J’aime beaucoup internet. On peut revenir en boucle sur les mêmes sujets, recommencer les mêmes débats éternellement. Mais pour autant, ce n’est pas une occasion manquée ou ratée, on peut apprendre des trucs au passage.
Albert Camus disait qu’« il faut imaginer Sisyphe heureux », et c’est donc avec une joie non dissimulée qu’on va entamer ce nouvel article sur un sujet me tenant particulièrement à cœur, la photographie de rue.
Les habitués la reconnaîtront, elle a sans doute manqué à certains et en a traumatisé d’autres. Ressortons donc Pipou, la fameuse pelle à démonter du cliché. Et elle n’est pas revenue d’entre les morts pour cueillir des fleurs.
Disclaimer : Je ne suis pas juriste, ni habilité d'une quelconque façon à donner des conseils de droit. Tout le texte suivant n'est basé que sur mon interprétation des textes en vigueur au moment où j'écris ce billet, et peut comporter des erreurs. Faites-vous toujours conseiller par un professionnel.
Contexte
Avant de démarrer, on va définir (sans surprise) le contexte, de quoi on va parler et surtout de quoi on ne va pas parler.
J’ai découvert ce sujet grâce à ce tweet, et aux réponses qui y ont été faites :
Dedans, elle raconte avoir été prise en photo, dans l’espace public et à son insu par le monsieur de l’image. On ne connaît pas son nom, il serait journaliste. Elle dit lui avoir demandé de supprimer l’image ce qu’il a refusé de faire. Ensuite, il semble s’être moqué d’elle et l’avoir provoquée (en reprenant d’autres photographies), puis un échange d’insultes a démarré. À un moment elle l’a pris en photo, et a diffusé cette image sur Twitter, avec les messages ci-dessus, sur un compte comptant environ 28 000 abonnés.
ALORS ALORS.
Je n’ai rien contre Salomé Lagresle. Elle travaille chez Jeuxvideos.com (on y reviendra juste après), je ne la connaissais pas avant de voir ce tweet, ne m’y intéresserai pas plus après. Cependant, je ne peux m’empêcher de trouver son attitude pas très maline : en diffusant l’image de la personne, elle prend un risque inutile. On le sait, la communauté derrière Jeuxvideos.com est jeune, parfois immature (et aussi un beau terreau de l’extrême droite, mais on s’éloigne du sujet). Bref, si un gamin croise le photographe et se sent de jouer les justiciers à l’aide de ses gros bras, il serait en droit (le photographe) de se retourner contre elle, la diffusion de son image lui ayant causé des dommages. Cela paraît très théorique dit comme ça, mais sous le tweet originel de Salomé Lagresle, beaucoup de comptes appellent à une réaction violente. On reviendra sur ce sujet ensuite aussi.
Donc bon, le même tweet sans photographie aurait été beaucoup plus sûr. D’autant plus pour se plaindre que son image a été prise contre son gré.
Aussi, je trouve que le photographe a mal réagi. On y reviendra en fin d’article, sur comment je conseille de traiter ce genre de situations délicates, mais très clairement, provoquer et insulter est la pire façon de faire. Je ne le cautionne pas, et aucune ligne de ce billet ne vise à excuser ça. Nous n’en parlerons donc plus.
Ça, c’était pour le contexte. Mettez Twitter, un point de droit méconnu, une femme se plaignant du comportement d’un homme en 2021, et la communauté de Jeuxvideos.com : il se passe quoi à votre avis ?
PS : n'oubliez pas que Twitter est un microcosme, où les avis qui s'expriment sont souvent très polarisés et pas forcément représentatifs de l'opinion générale sur un sujet. Il n'y aura donc pas de BFM TV ici, en faisant du "les réseaux sociaux pensent que". On va juste faire un peu de contre-argumentation sur les points étant les plus revenus.
Droit et photographie de rue, le récap’
On va, ici, éviter les doublons. Comme je le disais, j’ai déjà produit plusieurs contenus sur le sujet, vers lesquels je vous renvoie si vous débarquez chez moi. Je vais simplement résumer les grandes lignes, pour que vous puissiez suivre la suite.
Dans cet article, je présente la base du sujet : comment le style photographique s’est construit, et quels sont les types d’images que l’on peut y trouver.
Dans celui-ci, je parle justement de la question qui nous intéresse : est-ce qu’on a le droit de faire ça ? J’y traite 3 aspects de la question :
- L’aspect historique/sociologique : j’explique qu’il est important pour une société de produire une image d’elle-même, via les photographes artistes justement.
- L’aspect « reconnaissance » : on parle de la reconnaissance de la photographie de rue dans le monde de la photographie d’art, notamment en listant les différents prix (spoiler : ils sont nombreux).
