œil.

Le premier exemple qui me vient en tête est Tobe de Stella Gentry Sharpe.

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Sharpe, S. G. (1940). Tobe (C. Farrell, Photogr.). University of North Carolina Press.

Le livre vient d’une rencontre entre l’autrice et un enfant noir qui lui a demandé pourquoi il n’y avait pas de livres pour enfants avec des enfants noirs. Trouvant la question juste, elle s’est attelée à en faire un.

Elle tente de faire elle-même les photographies, mais le résultat n’est pas terrible. Du coup, elle s’associe au photographe Charles Farrell qui produit les images du livre. Cependant, l’enfant à l’origine de cette rencontre a grandi et est trop vieux pour figurer dans le livre. Ils font un casting, trouvent un autre enfant et font le livre.

Ce livre a plutôt été bien accepté dans la communauté afro-américaine ; généralement, les gens étaient contents qu’on montre leur vie. Mais une question se pose tout de même : pour qui est-ce livre ? Il est le résultat du travail d’une autrice blanche, d’un photographe blanc, chez un éditeur blanc. Les Noirs y ont accès (le prix reste cependant élevé). L’intention reste bonne, mais on s’éloigne de ce qui est vraiment un document, produit par une communauté, pour cette communauté.

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Photographie issue du livre Tobe

Le deuxième exemple dont je voulais vous parler est 12 Million Black Voices, paru en 1941 et rassemblant des images de photographes issus de la Farm Security Administration (l’équivalent du ministère de l’Agriculture), qui avait missionné des photographes pour documenter la vie des paysans ruraux américains. Les photographies présentées dans ce livre ont toutes été faites par… des photographes blancs.

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Wright, R. (1946). 12 million Black voices. The Viking Press.

Ce livre a une voix très forte, n’hésitant pas à mettre des hommes de loi blancs face à des Noirs et à titrer « La loi est blanche ». Audacieux pour l’époque.

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PS² : c'était un peu compliqué de trouver des illustrations du livre, celles-ci viennent d'un article faisant la comparaison entre deux éditions (source). 

Cependant, ce livre s’adresse directement à une audience blanche, étant très coûteux pour l’époque. À noter qu’il ne s’agit pas particulièrement d’un livre exceptionnel : si le texte est bien, la sélection de photographies est un peu inégale, certaines faisant du remplissage. Une erreur s’est même glissée dedans (une personne blanche affichée comme noire), mais bref, passons.

Analyse de l’œuvre

C’est dans ce contexte qu’arrive en 1955 le livre de DeCarava co-signé par le poète Langston Hughes. Après avoir réalisé les images, DeCarava les présente autour de lui, mais elles n’intéressent pas les éditeurs. Finalement, il rencontre Hughes, qui est emballé par le projet, sélectionne 141 images et réalise le texte fictionnel les accompagnant.

Je veux photographier Harlem à travers le peuple nègre. Le matin, le soir, la nuit, au travail, allant au travail, rentrant à la maison après le travail, en train de s’amuser, dans les rues, en train de parler, de rire, de plaisanter, à la maison, dans les aires de jeu, dans les écoles, les bars, les magasins, les librairies, les églises…

Roy DeCarava
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PS3 : l'exemple affiché ici est DeCarava, R., & Hughes, L. (2018). The Sweet Flypaper of Life (Reprint ed.). David Zwirner. Disponible ici.

Il faut savoir qu’à cette époque, de nombreux livres de photos des années 1950 ont rejeté ce mariage étroit de l’image et du texte qui caractérisait le livre de photos documentaire des années 1930. La photographie est devenue plus elliptique, jouant sur les ambiguïtés, et on juge qu’il n’est plus nécessaire d’utiliser un texte pour guider la lecture des photographies dans un livre. Cependant, The Sweet Flypaper of Life n’a pas été publié comme un livre documentaire social, mais avec les images « réelles » de DeCarava illustrant un texte fictif de Hughes sur la vie à Harlem. Cela lui donne un statut indéterminé de fait, de fiction ou même de « faction ».

La description chaleureuse de Harlem par Hughes, à la fin des années 1940 et au début des années 1950, est racontée à travers les yeux d’une grand-mère fictive, Sister Mary Bradley. Tandis qu’elle guide le lecteur à travers la vie de ses proches, on imagine les bébés qui viennent au monde, les familles qui peinent à s’en sortir, et les enfants qui, malgré tout, parviennent à s’épanouir. Nous vivons les scènes et les sons de Harlem à travers son regard sage et expérimenté, exprimé ici par la prose poétique de Hughes. Comme elle le dit :

J’ai pris mes pieds dans le doux papier tue-mouches de la vie et je serais bien embêtée si je voulais m’en détacher.

