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La question du portrait (avec Christophe Som)

Introduction

Les premiers portraits sont quasiment contemporains des débuts de la photographie. C’est un sujet qui m’a toujours assez intéressé, notamment du point de vue de la représentation de soi et d’autrui, sans que sa pratique m’attire vraiment, je la réserve plus au cadre famille/proches. Cette question est d’autant plus importante qu’à la différence du XIXe siècle, elle nous touche tous à présent. Jadis réservée à une élite qui avait les moyens de payer pour  en bénéficier, cette étrange technologie est maintenant à la portée de nous tous : nous affichons désormais tous nos belles tronches sur les réseaux sociaux, CV, ou à l’arrière de la carte de bus.

Du coup on se demande : c’est quoi un portrait ? Ça vient d’où ? Qui a fait quoi ?

Le format de l’article est un peu différent de ce que je fais d’ordinaire. En effet, je me voyais mal vous parler en long, en large, et surtout en travers d’une pratique que je ne maîtrise moi-même pas. Du coup, on a un invité spécial, Christophe Som, qui vient ici partager avec nous son expérience et sa pratique, dans son style de portrait. Et je me permets d’insister sur ce dernier point. L’exemple n’a pas vocation à être universel, et de toute façon, Steve Mc Curry & Lee Jeffries n’étaient pas disponibles. En conséquence, l’article se divisera en deux parties, on va d’abord voir un peu ce que le portrait a pu représenter dans l’histoire de la photographie, ce que ça signifie, puis analyser la pratique de Christophe.

Ps : n’hésitez pas à aller voir son site, et ayez pitié de son âme, je l’ai torturé comme jamais pour arriver à l’article que vous lisez, dont la version définitive est quand même la 53e et qui nous a demandé plusieurs semaines d’aller-retours.

Ps² : l'image de couverture c'est Truman Capote, par H. Cartier-Bresson

Brève histoire du portrait

Alors oui, il s’agira d’une histoire brève de ce que le portrait a pu représenter. J’entends par là qu’elle ne se veut, et en aucun cas ne pourrait être, exhaustive, le sujet étant beaucoup trop vaste pour être traité avec le mérite qui se doit dans le cadre d’un blog. Il s’agira plus ici de dégager les grandes lignes et pratiques qui caractérisent le portrait, de donner les pistes de base à explorer pour creuser le sujet. Bien sûr, derrière il y a aussi un peu de mes goûts et quelques partis pris. Mais bon, on ne se refait pas.

Le portrait à l’aurore de la photographie

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Un des tout premiers portraits – R. Cornelius

Avec le portrait photographique, le XIXe siècle donne un accès démocratique à la représentation de soi. Le portrait peint avait été réservé à une caste aristocratique, obsédée par le souci de la lignée, ou à une élite bourgeoise, soucieuse de poser pour la postérité. Le portrait photographique lui, par son faible coût s’offre à la foule. Baudelaire, qui n’était pas très emballé par le concept, le condamne alors : (la) « société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal. » Mais désormais les ateliers de photographes ne désempliront plus. Combien de milliards de souvenirs d’inconnus, de proches ou de célébrités, ont-ils été produits ? Placardés, affichés, insérés dans combien de bureaux, de chambres, de portefeuilles, de téléphones portables ? Voici le portrait photographique : objet ordinaire, occupant mille places dans le décor quotidien de nos vies, mais aussi pratique photographique à la croisée de l’œuvre d’artiste et de l’habitude du photographe amateur.

Mais que regarder dans le portrait photographique ? Il se situe au centre d’un triangle dont les trois pointes seraient formées par le modèle, le photographe et le spectateur : le portrait fait donc varier les points de vue. D’abord, le point de vue du modèle : qui est donc celui dont on tire le portrait ? Etymologiquement « portrait » est composé de « pour » et de « tirer », mais que tire-t-on du modèle ?Puis, le point de vue du photographe : a-t-il prévenu son modèle ou bien l’a-t-il surpris ? Qu’ajoute-t-il au réel qui signe sa manière ? Enfin, le point de vue du spectateur : d’où lui vient cet amour du portrait ? Le débat est ouvert.

Dès les premières décennies de son histoire, la photographie a déjà touché à la totalité des sous-genres du portrait (encore pratiqués actuellement), pour vous les citer en vrac :

  • Les portraits officiels commandés par les puissants de ce monde,
  • Les nus – qu’il soit académique, intime, érotique ou pornographique1 ,
  • les images de célébrités artistiques ou intellectuelles,
  • le portrait social,
  • le portrait documentaire,
  • le portrait « scientifique »,
  • le portrait familial – et notamment le portrait de mariage et les portraits d’enfants ,
  • l’autoportrait,
  • le portrait de groupe,
  • le portrait historisant,
  • le portrait fictif…

L’évolution ultérieure ne fera que reconduire cette place importante du portrait : il sera de tout temps un des usages sociaux principaux de la photographie. Un très bon exemple de l’engouement qu’il a pu provoquer est le portrait-carte d’André Adolphe Eugène Disdéri (j’adore son nom complet) dont le public s’éprend vers 1860 et qui restera très populaire jusqu’au début du XXe siècle.

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Exemple de portrait-cartes

Quand il commence à décliner ce n’est pas un signe de perte d’attrait du public pour le genre, mais simplement que, du fait des développements techniques, c’est la photographie amateur, pratiquée en famille, qui va prendre le relais du portrait professionnel. A l’exception bien sûr des portraits à usage public (presse, relations publiques, etc.), du portrait de cérémonie (baptême, mariage…) ou encore du portrait d’identification juridique (la photo d’identité, où le portraitiste finira d’ailleurs remplacé par un photomaton). Bref, on se prend en photo, et pour les choses sérieuses, on laisse travailler les professionnels.

Le portrait est aussi partout : toutes les villes, peu importe leur taille, ont bientôt leurs « studios photographiques » où, toutes classes sociales confondues, on va se faire tirer le portrait. Même les endroits les plus isolés sont touchés puisque, dès les années cinquante, des portraitistes ambulants se mettent à parcourir les campagnes reculées. De plus, « grâce » au colonialisme et au développement des moyens de locomotion, les photographes rapportent très vite des portraits de tous les coins de la Terre : dès 1856, Louis Rousseau réalise ainsi pour le Muséum d’histoire naturelle toute une série de portraits « ethnographiques » de Russes, de Hottentots et d’Esquimaux.