- Et enfin « le droit ». J’évoque la classique jurisprudence du cas de François-Marie Banier contre Isabelle Chastenet de Puységur. Cette dernière a été prise en photographie par Banier, s’est retrouvée dans un livre et a porté plainte contre lui. Elle a perdu son procès et en appel. Je vous laisse lire l’article pour les détails, mais retenez juste ce passage du jugement :
« Le droit à l’image doit céder devant la liberté d’expression chaque fois que l’exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s’expriment spécialement dans le travail d’un artiste, sauf dans le cas d’une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d’une particulière gravité. »
CA Paris, 5/11/2008, I. de C. c/ Gallimard
J’ai aussi repris ce contenu en vidéo ici :
Contenu approuvé en commentaire par Joëlle Verbrugge, avocate spécialisée du droit à l’image et autrice de nombreux ouvrages sur le sujet. Il semblerait donc que je n’y dise pas trop de bêtises.
Bref, revenons à nos moutons.
Il y a un point essentiel à comprendre ici : on juge et statue sur la diffusion et non la prise de vue. Le juge a regardé si la diffusion de l’image avait causé un tort « d’une particulière gravité » à Isabelle Chastenet de Puységur, et ça n’était pas le cas. Et c’est normal qu’on ne se penche pas sur la prise de vue, je vois 2 raisons :
- La prise de vue est autorisée dans l’espace public. C’est facile, c’est dans le mot : public. Vous avez le droit de prendre des photographies dans la rue et personne ne peut trop rien vous dire. C’est très compliqué d’interdire la prise de vue en soi (sauf cas évidents, pour des raisons de sécurité, comme les centrales nucléaires ou les bases militaires). Et même les lieux « privés » ont des règles étranges. Par exemple, il est théoriquement interdit de faire des photos dans les gares ou les stations RATP, notamment pour des raisons de sécurité : il y a beaucoup de voyageurs qui passent, et il ne faudrait pas vous foutre avec votre trépied en plein passage. Si vous prenez des photos avec un appareil photo, vous risquez de voir venir un vigile vous demandant d’arrêter. Par contre, il ne se passera rien avec un smartphone (pourtant, ils ont une qualité d’image très bonne maintenant et permettent de diffuser rapidement les images). On peut observer la même chose dans les supermarchés ou les salles de concert. Je n’ai jamais trop compris cette différence , mais on s’éloigne du sujet.
- Il n’y a pas de tort causé. Globalement, on va en justice pour réparer un tort, un dommage qui a été causé. Votre voisin a coupé votre arbre préféré sur votre terrain. On vous a embouti votre voiture. Il y a quelque chose qui vous est arrivé, et vous demandez à la société de faire justice et de réparer ça. La loi et le droit sont là pour ça : encadrer la vie en société et corriger les déconvenues (en théorie). Mais dans le cas présent, que vous cause, concrètement et factuellement une prise de vue de vous dans l’espace public ? Bah, pas grand-chose (ou rien, c’est tout comme).
Bon, voilà pour le rappel des bases. Il y a un dernier point à voir, la LOI n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Elle est intéressante pour ses 2 premiers articles :
- Article 1 : La création artistique est libre.
- Article 2 :
- I. La diffusion de la création artistique est libre. Elle s’exerce dans le respect des principes encadrant la liberté d’expression et conformément à la première partie du Code de la propriété intellectuelle.
- II. L’article 431-1 du Code pénal est ainsi modifié : 1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Pourquoi je fais ça ?
Quand j’ai vu passer le tweet originel de Salomé Lagresle, j’ai passé pas mal de temps à répondre à toutes les bêtises que je pouvais voir dites sur le sujet (et auxquelles on s’attaque dans la partie suivante, patience). Pourquoi faire ça ?
Parce que c’est important pour le photographe suivant.
Il y a tous les jours des photographes qui veulent se mettre à la photographie de rue, essayer, se lancer. Évidemment, parmi eux certains seront maladroits, pas discrets, pas forcément au fait de tout ce que je viens de vous expliquer. Et c’est normal, si Rome ne s’est pas faite en un jour, Henri Cartier-Bresson encore moins.
Donc je pense qu’il y a un vrai « rôle », pour ceux qui savent l’expliquer, de prendre le temps de le faire et de débunker les lieux communs et les légendes urbaines à ce sujet. Vous éviterez au suivant de se faire casser les pieds de façon agressive (avec un peu de chance).
Personnellement, je n’ai rien à en tirer : ce genre d’altercations ne m’arrive que très rarement (2 fois en 5 ans de pratique pour être précis. À ma première sortie photo justement, et une fois, un peu pompette, en faisant des photos au flash la nuit dans la rue avec Richie). Et aussi, je connais mes droits et sais m’expliquer. Personnellement, ma règle est très simple : je ne supprime jamais une photographie (je souhaite garder tout mon travail, pour l’analyser, etc.), mais si quelqu’un me casse les pieds, je ne diffuse pas. Je n’ai pas envie que des photographies de mon portfolio soient associées à de mauvais souvenirs.
Bon, je dis ça, mais il faut avoir un peu de bon sens aussi : j’évite les coins « chauds ». Il y a des rues de Lille où des gens attendent toute la journée sur un banc, et ça n’est pas pour écrire des poèmes. Je ne vais pas leur coller mon appareil sous le nez.