Sister Mary Bradley (dans le livre)

Les photographies de DeCarava révèlent un univers de sensations et d’émotions qui naît de sa vision et de sa perception uniques. Ses réflexions vont bien au-delà de la simple observation et s’attachent à des significations plus profondes, nous montrant ces individus comme des sujets dignes d’être immortalisés par l’art.

Le format fictif permet à DeCarava et Hughes d’être positifs. Hughes indique clairement cet objectif sur la jaquette de l’édition originale reliée :

Nous avons eu tant de livres sur combien la vie est difficile, peut-être est-il temps d’en avoir un qui montre combien elle est belle.

Roy DeCarava

Les photographies nous ramènent à ce dialogue vivant et à une réalité complexe, vers une conclusion qui s’accorde avec l’optimisme du médium photographique et la conviction artistique de DeCarava.

Il est certain que The Sweet Flypaper of Life est un livre qui fait du bien. Les images de Roy DeCarava sont vivantes. Quant au texte de Hughes, il commence sur la couverture, avec une homélie sur les faits banals de la vie quotidienne. Doux sans être sentimental, c’est un portrait intime de Harlem, à l’époque de la « Harlem Renaissance ».

Le titre du livre est ambigu. « Flypaper » désigne le papier tue-mouches, celui d’où l’insecte ne décolle plus une fois qu’il s’est posé, au point de finir par y mourir. Hughes veut sans doute souligner le paradoxe de la vie, à laquelle nous sommes attachés, collés, et en même temps conduits vers la mort. Pulsion de vie et pulsion de mort s’attachent et se retrouvent dans un même mouvement.

De format réduit mais imprimé avec un soin extrême, il ne coûte qu’1 $, pouvant ainsi être acheté par les Noirs. Aujourd’hui, on ne le trouve que très rarement à moins de cent dollars, et beaucoup plus s’il est signé des auteurs. Dans l’ensemble, les exemplaires restants sont bien conservés et ont survécu aux ravages du temps.

En 1952, DeCarava est devenu le premier photographe afro-américain à remporter une bourse John Simon Guggenheim Memorial. Cette subvention d’un an a permis à DeCarava de se consacrer à plein temps à la photographie qu’il réalisait depuis le milieu des années 1940 et de mener à bien un projet qui aboutirait finalement à The Sweet Flypaper of Life, une œuvre photo-poétique émouvante dans le cadre urbain de Harlem.

Ce livre est largement considéré comme un classique et a été épuisé plusieurs fois puis réimprimé à la demande du public.

The Sound I saw

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Photographie – Roy DeCarava

J’essaie de photographier des choses qui sont proches de moi car je travaille mieux parmi les choses que je connais. Je ne cherche pas à surprendre qui que ce soit ou à découvrir de nouvelles formes ; les qualités formelles ne sont que des outils qui m’aident à formuler mon message.

Roy DeCarava

Parlons maintenant du grand livre de Roy DeCarava The Sound I Saw (« Le son que j’ai vu »). Il l’a eu en tête dès 1956 et l’achève en 1962, mais tous les éditeurs le refusent. Il ne sera publié qu’en 2001 par les éditions Phaidon. Soit 45 ans plus tard.

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DeCarava, R. (2019). The sound I saw: Improvisation on a jazz theme (1st ed.). David Zwirner.

La période couverte est un âge d’or pour le jazz, où le jazz moderne (le bebop) supplante le mainstream, mais une époque où tous les meilleurs musiciens de jazz sont vivants et se côtoient, voire jouent ensemble dans les clubs et les bars de Manhattan. De nombreux grands noms sont présents dans ce portrait affectueux d’une époque et d’un lieu.

On y retrouve des portraits de jazzmen d’une puissance évocatrice rare. Ici aussi, l’essentiel n’est pas dans le documentaire (ils sont parfois de dos, dans la pénombre, le flou, et on peine à les reconnaître), mais dans l’émotion qui se dégage. Dans son intensité. On sent la passion de DeCarava pour ces artistes dans cette œuvre ; en voyant ces images, on entend presque les musiques d’Duke Ellington ou de Charles Mingus. Le point de vue de DeCarava est celui d’un fan, et plus encore, c’est un initié : il vient exactement du même environnement que la plupart des musiciens, plus ou moins du quartier qu’il a photographié dans The Sweet Flypaper of Life.