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Esquimaux – L. Rousseau

Petit à petit le portrait se voit aussi doté d’une fonction d’outil de contrôle social, avec l’anthropométrie signalétique de Bertillon d’abord, puis avec la  photo d’identité. Si nous sommes familiers de la deuxième, rappelons que la première servait à répondre au besoin d’identification de la population. En effet, depuis 1832 il est interdit de marquer les détenus au fer rouge (la fin de la déconnade quoi). Il faut alors inventer un système qui permette d’identifier les récidivistes. Alphonse Bertillon, avec d’autres, construit à partir des photographies de détenus, prises de face et de profil, une méthode efficace de reconnaissance. Avec quatre-vingt-dix mille clichés, Bertillon dispose en 1890, au moment où paraît son livre La Photographie judiciaire, d’une véritable bibliothèque de têtes. Dans cette démarche, l’individu disparaît sous le type. L’ouvrage sert de base pour rédiger des fiches de description des coupables/bandits/condamnés. Cette pratique cessera avec l’apparition des techniques de reconnaissances des empreintes digitales, beaucoup plus efficaces.

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Tableau issu de la documentation Bertillon

Après la seconde guerre mondiale le modèle familial change, ce qui entraîne aussi le déplacement du portrait : du professionnel vers l’amateur et de l’espace public vers le privé. Il s’agit d’un glissement important dans l’usage du portrait. Il devient un genre familial, puis un genre personnel  Cela s’accompagne d’une transformation de ses enjeux : sa fonction traditionnelle, qui était de souligner des moments forts du temps social (baptême, première communion, service militaire, mariage) fera place peu à peu à une pratique plus personnelle, plus existentielle, au point qu’aujourd’hui la pratique d’amateur du portait a souvent le statut d’un journal intime visuel (en témoigne l’usage du réseau social Instagram). Les frontières entre portrait « posé » et instantané « volé » ont fini par s’effacer dans cet usage privé : sans doute parce que, comparés à nos ancêtres, nous entretenons une relation plus détendue avec la mise en image de notre identité. Et aussi parce que ne pas avoir besoin de rester en place 6 minutes pour une image facilite les choses, je dis ça, je dis rien hein. En tout cas, l’amour pour notre « triviale image », bien que déploré par Baudelaire, semble désormais enraciné si profondément en nous que notre goût pour le portrait photographique n’est sans doute pas près de s’éteindre.

Le portrait au XXe siècle

Comme je viens de le dire, tous les genres du portrait sont présents dès les débuts, le reste n’étant que variations, et engouement pour un style plutôt que l’autre. Ainsi, je ne vais pas refaire en détail l’histoire de chaque période, mais plutôt prendre quelques photographes, qui, par leur pratique ont marqué l’histoire du portrait photographique.

Henri Cartier-Bresson

Cartier-Bresson est plus connu pour son travail de photojournaliste que pour celui de portraitiste. Mais il a signé des portraits devenus emblématiques, comme ceux de Jean-Paul Sartre, de Marilyn Monroe ou de Samuel Beckett, mais aussi des images moins connues. Ecrivains, peintres, sculpteurs, acteurs, cinéastes, amis, proches ou anonymes, tous ont en commun ce regard perdu dans une profonde intériorité, dans leur monde propre – totalement oublieux de celui qui les photographie.

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Samuel Beckett – H. Cartier-Bresson

C’est une de ses grandes qualités d’ailleurs : se faire oublier. Au point que l’on possède assez peu d’images de lui. Tout le monde connaît l’aversion qu’il éprouvait pour la caméra pointée sur lui ; peut-être ressentait-il, comme Roland Barthes, la fausseté de la situation : « Très souvent (trop souvent à mon gré) j’ai été photographié en le sachant. Or, dès que je me sens regardé par l’objectif, tout change : je me constitue en train de poser, je me fabrique instantanément un autre corps, je me métamorphose à l’avance en image. » (dans La Chambre claire – voir la bibliographie).

Je cherche surtout un silence intérieur. Je cherche à traduire la personnalité et non une expression

Henri Cartier-Bresson
Ezra Pound - H. Cartier-Bresson
Ezra Pound – H. Cartier-Bresson

Pour illustrer cela, il racontait volontiers sa « rencontre » avec Ezra Pound qui ne fut qu’un « très long silence qui a semblé durer des heures ». Il a rédigé ces quelques lignes introductives à son livre Images à la sauvette (publié en 1952), elles parlent d’elles-mêmes : « A l’artifice de certains portraits, je préfère de beaucoup ces petites photos d’identité serrées les unes contre les autres aux vitrines des photographes de passeport. A ces visages-là on peut toujours poser une question, et l’on y découvre une identité documentaire à défaut de l’identification poétique que l’on espère obtenir. »

Comme je l’avais dit dans cet article, Cartier-Bresson s’est toujours considéré comme un peintre. C’est son amour pour la peinture qui l’avait conduit, à la fin de la guerre, à photographier des peintres pour l’éditeur alsacien Pierre Braun : il se rendit ainsi à plusieurs reprises chez Matisse, Bonnard, Braque. Il raconte cela dans la biographie de P. Assouline(1) : « Quand j’allais chez Matisse, je m’asseyais dans un coin, je ne bougeais pas, on ne se parlait pas. C’était comme si on n’existait pas. »

Matisse - H. Cartier-Bresson
Matisse – H. Cartier-Bresson

Plus tard, il a été dépêché par de prestigieux titres américains comme Harper’s Bazaar, Vogue, ou Life, et a eu accès à de nombreuses personnalités, que son goût personnel pour les lettres, les arts ou la recherche et sa curiosité insatiable pour l’être humain le poussaient à rencontrer. Toujours dans la plus grande discrétion, « à la sauvette », avant que le modèle ne se fige, en silence.
« Tout portrait est un autoportrait », les peintres l’ont beaucoup dit et la photographie telle qu’Henri Cartier-Bresson l’a pratiquée est une vision du monde très personnelle.