Bref, voyons un peu ce qui se raconte sur le sujet.
Les arguments classiques
Donc, comme je le disais, j’ai répondu à beaucoup de tweets commentant le tweet de Salomé Lagresle. Le truc, c’est qu’au bout d’un moment, j’ai remarqué que les arguments étaient toujours les mêmes et dans le même ordre. C’est comme ça d’ailleurs que j’ai eu l’idée de cet article. J’en ai eu un peu marre qu’on dise A, que je réponde B, puis que C arrive, à chaque fois.
Quelle est cette éternelle ritournelle rhétorique ? Voyons ça.
« Tu n’as pas le droit de faire ça »
Bon, évidemment, tout démarre toujours avec des Jean-Marc Juriste qui se basent sur leurs intuitions pour traiter du sujet :
Et n’étant pas avare d’encouragements, c’est avec une certaine joie que je peux décerner un point officiel du ministère des Biais et des Sophismes à ce genre de propos.
C’est le premier du Blog, prenons le temps de savourer l’instant.
La première réaction des gens, non instruits au sujet, est donc de se référer à leur connaissance, empirique, intuitive du droit.
Est-ce qu’on peut leur en vouloir ?
Bien sûr que non. C’est toujours désagréable, fatigant et chronophage de discuter avec quelqu’un qui parle avec conviction d’un sujet qu’il ne maîtrise pas. Il n’a pas fait de recherches, et assène des intuitions comme des vérités. Mais honnêtement, même en y faisant attention, ça nous arrive à tous de temps en temps de faire confiance à une intuition. Et intuitivement, je peux comprendre qu’on puisse penser que la prise de vue de personnes dans l’espace public, dans le cadre d’une pratique artistique soit interdite, surtout avec les histoires de procès faits à des paparazzi qui arrivent chaque année.
Je vous zappe la contre-argumentation de ce point, on l’a vue précédemment.
Une fois qu’on a dit et expliqué que c’est parfaitement légal et déjà encadré, on arrive au point suivant.
« Ce n’est pas moral »
Je trouve la rhétorique sur ce point très facile. Trop facile. On voit que le droit ne va pas dans notre sens, du coup on balaie tout ça d’un revers de main (et un siècle de pratique au passage) et on sort la cartouche de la morale. Ça fait bien, la morale, on décrète ce qui l’est ou pas sur un ton un peu péremptoire, et le débat est plié.
Mais est-ce vraiment le cas ?
Bien sûr que non.
Qui concerne les règles ou principes de conduite, la recherche d’un bien idéal, individuel ou collectif, dans une société donnée.
CNRTL – Morale
Le problème de la morale (et de l’éthique qui en traite), c’est que c’est très personnel et variable d’un individu à l’autre. Selon votre éducation, votre âge, sexe, milieu d’origine, Pokémon préféré, elle sera différente d’un individu à l’autre. Ce que je trouve moral peut être immoral pour mon voisin. Globalement, la plupart des gens sont d’accord sur l’essentiel : tuer une autre personne, c’est mal pour toutes les sociétés.
Mais il arrive que l’on ne soit pas tous d’accord. Pour illustrer ce mécanisme, on peut prendre un exemple de l’histoire politique récente : le mariage pour tous. Je ne mets pas du tout les 2 sujets sur un pied d’égalité, mais le mécanisme est le même : certains trouvaient cela immoral, particulièrement la frange catholique et à droite de la population, sans surprise.
Du coup, comment on fait quand on n’est pas d’accord, en tant que société ?
Eh bien, on fait des lois. C’est pour ça qu’il est absurde de mettre les textes législatifs de côté pour privilégier la morale, les textes législatifs étant l’incarnation de la morale d’une société. Moralement, en tant que société, on considère que le mariage doit être ouvert à tous, et qu’il est plus important de privilégier la liberté d’expression et le travail artistique dans l’espace public plutôt que le droit à l’image, en l’absence de tort causé.
Si ce genre de sujet vous intéresse, je vous invite aussi à vous documenter sur la fenêtre d'Overton, qui permet de voir ce que l'on peut dire ou non (et donc ce qui est discutable) dans une société à un moment donné.
Donc, au mieux, avec l’argument de la morale, vous pouvez affirmer que la loi (enfin le cadre juridique) telle qu’elle est ne correspond pas à vos valeurs. Et c’est parfaitement OK, vous avez le droit de ne pas être d’accord, moi aussi je ne suis pas d’accord avec certaines lois. Mais ça n’est pas un argument recevable pour autant.
Vous remarquerez que le dernier tweet bascule dans la lutte féministe : « C’est fun de voir encore un homme débattre pendant des heures sur un sentiment qu’il ne connaîtra jamais ». Déjà, un homme peut aussi être pris en photo dans la rue par un photographe de rue, mais passons. Le terrain est glissant donc je vais mettre des pincettes : je suis pour une égalité totale entre hommes et femmes, je soutiens le combat féministe (on dit « allié » je crois) même si ça n’est pas le mien, et quand je peux faire des contenus qui aident un peu en photographie, je le fais.