C’est un livre sur les gens, sur le jazz et sur les choses. Le travail entre ses pages tente de présenter des images pour l’esprit et pour le cœur et, comme son sujet, il est particulier, subjectif et individuel.

Roy DeCarava

C’est aussi un livre sur la nuit et le jour : les musiciens de jazz sont des travailleurs de nuit, et ce sont les gens ordinaires qui sortent le jour, lorsque les musiciens se reposent avant le concert du lendemain et l’inévitable jam sur la 52e rue, dans le Village ou dans les quartiers chics.

Ainsi, cette œuvre légendaire ne parle pas seulement de jazz. On y sent battre le pouls d’une ville, une ville qui, plus que toute autre, peut se targuer d’être le siège du jazz : New York.

J’ai voulu créer un temps singulier, mariage d’expériences, de lieux, de musique. Tout se combine avec l’idée que ces gens peuvent vivre ensemble.

Roy DeCarava

La bande-son idéale pour accompagner le livre ? Round Midnight de Thelonious Monk, ou mieux, l’interprétation au saxophone solo de Manhattan par Sonny Rollins.

L’importance du gris

Ici aussi, le travail sur le tirage est très important. On pourrait presque s’amuser à dire qu’il ne tire pas des images en noir et blanc, mais des personnages qui émergent de l’obscurité et du gris. Ce qui se retrouve d’ailleurs dans d’autres images de sa carrière.

Je suis un des rares à comprendre l’importance du gris, le gris exprime ce qui est beau dans la photographie : donner une infinie variation, une fluidité des tons – comme pour le son – au point de ne plus les séparer.

Roy DeCarava
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Photographie – Roy DeCarava

Mais ses images ne se résumaient pas à cette technique, ni à la technique tout court. A ce sujet il déclare :

Je ne pense pas vraiment que la technique détermine la véracité de l’image. C’est ce que l’image fait au spectateur qui détermine si elle est bonne ou mauvaise.

Roy DeCarava

C’est d’ailleurs un conseil qu’il a donné à Todd Hido (« Fais ces images plus sombres ! »), dont j’ai déjà parlé dans cet article :

Pour l’anecdote, si on lui faisait remarquer que ce livre et son rendu sont hors du temps, il répondait :

Disons que j’étais en avance sur mon temps.

Roy DeCarava

Et il est bien dommage qu’il ait fallu attendre près d’un demi-siècle pour le constater.

Du travail de DeCarava, on peut retenir trois leçons. Notez que parfois je peine un peu à me décider, mais qu’aujourd’hui, le choix était limpide.

  • N’ayez pas peur de mélanger le texte et l’image, et au-delà de ça, d’aller là où on ne doit plus aller. Nous l’avons vu, Roy DeCarava a mélangé le texte et l’image à une époque où ce n’était plus très bien vu. Pourtant, son livre a traversé le temps et l’histoire. N’ayez pas peur d’enfreindre les règles et les « il faut que » ; parfois, c’est la bonne solution pour vos travaux.
  • Si parmi vous certains ont du mal à trouver un sujet pour leur projet photo, en voilà un inépuisable : photographiez ce qui vous passionne. DeCarava était fasciné par le jazz, sincèrement. Et cela se sent dans son travail, il y met du cœur et le cœur ne ment pas. Penchez-vous sur ce que vous aimez avec votre appareil et emmenez-nous avec vous.
  • Enfin : persévérez. Les exemples sont nombreux dans la carrière de DeCarava où il aurait pu laisser tomber ou faire autrement. Il a plusieurs fois peiné à faire publier ses livres, mais n’a jamais laissé tomber. Cela aurait pu être de même pour son style, assez unique. Mais il s’est toujours accroché à ce en quoi il croyait, et je vous invite à faire de même.

Conclusion

Au cours de sa vie, Roy DeCarava a reçu de nombreux prix, on peut retenir : un Master of Photography Award, décerné par l’International Center of Photography de New York (1998), une Gold Medal for Lifetime Achievement, décernée par le National Arts Club de New York (2001), et une National Medal of Arts (2006). Il s’agit de la plus haute distinction civile décernée par la National Endowment for the Arts et remise par le président des États-Unis. Dans le plus grand des calmes.