Après avoir officiellement décidé d’arrêter le reportage, à la fin des années soixante, pour revenir à ses premières amours, le dessin, Henri Cartier-Bresson continuait cependant à photographier des visages : cette passion pour « l’être mis à nu » derrière l’objectif, pour cet échange en tête-à-tête, ne s’est jamais érodée. Il l’a même pratiquée sans appareil photographique, comme le raconte P. Assouline au début de sa biographie : Cartier-Bresson a pris une photographie de lui, avec ses yeux, pour la garder dans sa mémoire.

Richard Avedon

Richard Avedon est connu pour ses innombrables portraits en noir et blanc, il a su marquer l’histoire du portrait de son oeuvre, après avoir initialement rencontré le succès avec la photographie de mode. Il était fasciné par la manière dont le portrait traduisait l’âme et la personnalité de ses sujets. A l’inverse de Cartier-Bresson qui cherchait l’insondable, Avedon aime rester en surface.

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Ronald Fischer, Beekeeper, Davis, California, May 9, 1981 – R. Avedon

Mes photographies ne vont pas sous la surface. Elles ne vont sous rien du tout. Elles lisent les surfaces. J’ai une grande foi dans les surfaces. Une bonne surface est pleine d’indices.

Richard Avedon

Pour lui, une séance photo est avant tout un échange intense. Il disait d’ailleurs se sentir embarrassé parfois après un shooting, d’avoir partagé tant d’énergie et d’émotions avec une personne rencontrée deux heures plus tôt. Ce credo de se concentrer sur le sujet se retrouve d’ailleurs dans la mise en scène de ses portraits. Minimaliste, épurée, très souvent sur un fond blanc uni. Richard Avedon refusait beaucoup de choses : une lumière trop flatteuse, une pose suggestive, une composition apparente.

Le travail que je préfère chez lui est celui qu’il a fait sur son père, qu’il a photographié jusqu’à sa mort. Je connais mal la relation qu’ils entretenaient, mais on sent tout l’amour qu’il lui portait dans ses images. D’une certaine façon, il y a là beaucoup plus du fils que du père.

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Son père, par R. Avedon

Irving Penn

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Truman Capote – I. Penn

Irving Penn est un photographe américain, connu comme photographe de mode, de beauté, et également célèbre pour ses portraits et les natures mortes qu’il réalisa vers la fin de sa vie.  Son style est atypique, un mélange d’académisme hérité des peintres flamands et de créativité débridée. Cf. la vidéo que j’avais écrite pour Apprendre.Photo :

Bien que plus connu pour son travail de photographe de mode, Irving Penn a aussi réalisé un nombre conséquent de portraits et de natures mortes. Un simple fond gris, une source de lumière unique et il ne reste plus qu’à installer le sujet et mettre l’appareil sur un pied. Quand le magazine Vogue lui a réclamé régulièrement des séries en couleur, il est parvenu à garder l’essentiel de son travail en noir & blanc.

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Al Pacino – I. Penn

Je pense que le noir & blanc est intrinsèquement meilleur que la couleur. Je crois que je n’ai jamais vu une photographie en couleur vraiment belle.

Irving Penn

Ce qui l’intéresse, c’est qu’une personne photographiée amène dans l’image son lot de psychologie, et de faire tomber ce masque qu’ont les adultes lorsqu’ils se savent pris en photo. C’est ça son dada. Un exercice d’autant plus difficile que son travail de commande lui impose de prendre en photo des personnes médiatiques, qui ont l’habitude de se retrouver devant les objectifs.

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Picasso – I. Penn

Helmut Newton

Helmut Newton est un photographe australien d’origine allemande. Il est connu pour ses photographies de mode et de nus féminins. Il a photographié de nombreux modèles parmi lesquelles Catherine Deneuve, Sylvie Vartan, Brigitte Nielsen, Grace Jones, Kate MossMonica Bellucci, Cindy Crawford et Claudia Schiffer.

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Catherine Deneuve – H. Newton

Il était rattaché à Vogue, où ses clichés sont très marqués par l’érotisme et la sensualité, souvent stylisés par une violence sous-jacente, comme on peut le voir ci-dessus.

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Jean-Marie Le Pen – H. Newton

J’admire les personnes qui sont célèbres alors qu’elles ne devraient pas l’être.

Helmut Newton

D’origine juive, le photographe n’a jamais caché son manque de sympathie envers l’extrême droite et l’objectif de cette photo de Le Pen a été de rappeler une photo d’Adolf Hitler et de son berger allemand, prise 70 ans plus tôt. J’aime beaucoup l’ironie.

Robert Mapplethorpe

Robert Mapplethorpe est un photographe américain célèbre pour ses portraits en noir et blanc très stylisés, ses photos de fleurs et ses nus masculins. Le caractère cru et érotique des œuvres du milieu de sa carrière a déclenché des polémiques sur le financement public de l’art aux États-Unis (il était subventionné). Je vous invite à juger sur pièce.

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Bob Love – R. Mapplethorpe

De façon générale, c’était un photographe assez provocateur, et la polémique des nus n’est pas la seule. Certains de ses autoportraits, très osés, lui avaient aussi causés une volée de bois vert. Mais, ceux-là, je vais vous laisser les trouver tous seuls2 🙂

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Autoportrait – R. Mapplethorpe

Après il a aussi produit des portraits plus classiques, toujours en noir et blanc et très esthétisés. Comme ci-dessous.

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Deborah Harry, 1978 – R. Mapplethorpe
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Andy Warhol, 1986 – R. Mapplethorpe
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Ken Moody and Robert Sherman, 1984 – R. Mapplethorpe

Lee Friedlander

Lee Friedlander est un photographe américain. Il s’est intéressé à de nombreux sujets via sa photographie (le reflet, l’architecture, l’urbanisme,  la découverte de l’Amérique au travers d’une voiture à la Jack Kerouac). Je l’ai retenu pour son travail sur l’autoportrait, qu’il le traite sous diverses formes, et où on retrouve toujours sa trace de manière subtile, une ombre, un fragment, un reflet induisent que l’artiste est présent. Il n’est qu’une ombre, mais une ombre qui dit tout, son regard sur sa femme, sa place dans le monde. J’aime beaucoup cette façon qu’il a de rester en retrait.