Ceci étant dit, ce n’est pas la première fois que je constate ça dans un débat sur Twitter : quand une personne sort du cadre où elle est à l’aise, elle va dévier la conversation sur un autre terrain, beaucoup plus facile à manipuler : « De toute façon tu parles de ça, mais tu n’es qu’un homme, etc. »
Si une jeune Blanche riche avait photographié un Noir, on aurait basculé sur le racisme au bout d’un moment. Une sorte de pré-point Godwin.
Je rappelle donc quelques éléments ici : la photographie de rue est pratiquée et défendue aussi par des femmes. Helen Levitt, Vivian Maier, Diane Arbus, Jane Evelyn Atwood, Mary Ellen Mark ou Dana Lixenberg sont toutes des femmes photographes ayant travaillé dans la rue. Le sujet n’est pas réservé qu’aux hommes. De même, Pauline Vermare est actuellement directrice culturelle de l’agence Magnum Photos (comptant beaucoup de photographes de rue), poste occupé pendant 20 ans par Agnès Sire, qui dirige désormais la fondation Henri Cartier-Bresson (autre photographe de rue).
Et si vous voulez en apprendre plus sur la représentation des femmes dans la photographie, je vous invite à regarder ma vidéo sur Vivian Maier ou celle dédiée au sujet. Les travaux des femmes ont été historiquement moins visibles que ceux des hommes (quelle surprise), mais cet excellent livre de Marie Robert rattrape pas mal de manques :
Bref, on évite de dévier du sujet en désignant, à tort, la photographie de rue comme étant une pratique d’hommes photographiant des femmes (si vous sentez l’odeur du mot « pervers », c’est normal, c’est tombé aussi).
Une histoire de consentement
Une fois que ni le droit n’a marché ni la morale (pour les raisons que l’on vient de voir), tombe inévitablement la question du consentement.
Le consentement, c’est une notion qui est revenue sur le devant de la scène depuis #MeToo et une certaine libération de la parole des femmes. C’est une bonne chose, je ne dis pas le contraire. Mais il ne faut pas appliquer mécaniquement le concept à tout et n’importe quoi ; sous prétexte qu’il est valide dans une situation A, il ne l’est pas forcément dans la situation B. Si l’on parle beaucoup de consentement, c’est essentiellement autour des rapports sexuels (et c’est nécessaire de le faire, je ne dis pas le contraire) ou de « drague » dans la rue (d’où l’arrivée d’une loi sur l’outrage sexiste en 2018). Bref, on en parle pour des sujets assez sérieux où si le consentement n’est pas respecté on crée des situations d’une particulière gravité (un rapport sexuel sans consentement c’est un viol, une photographie prise dans l’espace public sans consentement, c’est une photographie prise dans l’espace public, point).
Donc veillons à ne pas utiliser le poids de certaines notions dans des débats où elles ne sont pas pertinentes.
Le premier argument qu’ont les photographes de ne « pas demander la permission de prendre une photo » (qui n’a pas besoin d’être demandée de toute façon, mais passons), c’est de ne pas tuer la spontanéité d’une image. Le cœur de la photographie de rue reste quand même de capturer la vie publique, et pas « ce que la vie publique veut bien laisser d’elle, posée, une fois qu’elle a bien dit qu’elle était d’accord ». Mais c’est un argument qui ne fait pas vraiment sens pour les non-photographes, donc on va prendre un autre chemin.
Vous ne consentez pas à tout ce qui vous arrive dans l’espace public, et c’est normal.
C’est sans doute un rêve pour certains, mais non, le monde ne se plie pas à vos ressentis et vos désirs. La vraie vie n’est pas un safe space de Twitter. Dans l’espace public, vous devez composer avec les autres et donc bon nombre d’interactions auxquelles vous ne consentez pas.
Par exemple : on est d’accord que la santé est primordiale ? Vous ne laisseriez pas quelqu’un vous empoisonner ?
Pourtant, si vous êtes assis en terrasse et que votre voisin fume, vous respirez sa fumée. Avez-vous donné votre consentement ? Si vous lui demandez de partir et qu’il refuse (c’est parfaitement son droit), que faites-vous ? Bah, soit vous partez, soit vous constatez que vos libertés se heurtent, dans la vraie vie, avec celles des autres.
Si le sujet vous intéresse, un peu de prévention contre le tabagisme, ça ne fait jamais de mal :
Et il en va de même pour plein de sujets : dans la rue on peut tenter de vous vendre des trucs, tomber sur des représentants d’associations qui vous forcent à moitié la main pour faire des dons mensuels, vous demander 1€ pour un café ou que sais-je. Le monde ne peut pas s’adapter à votre consentement, donc pourquoi utiliser l’argument sur ce sujet ?