Ses photographies ont aussi fait l’objet de nombreuses expositions, trop nombreuses pour en faire la liste, mais en voici quelques-unes :

Plus récemment, de 2017 à 2019, les œuvres de DeCarava ont été incluses dans Soul of a Nation: Art in the Age of Black Power, qui a voyagé dans plusieurs prestigieux musées du monde comme la Tate Modern, à Londres ou le Brooklyn Museum, à New York.

Enfin, les œuvres de DeCarava font partie de nombreuses collections publiques, encore une fois trop nombreuses pour les citer toutes, mais croyez-moi sur parole : les plus grandes ont un tirage de DeCarava dans leurs réserves ! On les retrouve par exemple dans :

Quoi qu’il en soit, une carrière se résume à plus qu’une liste de trophées et de prix. S’il a été reconnu tardivement par l’histoire de la photographie, l’œuvre de DeCarava y laisse une trace unique, indélébile, sincère. Son travail a permis aux Noirs américains de prendre la parole sur leur vie, de se raconter de leur point de vue, ce qui restera une étape importante de l’histoire américaine et de la photographie. Il s’agit indéniablement d’un grand photographe, qui m’a donné envie de me replonger dans le jazz.

J’y vais de ce pas, et vous invite à en faire de même, à la prochaine ✌🏻


Comme je vous l’avais dit dans l’article précédent, je suis sur la musique électronique en ce moment. Et rien de tel qu’une playlist de jazz + musique électronique pour accompagner cet article.


Chronologie de la vie de Roy DeCarava

Voici une chronologie plus détaillée de la vie de Roy DeCarava :