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Maria – L. Friedlander

Il traite dans son travail, les éléments les plus ordinaires, auxquels la plupart du temps, nous restons indifférents. Comme ci-dessous, ou il photographie un écran (il a fait une série sur ce thème), ainsi qu’une voiture et son propre reflet.

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Photographie – L. Friedlander

Bruce Gilden

Enfin, at last but not least, Bruce Gilden, un photographe new-yorkais qui s’est consacré à la street photography et est membre de Magnum depuis 2002. Il est connu pour son esthétique très direct, car il utilise le flash pour photographier.

I’m known for taking pictures very close, and the older I get, the closer I get

Bruce Gilden
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Photographie – B. Gilden

Il est présent dans  cet article uniquement pour rappeler que chaque personne a son histoire, et que tout le monde peut révéler ça grâce au portrait.

Cas d’étude : Chris de SomPicture

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Pratiquant assez peu le portrait, ou du moins seulement dans le cercle familial et en limitant ça à l’application d’une technique, je ne me voyais pas témoigner d’une expérience qui n’existe pas, encore moins prétendre la partager. Du coup, je me suis dit que ça serait une bonne idée de faire venir quelqu’un qui pratique énormément le portrait, tant pour son plaisir que pour gagner sa vie, et de le passer au crible, histoire de voir ce qu’il y a sous le moteur.

Du coup, Christophe et moi avons beaucoup discuté de la forme que pourrait prendre cet article, après moult débats très argumentés, batailles, chifoumis, et combats à main nue dans des arènes pleines de poussière, on a décidé de faire comme suit : l’intervention est divisée en thèmes, eux-mêmes divisés en questions. Christophe écrit et répond en bleu. Je garde mon noir habituel.

Construction de sa pratique

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Il nous aura fallu plusieurs semaines pour trouver le mur qui collerait à cette robe !

Bon, sans se lancer dans un roman autobiographique, pourquoi est-ce que tu as commencé la photographie et particulièrement le portrait ? Qu’est-ce que tu y cherches ?

Hello ! Je m’appelle Chris, j’ai 28 ans et je suis photographe pour Som Picture.

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Un de mes rares autoportraits.


Un jour il y a environ 3 ou 4 ans, je m’ennuyais terriblement au bureau et j’ai tapé « Apprendre la photo » dans notre ami Google. J’ai commencé à lire des dizaines d’articles et de tutoriaux avant d’avoir mon premier reflex en main. Je suis donc arrivé à la photographie par le côté technique. Aujourd’hui je mets de côté toute la technique acquise pour laisser mes idées s’exprimer. Comme tout le monde je suppose, je tâtonnais au début, de la photo de voiture au paysage, en passant par la photo de nuit.

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Quatre amis dans la nuit. Ciel des Vosges.

Je remarquais tout de même que j’aimais toujours inclure de l’humain dans mes photos. Et c’est le jour où un ami me prête un objectif plutôt orienté portrait (même si à mon sens on peut faire de tout, avec tout), un 35mm F/1.8 pour mon petit APS-C que je décide de me spécialiser dans ce domaine.

Aujourd’hui la photographie et plus particulièrement la photographie d’êtres humains se compose en ce qui me concerne en deux grands axes : 

  • Un axe plus personnel dans lequel j’ai un besoin constant de créer et la photographie éponge cette soif de création. Je réalise beaucoup de portraits naturels, j’ai également une série intimiste en cours de réalisation où je ne cherche pas à construire une photo mais plutôt à capturer des moments qui existent.
  • Un axe professionnel dans lequel ma spécialisation en portrait me permet de présenter à mes clients des choses proches de ce dont ils ont envie 

D’accord, je vois l’idée. Et comment tu trouves tes modèles ? Tu abordes les gens dans la rue avec une tête qui te plait ?

C’est ce que je pensais faire au début. C’est une idée qui reste dans un coin de ma tête mais pour le moment j’utilise d’autres moyens. Si vous trouvez quelqu’un avec du charme dans la rue, il y a peu de chance qu’il ou elle soit à l’aise devant un objectif. En tout cas pas avant un gros travail préparatoire. 

La première chose qui m’a permis de construire un début de book à présenter c’est de contacter mes amies. Je parle uniquement au féminin ici car je n’ai pas contacté d’homme à ce stade. Elles ont quasiment toutes accepté de tenter l’expérience sans jamais avoir posé. J’avais cette volonté de leur donner de belles photos d’elles et je voulais que ces premières photos puissent me permettre de mettre le pied dans le monde des modèles.

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Le ton sur ton ça fonctionne bien aussi.

Après avoir fait 3 ou 4 séances avec différentes amies, j’avais quelques photographies à diffuser sur les groupes Facebook spécialisés dans la rencontre entre photographes et modèles. Ces groupes sont parfois orientés sur une région particulière, et sont très pratiques pour se faire des contacts . Il suffit de poster quelques photos de ce que vous savez faire en précisant que vous recherchez des modèles avec tel ou tel trait physique ou de caractère, ces groupes sont très ouverts. Soyez-y tout de même sérieux, pour les rencontres il y a Meetic ou Tinder 😉 .

Grâce à ces groupes j’ai réalisé énormément de séances (je ne pourrais plus les compter). Parmi tous les modèles avec qui j’ai pu travailler certains et certaines sont devenus des ami(e)s que je peux maintenant appeler si j’ai une idée précise ou simplement envie d’expérimenter des choses. 

Déroulement d’une séance

Spontanéité et pose

Là arrive le moment fatal, tu te retrouves devant ton modèle, comment ça marche concrètement ? Quels sont les mécanismes qui tournent dans ta tête pour arriver à ce que tu veux ?

Il existe beaucoup de type de séances : portrait beauté, naturel, mode, en extérieur, en studio ou en appartement etc. Je vais parler des séances que j’ai le plus pratiquées, soit le portrait naturel en extérieur avec quelqu’un qui n’a absolument jamais posé pour des photos. Tout d’abord lorsque je rencontre le modèle (c’est plus souvent une modèle, mais pas forcément) je m’efforce de le mettre à l’aise. On marche un peu et on discute. Parfois le courant passe tout de suite, parfois c’est plus long, mais généralement la connexion s’établit à un moment. Le modèle doit être complètement détendu. Et moi aussi. Maintenir un bon contact avec le modèle est une priorité car il conditionne toute la séance. Même lorsque vous n’avez pas l’œil dans le viseur, vous devez travailler à cette relation. 