Je veux bien qu’on se mette d’accord collectivement, en tant que société, sur ce qu’on consent dans la rue. Mais il faut le faire pour tout, et le faire respecter pour tout. On dresserait une immense liste chacun. Mais ça risque d’être un peu compliqué, hein.
Respect et bon sens
Cet argument est proche de celui-ci sur la morale. On pose une attitude perçue comme universellement positive (« Le respect est une bonne chose ») et on essaie de faire passer la pilule en disant que le camp opposé en manque.
Là aussi, c’est tout à fait discutable. Demander à un photographe de rue de supprimer une image, est-ce respecter sa liberté d’expression ? Son droit de profiter aussi de l’espace public pour construire un travail artistique ?
Ces droits sont acquis, factuels, existants. Qui êtes-vous pour vous y opposer ?
On parlait de la confrontation entre ce dont on rêve sur Twitter et la vie réelle, arrêtons de jouer aux dupes : en allant dans la rue, vous savez très bien que vous allez être vu, peut-être filmés, enregistrés et tutti quanti. En quoi un photographe manque-t-il de respect à quiconque en travaillant dans les limites d’un cadre communément admis ?
En intervenant dans le travail artistique d’autrui, vous manquez de respect à sa pratique, sans doute sa sincérité et sûrement son investissement. L’argument peut être employé dans les deux sens, quelle est donc sa valeur ?
Nulle, sans doute.
L’appel à la violence
Bien évidemment, on ne serait pas sur internet si une petite dose de culture masculine viriliste n’était pas apparue. Attention, les gros bras sont de sortie : on a des muscles, nous on tape, on ne discute pas, on est trop fort, attention.
C’est sans aucun doute la pire idée possible pour traiter la situation. Déjà, inciter à la violence sur un réseau social me semble parfaitement stupide et déraisonnable. Mais au-delà de ça, il s’agit d’actions pouvant avoir des conséquences assez lourdes :
- L’appareil photo qu’il a en main semble être un Leica numérique. Avec l’objectif, le tout doit coûter environ 10 000 €. Est-ce raisonnable de prendre le risque de devoir rembourser cette somme, juste pour faire son « bonhomme » dans la rue ? Si vous avez ce montant qui traîne dans un coin, investissez-le dans votre éducation, ça fera sûrement plus de bien à tout le monde,
- Si le photographe est professionnel et qu’il s’agit de son outil de travail, vous pourriez vous retrouver à payer des dommages et intérêts,
- Je vous laisse consulter la page du service public, mais les risques en cas de violence ayant entraîné des ITT supérieures à 8 jours peuvent être particulièrement élevés.
Bref, on a pris une photo de vous. Vous n’êtes pas content (c’est votre droit). Mais est-ce que tout ça en vaut vraiment la peine ?
J’ai quand même l’impression que la violence reste la solution la plus bête et regrettable qui soit, et sans commune mesure avec juste le fait de ne rien faire.
Et la RGPD ?
Plusieurs utilisateurs ont mentionné un point intéressant : la photographie de rue se heurterait à la RGPD.
Selon le site de la CNIL, une photographie est bien une donnée personnelle. Elle peut même être dite « sensible » (si elle est associée à des données biométriques) et nécessiter des précautions en plus. L’article 51, mentionne le point suivant :
Le traitement des photographies ne devrait pas systématiquement être considéré comme constituant un traitement de catégories particulières de données à caractère personnel, étant donné que celles-ci ne relèvent de la définition de données biométriques que lorsqu’elles sont traitées selon un mode technique spécifique permettant l’identification ou l’authentification unique d’une personne physique.
RGPD – article 51.
Cependant, il faut considérer les 2 points suivants :
- Nous n’avons pas de jurisprudence sur des cas similaires (photographies de rue diffusées dans le cadre d’une pratique artistique et saisie de la CNIL). Le sujet est encore récent et reste flou, seules les prochaines années le diront. D’ailleurs, on pourrait imaginer Salomé Lagresle porter plainte justement pour non-respect de la RGPD. Cependant, la photographie n’ayant pas été diffusée, je vois mal sur quel préjudice s’appuyer pour aller en justice.
- Le juge prend en compte « l’esprit de la loi » lorsqu’il statue. Or, la RGPD ne vise pas à limiter la liberté d’expression et les pratiques artistiques, mais à empêcher les GAFAM et consorts faisant du web marketing d’utiliser vos données n’importe comment. S’en servir pour s’opposer à la photographie de rue me semble être un détournement un peu grossier. D’autant plus que cela va à l’encontre de la loi citée précédemment protégeant la pratique artistique et sa diffusion. Celle-ci ayant aussi la légitimité du temps : pourquoi l’interdire après un siècle d’existence ?
Bref, le sujet n’est pas parfaitement tranché encore, de ce que j’en comprends, mais je ne m’inquiète pas tellement de son avenir.
La question des « pervers »
Arrive désormais une question qui a occupé pas mal de tweets : les photographes faisant ça seraient des pervers en puissance. Le sujet est touffu, délicat, donc on va le traiter en 3 temps : constat, décalage, et réalité.