  • 1919 : Naissance de Roy Rudolph DeCarava le 9 décembre à l’Hôpital de Harlem, New York. Il grandit dans le quartier de Harlem, un centre culturel et artistique de la Renaissance de Harlem, un mouvement qui influence profondément son développement artistique.
  • 1938 : Diplôme avec distinction de la Textile High School de New York, où il étudie l’art et le design textile.
  • 1938-1940 : Étudie la peinture, la sculpture et l’architecture à la Cooper Union, une prestigieuse école d’art et de design à New York. Il commence à explorer les arts visuels mais abandonne en 1940 pour se concentrer sur ses études au Harlem Community Art Center.
  • 1940-1942 : Poursuit sa formation artistique au Harlem Community Art Center, où il est influencé par des artistes majeurs tels que Romare Bearden, Jacob Lawrence et Charles White. Il commence à s’intéresser à l’expression artistique des expériences afro-américaines.
  • 1944-1945 : Études supplémentaires à la George Washington Carver Art School, une école d’art située à Harlem. Durant cette période, il se familiarise avec l’œuvre de Vincent van Gogh et des muralistes mexicains comme Diego Rivera et David Alfaro Siqueiros.
  • 1946 : DeCarava commence à utiliser la photographie pour collecter des informations visuelles destinées à ses peintures. Très vite, il est captivé par la capacité de la photographie à capturer la réalité de manière immédiate et directe, ce qui le conduit à abandonner la peinture au profit d’une spécialisation dans la photographie.
  • 1950 : Première exposition solo à la Forty-Fourth Street Gallery, à New York, où il présente ses premières œuvres photographiques. C’est lors de cette exposition qu’il rencontre Edward Steichen, alors directeur du département de photographie du Museum of Modern Art (MoMA).
  • 1952 : DeCarava devient le premier photographe afro-américain à obtenir une bourse Guggenheim, grâce au soutien d’Edward Steichen. Cette bourse lui permet de se consacrer à plein temps à la photographie pendant une année, au cours de laquelle il capture des centaines de photographies de la vie quotidienne à Harlem.
  • 1953 : Début de son projet de documentation photographique de Harlem grâce à la bourse Guggenheim. Il se concentre sur la capture de moments intimes et non scénarisés de la vie des Afro-Américains, avec une esthétique poétique qui se distingue de l’approche documentaire traditionnelle.
  • 1955 : Publication de The Sweet Flypaper of Life, un livre de photographies illustrant un texte de l’écrivain Langston Hughes. Ce livre est un témoignage vibrant de la vie à Harlem, avec 141 photographies de DeCarava accompagnées par un récit fictif de Hughes, raconté du point de vue d’une résidente de Harlem. Le livre est bien accueilli et devient une œuvre classique de la photographie américaine.
  • 1955 : Plusieurs de ses photographies sont sélectionnées pour l’exposition historique The Family of Man organisée par Edward Steichen au MoMA. Cette exposition itinérante est l’une des plus influentes du XXe siècle et contribue à faire connaître son travail à l’international.
  • 1955-1957 : Fonde A Photographer’s Gallery sur West 84th Street, à Manhattan. C’est la première galerie dédiée exclusivement à la photographie d’art aux États-Unis. Il y expose ses propres œuvres ainsi que celles d’autres photographes américains à venir.
  • 1956 : Commence à travailler sur The Sound I Saw, un projet photographique qui capture la scène jazz de New York, avec des portraits de grands musiciens comme Duke Ellington, Billie Holiday et John Coltrane. Ce projet ne sera publié en livre qu’en 2001, mais il est exposé pour la première fois en 1983.
  • 1963 : Co-fonde le Kamoinge Workshop, un collectif de photographes afro-américains basé à Harlem. Ce collectif vise à promouvoir et exposer le travail des photographes noirs tout en offrant un espace pour des critiques constructives et un soutien mutuel.
  • 1969 : Exposition solo au Studio Museum de Harlem, intitulée Thru Black Eyes. Ce musée, dédié à l’art afro-américain, joue un rôle central dans la reconnaissance de DeCarava au sein de la scène artistique de Harlem.
  • 1975 : Il rejoint la faculté du département d’art de Hunter College, New York. Il y enseignera la photographie pendant plusieurs décennies, influençant de nombreux jeunes artistes.
  • 1983 : Le Studio Museum de Harlem présente The Sound I Saw: The Jazz Photographs of Roy DeCarava, une exposition dédiée à ses photographies de jazz qui voyage ensuite à travers plusieurs institutions aux États-Unis.
  • 1988 : DeCarava est nommé Distinguished Professor of Art à la City University of New York, une reconnaissance de sa contribution à l’enseignement des arts.
  • 1996 : Une rétrospective majeure de son œuvre est organisée au Museum of Modern Art de New York. Elle présente plus de 200 photographies couvrant sa carrière de la fin des années 1940 jusqu’aux années 1990. L’exposition voyage à travers les États-Unis, notamment à l’Art Institute of Chicago, au Los Angeles County Museum of Art et au San Francisco Museum of Modern Art.
  • 1998 : Il reçoit le Master of Photography Award du International Center of Photography, une récompense qui célèbre sa carrière exceptionnelle en photographie.
  • 2001 : Reçoit la Gold Medal for Lifetime Achievement du National Arts Club, une autre reconnaissance pour sa carrière prolifique et son impact sur la photographie américaine.
  • 2006 : DeCarava reçoit la National Medal of Arts, la plus haute distinction civile décernée par le National Endowment for the Arts, remise par le président des États-Unis en personne pour ses contributions aux arts visuels.
  • 2009 : Roy DeCarava décède le 27 octobre à New York, à l’âge de 89 ans. Son héritage artistique continue de vivre à travers ses photographies et ses livres, qui sont réédités et exposés dans le monde entier.
  • 2018 : La galerie David Zwirner annonce la représentation exclusive de l’œuvre de Roy DeCarava. Cette année-là, The Sweet Flypaper of Life est réédité, et ses œuvres continuent d’être exposées dans des institutions majeures.
  • 2019 : Pour marquer le centenaire de sa naissance, la galerie David Zwirner présente deux expositions majeures de ses œuvres à New York : Light Break et The Sound I Saw, accompagnées de catalogues rétrospectifs.
  • 2022 : Une exposition intitulée Roy DeCarava: Selected Works est présentée à la galerie David Zwirner à Londres, soulignant l’impact durable de son œuvre sur la photographie contemporaine.

Sources

  • DeCarava, R., Alinder, J. & DeCarava, S. (1981). Roy DeCarava, photographs. Carmel, Calif. Providence, R.I: Friends of Photography Distributed by Matrix Publications.
  • DeCarava, R., DeCarava, S. & Clytus, R. (2019). The sound I saw : improvisation on a jazz theme. Brooklyn, New York New York, New York New York: First Print Press David Zwirner Gallery,distributed in the United States and Canada by Simon & Schuster.
  • DeCarava, R., Hughes, L. & DeCarava, S. (2018). The sweet flypaper of life. Brooklyn, New York New York, New York Verona, Italy: First Print Press, Inc.,Artbook/D.A.P, 2018.Trifolio.

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Vous ne savez pas ce que vous cherchez ?

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On discute de l’article ? 😀

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