Histoire de briser la glace, on jette un œil aux vêtements que le modèle a choisis pour cette séance. Je demande souvent un peu de tout : des choses unies, des choses plus fantaisistes, différentes couleurs mais aussi des choses sobres. Il faut pouvoir jouer avec toutes les situations. Mais il faut également que les portraits ressemblent à la personne. Selon moi, si quelqu’un n’assume pas de porter un vêtement, même si vous aviez une bonne idée en tête, ne le forcez pas. Les portraits doivent refléter la personne, c’est important. 

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Notez le rappel entre ce végétal blanc en haut à gauche et le vêtement.

Je sais maintenant quels sont les vêtements que j’aurai à ma disposition, je garde bien en tête les couleurs, les textures, les formes, les motifs que j’ai vus pour pouvoir trouver quelque chose qui colle. Je recherche maintenant quelque chose qui m’inspire.  Ca peut être une vieille porte, des marches d’escaliers, une ou plusieurs couleurs, une allée d’arbres etc. Ouvrez l’œil, les possibilités sont infinies.

Lorsque l’on marche et que l’on discute, j’observe les lieux. Quand je sens que le modèle commence à se détendre, je propose qu’on essaie quelques photos à un endroit que j’ai repéré. Ce premier endroit n’est pas crucial, il va surtout permettre au modèle de se détendre face à l’objectif. Je lui demande par exemple de s’asseoir sur cette marche, de se mettre à l’aise, de faire comme si je n’étais pas là, de regarder au loin, de regarder dans l’objectif. J’essaie plusieurs choses et je montre mon enthousiasme. C’est la priorité suivante : pour enclencher un cercle vertueux pendant la séance, il faut rester positif même si les photos n’ont pour le moment rien d’exceptionnel. Vous devez repérer tous les points positifs et insister dessus : « c’est bien je vois que tu as réussi à te détendre complètement », « j’aime bien quand tu croises les bras »… Ne soyez pas avare en compliments, mais n’en faites pas trop non plus. Voyez toujours le côté positif, par exemple, plutôt que de dire : « ne mets pas tes jambes comme ça » dites plutôt « j’aime bien quand tu mets tes jambes comme ça » (en précisant la pose que vous aimez). 

Composition

D’accord, je vois l’idée. Une fois que tu as établi la relation, comment composes-tu ton image ? C’est un truc assez mystérieux pour moi, je travaille principalement avec des sujets statiques, ou avec lequel je ne peux pas interférer (on a rarement l’occasion de déplacer une ville à sa convenance, ou de faire venir un artiste de street-art pour qu’il refasse son travail ailleurs). Du coup, c’est moi qui suis malléable pour obtenir ce que je veux. Tu fais comment, toi, avec un sujet qui l’est ?

Si j’ai bien posé les briques précédentes, mon modèle se détend et est donc « malléable » comme tu dis. Je sais avec quelles textures et couleurs je vais pouvoir jouer grâce à ses vêtements, l’endroit où nous sommes regorge de possibilités, les villes sont parfaites pour ça (on y trouve des bâtiments modernes ou anciens, des parcs, de l’eau…), ma batterie est pleine et ma carte SD est vide :). Pour composer je vais donc compter sur ma vision et mon relationnel avec le modèle pour lui demander différentes choses que je vais décrire ci-dessous. 

A ce moment, je continue d’observer les alentours. Lorsque j’ai repéré quelque chose qui me plait, j’analyse ensuite la lumière. En tant que photographe, vous devez comprendre comment fonctionne la lumière. Vous êtes celui qui écrit avec la lumière, il est de votre devoir de la comprendre. J’analyse donc la lumière naturelle, et je décide ou non d’utiliser un endroit (qui m’a plu au premier abord) en fonction de la lumière qui l’éclaire. Pour vous faciliter la tâche, vous pouvez mettre le modèle à l’emplacement que vous désirez et analyser directement la lumière sur son visage. Regardez les ombres et les hautes lumières. Mais regardez aussi les couleurs sur le visage (je parlerai des couleurs en détail plus loin, contentez-vous du visage ou du corps pour le moment). Beaucoup de photographes font l’erreur de prendre des portraits en pleine nature alors que le sol au pied du modèle est plein de verdure : le vert se reflète souvent sur le visage par le bas, c’est quelque chose que vous voulez éviter, croyez-moi. Si la lumière ne vous plait pas, changez d’endroit. Ne prenez pas de photos. Cela vous évitera des photos inutiles et du temps perdu. Sans rentrer dans les détails expliquez simplement que bien que le lieu ait du charme, la lumière naturelle ici n’est pas la meilleure. 

Lorsque j’ai trouvé un lieu qui me satisfait, on se met en place. Je demande au modèle de se placer à cet endroit que j’ai choisi. De tourner son visage et son corps dans une direction (le corps peut aussi viser une direction opposée au visage) Bien souvent je choisis une  direction en fonction de la lumière : par exemple si la lumière vient du haut (en douche dans le jargon), la modèle pourra par exemple lever la tête pour viser la source de lumière.

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Lumière en douche et cadrage à l’instinct sur ce diptyque de Gwennaëlle.

Sur cette photo  si la modèle n’avait pas levé la tête la lumière n’aurait pas été esthétique du tout pour son visage, créant des ombres sous les sourcils, accentuant les cernes et empêchant le spectateur de voir le regard. Je ne dis pas qu’il ne faut jamais le faire, ce type de lumière peut servir votre propos si vous souhaitez par exemple mettre le regard dans l’ombre, simplement pour le type de photo que je cherchais ici, ça n’aurait pas collé

Beaucoup de lumières sont belles, à vous de découvrir laquelle ou lesquelles vous préférez. J’ai été pendant longtemps très attiré par la lumière très douce que produisent un effet « softbox » ou un ciel nuageux, mais aujourd’hui j’aime également la lumière très dure, provoquée par une petite source lumineuse telle que le soleil. Vous avez probablement déjà lu un peu partout sur internet qu’il ne faut pas faire de portrait un plein soleil. En réalité c’est vous le décideur, vous pouvez le faire si ça vous chante, c’est juste une difficulté supplémentaire à gérer, autant pour la dynamique de votre appareil que pour trouver une orientation du sujet qui soit esthétique.