Constat
Tout d’abord, de par son physique, c’est revenu plusieurs fois, l’homme serait un « vieux vicieux », un pervers. Comme si ressembler à Polanski nous en attribuait automatiquement toutes les qualités. Je peux entendre que notre société comporte des problèmes, notamment dans les rapports hommes-femmes, mais le constat me semble un peu rapide et facile. À ce tarif, nous sommes tous des archétypes, et oublions la subtilité. Bienvenue au bal des sophismes.
Ce sera donc 1 point attribution pour monsieur.
Notez aussi qu’il s’agit d’une forme de discrimination basée sur l’âge (de l’âgisme). Si le monsieur en question avait été « comme nous » (une personne d’une trentaine d’années), on ne lui aurait sûrement pas prêté ces caractéristiques. Il s’agit d’un cliché parmi d’autres (comme traiter une femme d’hystérique n’est pas neutre, montrer un Noir torse nu n’est pas neutre, ou une femme se faisant expliquer des trucs sur un ordinateur par un homme n’est pas neutre, mais c’est un cliché quand même.
D’ailleurs, notez bien qu’en matière de perversion, il n’y a pas besoin d’être vieux pour commettre des abus. Le travail du Roi des rats à ce sujet est excellent :
Décalage
Un autre point que j’ai constaté, plusieurs fois, c’est le décalage entre le discours public et les inquiétudes de certaines personnes et les contenus postés en ligne par ailleurs.
Reprenons un tweet de Salomé Lagresle :
Déjà, elle prend un point glissade : absolument rien ne justifie, dans la situation telle que décrite, que ce monsieur soit un « pervers » qui se serve de sa photographie comme passe-temps. C’est ainsi le 3e point distribué dans ce billet, qui commence à ressembler aux Olympiades des sophismes. Mais continuons.
Je pense que Salomé Lagresle se promène dans la rue habillée. Comme sur beaucoup de photographies de rue, si elle ne faisait rien de particulier, elle a dû être prise en photo en marchant, ou dans une attitude assez banale. Partons du principe que l’image prise était du même acabit que cette photographie de François-Marie Banier :
Sur le compte Instagram de Salomé Lagresle (public, en libre accès), je peux trouver ce genre de photographies, qu’elle met en ligne d’elle :
En quoi la première satisferait-elle plus les besoins d’un hypothétique « pervers » que la deuxième ? Pourquoi diable s’embêter à aller dans la rue faire des photographies, prendre le risque de se faire repérer et d’avoir une discussion désagréable, quand tout est librement accessible sur internet, et anonymement ?
On retrouve la même chose ici :
Alors que ces photographies sont aussi en libre accès sur Instagram :
Alors, attention : il n’y a aucun reproche ici envers ces utilisatrices d’Instagram. Je suis très loin de faire du puritanisme : chacun publie ce qu’il veut en ligne dans le respect de la législation en vigueur. Que vous vouliez mettre en ligne des photos de votre chat, de votre dernier repas, de votre popotin ou de vos pectoraux : grand bien vous fasse. Je m’en contrefiche, n’ai rien à dire. Vous employez cette liberté comme bon vous semble et je ne vous juge pas.
Seulement voilà, je me permets de relever ce point, parce qu’il semble y avoir une dissonance cognitive importante.
Comment peut-on s’inquiéter d’être le sujet d’un éventuel « pervers » croisé dans la rue quand soi-même on leur fournit la matière sur un plateau d’argent, et sans aucun contrôle ?
Aucun utilisateur d’Instragram ayant un compte public n’a de contrôle sur qui voit ses images, ce qu’il en fait, où elles sont enregistrées et par la suite diffusées. Il n’y a pas d’interactions, pas de rencontre, vous n’en savez et n’en saurez jamais rien. Lequel est vraiment le plus inquiétant si ce sujet est important pour vous ?
En revanche, si vous ne publiez pas d’images de vous en ligne, la suite est pour vous.
Réalité
Pour traîner mes guêtres dans le milieu de la photographie depuis une dizaine d’années, je peux vous le dire : vos inquiétudes portent sur le mauvais sujet.
C’est un mécanisme humain assez classique : nos peurs ne sont pas rationnelles, et donc ne portent pas forcément sur ce qui devrait nous faire peur.
Par exemple, j’ai un collègue qui a peur du vaccin contre le COVID-19, alors que tous les feux sont au vert (voir cette vidéo à ce sujet). Par contre, il fume depuis des décennies. Les effets de la cigarette sur l’organisme sont largement documentés, et au-delà de ça, son père et son grand-père sont morts de maladies liées au tabagisme.
De même, on dit aux enfants de ne pas parler aux inconnus, principalement par peur des pédophiles. Pourtant, la majorité des agresseurs sont dans le cercle familial ou connus de la famille. Mais on ne dit pas aux enfants de se méfier de l’oncle Jean-Hervé.
Les accidents de la vie courante font environ 21 000 morts par an en France, le terrorisme a fait environ 500 morts en France en 20 ans. Lequel nous fait peur ? Duquel parle-t-on à la télévision ?
Vous voyez le mécanisme ?
Nous ne sommes pas bons pour aligner nos peurs avec ce qui est véritablement dangereux, intuitivement.
Et c’est parfaitement le cas ici. Pour mettre les deux pieds dans le plat : si j’étais un photographe pervers en quête de photographies de femmes sur lesquelles pratiquer l’onanisme, la photographie de rue au télémétrique serait très largement ma dernière option. Voici pourquoi concrètement :
- Le monsieur utilise un Leica. C’est un appareil télémétrique à mise au point manuelle. Cela pose 2 contraintes : il faut faire la mise au point manuellement (et donc l’œil dans le viseur), il est donc très difficile de cacher l’appareil quand on l’a sur la tronche. Aussi, les télémétriques ont un défaut : on ne peut pas faire la mise au point à une distance inférieure à 1m. Donc oubliez tous les gros plans et compagnie.
- Il n’y a aucune plus-value. Quel est l’intérêt d’aller prendre des photographies des gens dans la rue, à plus d’un mètre, quand on voit ce qui est disponible sur internet ? Pourquoi aller dans la rue, avoir une pratique répréhensible de la photographie de rue, quand on peut tout avoir instantanément, gratuitement et anonymement ? En plus, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les gens sont beaucoup plus habillés dans la rue que sur internet après avoir tapé 3 mots clés dans Google.
Maintenant on va faire des maths : les gens s’inquiètent d’une situation qui ne leur arrivera probablement jamais. Connaissez-vous quelqu’un ayant été pris en photo dans la rue par un photographe de rue ? Eh bien, voyons pourquoi.
Il est assez difficile d’estimer le nombre de photographes en France (pratiquant la photographie de manière active, et n’utilisant pas juste l’appareil de leurs mobiles). Cependant on peut avoir une idée approximative : l’INSEE nous dit qu’il existe environ 18 000 entreprises de photographie. Les plus grosses chaînes YouTube de France dédiées à la photographie comptent environ 100 000 abonnés. On peut donc estimer, à la louche, le nombre de photographes (pro et amateurs) à 118 000 à un instant donné. Doublons ce chiffre « pour être large » : 236 000. Imaginons qu’ils sont TOUS des photographes de rue, et répartis uniformément sur le territoire.
La population de Paris (en 2019) était de 2,61 millions d’habitants, celle de la France à la même époque 67,06 millions. Soit 3,89 %, ce qui fait environ 9 000 photographes de rue dans toute la capitale. Sachant qu’on ne pratique pas la photographie de rue du lundi 9 heures au dimanche minuit, quelle est la probabilité de les croiser ?
La même année, il y avait 280 000 licenciés de football à la ligue Paris-Île-de- France, en croisez-vous souvent ? Qui dans votre entourage est inscrit au football ?
Vous voyez bien que même en prenant des estimations très larges (tous les photographes pratiquent la photographie de rue, on double les estimations), la probabilité que ça vous arrive reste très faible. Ridiculement faible par rapport à l’intensité des débats.
Du coup, où est le vrai danger ?
Eh bien, rationnellement, il est plutôt vers la photographie de studio. Là, la plus-value est évidente pour les « pervers » dévoyant cette pratique : amener des jeunes filles à se dénuder dans un lieu où l’on est seul avec elles. Je vous laisse imaginer la suite.
Il ne faut pas traîner très longtemps dans le milieu de la photographie ni échanger beaucoup pour apprendre des histoires assez glauques à droite à gauche. Des procès commencent même à arriver.
Je me m’étendrai pas plus sur le sujet, le Roi des rats a fait une vidéo très travaillée sur le sujet, vous y apprendrez tout ce que vous avez à savoir sur la pratique :
Du coup, de quoi doit-on s’inquiéter vraiment ? Des photographes prenant des photos de gens habillés dans la rue ou… ?
Voilà. Vous avez compris.
Guide à l’usage des gens photographiés
Bon, jusqu’à présent, on a vu ce qu’on pouvait répondre aux arguments fallacieux employés en tant que photographe. Cependant, il ne faut pas oublier que certaines personnes ne sont pas mal intentionnées, agressives ou autre, mais souhaitent juste ne pas être prises en photo dans la rue, peu importe leurs raisons.
C’est à eux que je m’adresse. Vous avez été pris en photo dans la rue, vous ne savez pas comment réagir ni quoi faire ? 🤔
Voici quelques conseils pour une discussion apaisée et je l’espère constructive :
- Ne sortez aucun des arguments listés dans la précédente partie. Comme on vient de le voir, on peut tous les démonter assez facilement et ça n’amènera rien. Ne perdez pas de temps sur ce terrain-là.
- Oubliez la question de l’effacement. À partir du moment où la photographie a été prise, c’est peine perdue. Pour plusieurs raisons :
- Le photographe pourrait refuser (c’est son droit) et se braquer (on l’a vu, pour certains, conserver tout leur travail est important), la discussion pourrait s’arrêter net et c’est ce qu’on veut éviter.