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Une lumière très dure vient raser le bas du visage et des cheveux. De plus sa direction est la même que les lignes juste derrière Elisa.

J’apprécie beaucoup les expressions neutres. Ça ne veut pas dire que je n’aime pas les sourires, mais ceux que font les gens sur les photos de famille sont des sourires de façades (des apparences pour convenir aux pratiques sociales plus que de vraies émotions), ça ne m’intéresse pas. Si la personne éclate de rire en revanche, je suis preneur ! Vous pouvez jouer avec différentes expressions si votre modèle est bon acteur, demandez-lui de prendre cet air méchant ou d’imaginer qu’elle soit poursuivie par exemple ! 

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La passerelle n’est pas tout à fait droite, on pourrait la redresser mais est-ce que ça changerait ce que dégage cette photo ? J’en doute.

Parfois mon ou ma modèle est ouvert d’esprit et n’a aucun complexe avec l’expérimentation, du coup j’aime bien tenter des poses plus originales

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Sur une idée originale de la dame.

Je demande également parfois au modèle de se mettre en mouvement et de tenter des choses. Je pose mon appareil, je prends sa place et lui montre quelques exemples que j’ai en tête, en lui donnant des contraintes comme : ton corps peut aller de là à là mais pas par là, tu peux baisser ton visage ou le lever mais pas plus que ça, tu peux regarder au loin ou regarder dans l’objectif, tu peux marcher entre ce point et ce point. Je fais confiance à mon modèle car je ne suis pas le seul à avoir des idées. Si je vois qu’elle gèle, je reprends les rênes

Ok, je vois comment tu arrives à obtenir ce que tu veux. Tu joues aussi avec les tenues ?

Pour un lieu donné, je choisis généralement une seule tenue. Le fond que j’ai choisi pour cette place doit servir mon modèle. Ça peut être sur un jeu de couleurs grâce notamment aux couleurs complémentaires, c’est-à-dire que si le fond contient beaucoup de vert, le modèle pourra porter du rouge par exemple. Les textures sont également importantes. Si vous choisissez un fond avec beaucoup de détails, vous pouvez créer un contraste en utilisant un vêtement fluide et simple pour créer un contraste de textures.

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Beaucoup d’arrière plan avec différentes formes. Pour éviter l’effet too much, un vêtement simple convient très bien ici.

Tu utilises d’autres choses pour la composition ?

Une astuce de composition que j’utilise également beaucoup est celle des lignes directrices. Lorsque les lignes de l’image se dirigent vers votre sujet, cela améliore grandement la composition. Servez-vous de toutes les lignes que vous pourrez trouver. Elles sont parfois difficiles à voir sans votre appareil photo au début alors faites une photo, regardez là et analysez les lignes qu’on y trouve. 

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Les grandes lignes convergent vers le visage.

Le dernier point qui me semble important ici est le cadrage. Dans un lieu, avec une tenue, une lumière, on peut faire beaucoup de photos différentes en variant les cadrages. Ne restez pas forcément à hauteur d’homme, bougez autour de votre sujet, mettez-vous au sol, prenez de la hauteur, approchez-vous, éloignez-vous. Vous trouverez certainement ce spot qui fonctionnera ! 

La planche contact

Contact2bsheet2bsnippet2bof2bernesto2bche2bguevara2b19632bc2a92brenc3a92bburri2bmagnum2bphotos. - La question du portrait (avec Christophe Som) - Thomas Hammoudi - Pratique
(C’est une illustration hein, Christophe n’a pas photographié Le Che) (Christophe : mais j’aurais bien aimé ! 😀)

Une fois que tu rentres chez toi, tu as ta belle carte SD remplie d’amour. C’est quoi ta méthode pour faire le tri dedans ? Tu fais ça quand ? Comment ?

J’adore ce moment. Je pose mon sac, je range mon appareil photo et le ou les objectifs qui m’ont accompagné. Je transfère les photographies de la séance du jour sur mon ordinateur et je crée des aperçus dynamiques sous Lightroom. En général ces opérations prennent un peu de temps, surtout la création des aperçus, du coup je laisse mon équipe de stagiaires me préparer du café & des gâteaux.

Je regarde les images quand je reviens, je n’attends pas. Je les passe tranquillement, une à une, sans me presser, je note d’une étoile celles qui retiennent mon attention et qui sont correctes techniquement (Lightroom possède une fonction de notation des images pour ceux qui ne le connaissent pas). Je ne cherche pas la perfection technique, si une mise au point n’est pas parfaite mais que la photo dégage quelque chose, ça me va. Sur certaines photos qui m’inspirent je fais déjà un pré-traitement, juste pour voir où ça va me mener. Une fois que j’ai passé toutes les photos en revue, certaines sont notées, et parmi celles-ci quelques unes ont déjà leur essence dans le traitement. 

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Restez simple, pas besoin d’en faire des tonnes.

Afin de ne garder que les meilleures, je fais ensuite appel à ma chère et tendre, qui vient m’aider à passer au niveau supérieur en attribuant deux étoiles aux images. En général le tri s’arrête après cette étape et le travail de post-traitement peut débuter. 

Haha, tu fais comme Sebastião Salgado tu utilises ta moitié pour faire le boulot ! Tu fais aussi participer la cliente ?

Oui, quand la séance est pour une cliente (et non pour mon propre plaisir), après le tri à une étoile, j’envoie toutes les photos notées en petit format pour que la personne choisisse quelles sont ses préférées. Ce sont celles que je retoucherai. 

T’as jamais peur que travailler avec le souci du délai (pour renvoyer les images au modèle à temps) influe sur tes choix ?

En fait ça dépend de la peau, plus elle est visible, surtout quand le visage est photographié de près, plus je vais avoir de travail. Mais ça m’est égal car mon objectif est de créer des images qui me donneront satisfaction sur le plan esthétique comme émotionnel. C’est ma priorité numéro un car c’est ce que j’aime faire. Que l’on parle d’une collaboration ou d’une cliente, ma motivation est toujours la même. Alors si une photo me plait, même si je sais qu’elle va me donner du travail, je la garde sans penser au temps que je vais passer dessus. Alors pour répondre à ta question : non je n’ai pas peur que travailler avec une deadline influe sur mes choix 🙂 

Développer et/ou retoucher

Comme tu t’en doutes, quand on parle de portrait, la question fatale, et peut-être absurde va forcément se poser : tu développes comment ? Tu retouches ou pas ? T’en penses quoi ?

Le sujet est vaste. Tout d’abord, comme je l’expliquais rapidement juste au-dessus, je développe mes fichiers RAW sous Lightroom. Lorsque la photo n’implique pas une retouche conséquente, ce logiciel est bien souvent suffisant. On peut y modifier la lumière, les couleurs, et même faire quelques corrections locales. 

Je passe mes photos dans Photoshop pour trois raisons : 

  • Soit parce qu’une retouche assez lourde s’impose. Ca peut être une retouche de peau, une retouche d’un élément parasite comme un poteau électrique, ou bien parce-que j’ai envie d’étendre le cadre de la photo. 
  • Soit parce-que j’ai envie de donner un rendu colorimétrique précis sur différentes zones. 
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La lumière cyan des néons était présente à la base. Je l’ai intensifié au sol et en arrière plan pour donner de la cohérence et un style colorimétrique.
  • Ou pour ces deux raisons à la fois 🙂 

Ma philosophie en post-traitement est de mettre en avant mon modèle et d’épurer ce qui vient casser mon propos. Par exemple si je fais une photographie dans un appartement et que le fond contient des documents, des livres, des vêtements sales etc. ça ne me gène pas car il sert le propos que je mets en avant : la personne dans son intimité, chez elle.

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On aurait pu ranger la chambre mais non, on s’immerge mieux dans l’image comme ça.

En revanche si je veux faire quelque chose de propre, devant un mur à la texture intéressante, s’il y a des éléments gênants, je les enlèverai à ce moment là (si je n’ai pas pu les enlever pendant la prise de vue). 

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Le mur contenait beaucoup de petites tâches blanches. Les laisser aurait parasité l’image.

Alors qu’est-ce que je pense du post-traitement ? Je pense que tu auras compris qu’utiliser ces outils modernes mis à notre disposition est selon moi un bien pour améliorer une photo déjà bonne à la base

J’insiste sur quelques points tout de même. Tout d’abord le modèle doit se reconnaître. Ça peut sembler logique mais j’ai déjà entendu des modèles se plaindre qu’elles ne se reconnaissaient pas toujours sur des photos de photographes. Si le modèle ne se reconnait pas sur vos photos, vous avez été trop loin dans le traitement. En tout cas, quelque chose n’a pas fonctionné. 

Il existe des mauvaises pratiques en post-traitement. Sans parler de vignettage positif ou de désaturation partielle, certaines techniques de retouches de peau « pour fainéant » lissent complètement la peau, le grain de peau est alors perdu. La peau est un organe, traitez le avec respect :). Certaines techniques également permettent de changer la forme du visage ou du corps (je pense notamment aux ombres ou aux hautes lumières qui n’existent pas à la prise de vue). Si vous créez ce type de zones, vous ne faites ni plus ni moins que modifier l’apparence physique de quelqu’un. Je n’utilise pas ces techniques, si la personne à un double menton dans certaines conditions, je m’arrange pour qu’elle ne l’ait pas pendant ma prise de vue, même si j’aurais pu lui enlever après. 

Pour résumer je dirais simplement qu’une bonne retouche est une retouche qui ne se voit pas. Même quelqu’un qui connait le métier ne doit pas arriver à trouver les zones que vous avez retouché.

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Dinosaure. 🙂

Pour clore cette partie sur le post-traitement je dirai que tout au long de ce que j’appelle ma « recherche photographique », je n’ai cessé d’avoir une sorte de curseur qui se baladait entre ma prise de vue et mon traitement. Au départ, je pensais que faire une bonne photo, c’était 20% à la prise de vue et 80% au traitement. Je pense que beaucoup de débutants voient dans le traitement un moyen de transformer des photos basiques en oeuvre d’art. C’est faux à mon sens. Aujourd’hui, ce fameux curseur s’est inversé. Lorsqu’une prise de vue me plait, 80% du travail est fait. Et je suis heureux qu’il en soit ainsi car je suis plus heureux mon appareil à la main que devant mon ordinateur 🙂 

Mode et tendance

En tant que photographe de portrait, tu dois plus ou moins être pris entre deux feux : ce que tu as envie d’exprimer et de faire, et la mode / ce que veulent les modèles à un moment donné. Comment tu gères ça ? Dans la première parti, on a dit qu’ »Un portrait est toujours un auto-portrait » t’es où toi là-dedans ? 

Une fois de plus cela dépend si c’est une séance pour mon portfolio ou pour un ou une cliente. 

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Pris pendant une sortie nocturne à la « blue hour ». Cette photographie est capturée et non créée de toute pièce.

Dans le premier cas, lorsque je décide d’étendre mon portfolio, je préviens le ou la modèle avant, j’explique bien ce que j’ai envie de faire, le rendu que je souhaite obtenir, parfois j’expérimente, surtout avec des modèles que je connais bien, donc je préviens qu’il est tout à fait possible qu’aucune photographie ne sorte de cette séance. Si la personne est d’accord avec ce principe, on y va et je fais ce que j’ai en tête. 

Dans le second cas, celui d’une cliente par exemple, je réalise certaines prises de vues selon mon humeur du moment, ces photos vont plus tirer vers les photos que je réalise dans cette période. Mais je fais également des photos qui marchent à tous les coups : beaucoup de flous ou des effets de mouvement par exemple. 

Cas concret

Tu pourrais nous prendre une de tes images, là comme ça, et nous détailler tout le processus que tu as mis en place pour l’obtenir ? Genre, de A à Z.

Avec plaisir, voici l’image que j’ai sélectionnée : 

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Contrairement à la précédente, cette photographie est une construction de toute pièce. 

Je vais d’abord vous expliquer comment m’est venue l’idée de cette photo et ensuite je détaillerai point par point tous les éléments auxquels j’ai pensé pour que cette photographie fonctionne. 

Depuis que je fais de la photo, lorsque je me balade ou que je roule, j’observe mon environnement : la lumière, les couleurs, l’atmosphère, comme je vous l’ai décrit là-haut. Finalement, l’appareil photo m’a appris à voir. Et ce jour-là, en roulant, j’ai repéré au sommet d’une colline une forêt de sapins, ils étaient tous bien rangés, bien parallèles, bien droits. Je suis souvent passé juste à côté de cette forêt mais avant de faire de la photo, je ne l’avais jamais remarqué. Depuis je l’appelle la « forêt des sapins parallèles ». 

Quelque temps après, j’y suis allé, juste pour me promener, et pourquoi pas repérer les lieux pour faire une photographie. Le lieu m’a inspiré, notamment cette clairière. En rentrant, j’ai donc contacté une modèle pour savoir si elle était partante pour essayer de réaliser ce que j’avais en tête. Je lui ai également demandé si elle avait des vêtements fluides soit dans les tons verts pour correspondre aux teintes de la forêt, soit dans les tons rouges pour jouer avec les couleurs complémentaire. Elle possédait une robe verte, parfait. 

La semaine suivante, pendant un jour nuageux, je suis retourné là-bas avec elle. Je n’imaginais pas d’autres compositions que celle centrée sur la clairière et ces arbres bien droits. La lumière formait toute une raie lumineuse que l’on peut voir au-dessus de sa tête, ce qui était parfait. Il fallait qu’elle se prolonge devant elle pour avoir une lumière bien directionnelle (ce que j’aime beaucoup) : pas de problème, on a avancé un peu jusqu’à ce que le rendu sur son visage me plaise. Petit bilan à ce stade : pour la lumière c’est bon, pour les couleurs c’est bon, on continue !

J’ai essayé différentes positions : débout, assis, etc. J’utilise mon 85mm, je peux donc facilement changer l’arrière-plan. Si je me baisse et que je pointe l’objectif vers le haut, j’élimine totalement le sol. Si je me lève et que je pointe l’objectif vers le bas, j’élimine totalement les sapins. Je vous laisse deviner le point de vue que j’ai adopté 🙂 

Reste la question de la pose. On a essayé des choses statiques, ce qui me plait déjà bien mais qui n’a pas obtenu mon coup de cœur. Puis j’ai eu cette idée de mouvement (je me suis dit « avec ses cheveux long, ça va le faire ! »). Je lui ai demandé de se mettre de dos et de se retourner rapidement, en regardant droit dans l’objectif et en ayant l’air le plus naturel possible (ce qui est cocasse, avouons-le). Il a fallu le faire un bon nombre de fois avant d’avoir la pose parfaite (trop sur le côté, la tête trop en arrière bref, j’ai déclenché pas mal de rafales pour avoir cette photo). Lorsque nous l’avons vu sur l’écran de mon appareil, il était inutile d’en faire d’autres, j’avais ma masterpiece

Côté traitement, j’ai renforcé le contraste, nettoyé la peau, supprimé quelques plis disgracieux sur la robe, et joué avec les couleurs dominantes pour qu’elles soient plaisantes à l’œil. Il s’agissait principalement des couleurs complémentaires (vert de la forêt et du vêtement, rouge des troncs et des cheveux). 

Qu’aurait été cette photo si je n’avais pas pris la peine de me baisser pour faire disparaitre le sol et mettre en avant les sapins ?
Est-ce qu’elle aurait aussi bien fonctionné si la robe n’avait pas été fluide et dans les tons verts (ou rouges) ? 
Si nous n’avions pas continué à avancer dans cette clairière, la lumière n’aurait certainement pas été aussi flatteuse. 
Faire une photo, ça se prépare, et une fois sur place, laissez vos idées prendre le dessus et soyez actifs. 🙂 

Conclusion

L’idée de base de l’article était simplement de parler du portrait. En effet, je le pratique assez peu, et j’ai tendance à penser que ce qui ne nous attire pas en révèle autant sur nous que ce que nous aimons. Ce blog étant à mon sens un carnet de voyage, je pensais qu’il serait intéressant de traiter le sujet.

J’ai souhaité être le plus exhaustif possible, et c’est pour cela que j’ai fait appel à Christophe. Bien évidemment, l’article n’a pas vocation à traiter en une traite un sujet aussi vaste, aussi important, et autant liés à des considérations personnelles. Mais si, nous avons réussi à vous offrir une première approche, relativement complète, de ce qu’est le portrait en photographie, alors notre mission est accomplie.

Gamaniak sangoku vegeta check - La question du portrait (avec Christophe Som) - Thomas Hammoudi - Pratique
Ps : Chris possède une chaîne sur YouTube : Améliorez ses photos.  Il vous y montre les backstages de ses séances, et donne foison de  conseils pour améliorer vos portraits (mais pas que !). J'avais bien  aimé celle-ci, qui est représentative du contenu qu'il propose : 

Sources :

Notes : 

  1. D’ailleurs, cela m’inspire une réflexion toute personnelle : vous n’avez jamais remarqué comme chaque nouveauté technologique est soit poussé par l’industrie pornographique soit très vite détourné par elle ? On dirait presque que l’envie de voir son voisin tout nu fait tourner le monde. Je vous conseille l’excellent, et très sérieux, article d’Elaee sur le sujet : Porno et innovation technologique. Voilà, vous pouvez retourner à l’article. Désolé du dérangement. 🙂  ↩︎
  2. Le mot clé est « fouet ». Voilà voilà. ↩︎

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Commentaires

2 réponses

  1. Avatar de FredC
    FredC

    Bonjour Thomas
    Je rattrape mon grand retard dans la lecture de tous les articles de ce blog. Quel boulot !
    Je me permets 2 remarques concernant celui-ci qui a été mis à jour récemment si j’en crois la date : dans le chapitre sur Mapplethorpe l’image de nu est une image de Samuel Beckett par Cartier-Bresson.
    Quant à la planche contact, Christophe n’a pas photographié Fidel Castro et pour cause, il s’agit de Che Guevara…
    (Supprimez ce message sans vergogne, c’est juste pour que les quelques pétouilles soient corrigées)

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