- Aussi, il peut être impossible d’effacer l’image (si la photographie a été prise avec un appareil argentique, un photographe ne va pas sacrifier une pellicule contenant probablement des images réussies pour vos beaux yeux).
- Vous pourriez aussi vous faire rouler : certains appareils photo comptent 2 cartes SD, les images pourraient être effacées de l’une mais pas de l’autre.
- Certains appareils photo permettent de transférer très rapidement des photographies sur un téléphone portable. Idem que précédemment, on efface de A mais pas de B.
- Dites au photographe que vous ne voulez pas que la photographie soit diffusée, que vous connaissez votre droit et qu’en cas de diffusion vous causant un tort, vous vous retourneriez contre lui. Vous pouvez inventer une histoire (vous étiez avec votre maîtresse !), moralement je trouve ça borderline, mais comme on vient de le voir, voyez ça avec votre conscience. Mais insistez surtout sur la diffusion : si le photographe connaît le droit, il va comprendre que c’est un terrain potentiellement risqué.
- Demandez à voir l’image et demandez un tirage. On parle depuis tout à l’heure de situations très négatives, mais ça peut aussi être l’occasion d’une belle rencontre. Vous pourriez repartir avec une photographie cool de vous 😀
- Demandez le nom du photographe, et suivez-le sur les réseaux sociaux. Vous pourrez surveiller que votre photographie n’est pas diffusée, et réagir le cas échéant (si elle vous cause un tort factuel et démontrable, sinon il faudra compter sur la bonne volonté du photographe).
Cependant, voici quelques chiffres pour vous rassurer : pour son livre Les Américains, Robert Frank a pris 28 000 images et en a gardé 84. Pour le projet Intercité, j’en ai pris 3000-4000 et j’en ai gardé une soixantaine, de mémoire.
Donc : l’essentiel des photographies de rue sont ratées et finissent à la poubelle. C’est une discipline très exigeante, difficile, et il est plus que probable que votre photographie ne serve jamais à rien et soit oubliée sur un disque dur. Comme des centaines d’autres, sur les disques durs de vos amis de fac, ex-collègues ou autre. En focalisant votre demande sur la diffusion, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.
Guide à l’usage des photographes de rue
Maintenant, faisons la même chose dans l’autre sens, c’est à votre tour mes chers photographes de rue.
- Ne faites rien de ce qu’a fait ce monsieur. Le comportement du photographe décrit dans le tweet de Salomé Lagresle est l’archétype de ce qu’il ne faut pas faire : provoquer, se moquer, mettre de l’huile sur le feu. Cela m’agace d’autant plus que tous les photographes de rue paient le prix de ce genre de comportements. Le tweet a été partagé sur un compte à 28 000 abonnés, et donc des milliers de personnes vont retenir le point de vue de Salomé Lagresle, et ne liront jamais cet article. C’est vraiment la pire façon de faire, donc s’il vous plaît, ne tirez pas une balle dans le pied de la pratique.
- Soyez patients et pédagogues. Oui, vous êtes dans votre bon droit et vous ne faites rien de mal. On vient de le voir en long, en large, et en travers. Je le sais, vous le savez. Cependant, la personne en face de vous est sûrement surprise, un peu agacée et surtout persuadée de son bon droit. On l’a dit, je l’ai vu sur Twitter encore une fois : plein de gens sont persuadés de connaître leurs droits sur ce sujet, alors qu’ils se plantent magistralement. Donc, ravalez votre fierté, prenez en considération l’état de l’autre personne, et expliquez-lui calmement ce que vous faites. Répondez aux questions, expliquez. C’est d’autant plus important si vous êtes un homme et que la personne qui vous interpelle est une femme (désolé de le dire) : elle s’est probablement fait emmerder 200 fois dans sa vie avant vous, et arrivera peut-être avec un a priori très négatif. Prenez ça en compte et restez cool.
- L’exemple de Doisneau. L’une des meilleures façons de faire, c’est de prendre l’exemple de Doisneau. Tout le monde connaît le Baiser de l’hôtel de ville. Expliquez simplement que vous appréciez beaucoup ce genre de travaux, et que vous aussi, à votre petite échelle, vous essayez de faire pareil. Les guitaristes reprennent du Hendrix et jouent du blues, vous c’est la photographie de rue. Soyez sincères, la plupart des gens comprendront et se calmeront.
- Montrez vos travaux, vos réseaux sociaux, proposez un tirage. C’est, là aussi, une façon de montrer la sincérité de votre démarche et de votre intérêt pour la photographie de rue. Vous faites ça souvent, vous mettez les images en ligne, vous pouvez même en envoyer une. En faisant ça, vous cassez l’image de l’obscur pervers que certaines personnes ont. N’hésitez pas à vous faire des cartes de visite avec vos coordonnées, c’est pratique dans ce genre de situation.
- Ne jouez pas au plus stupide. Si vous avez le droit de pratiquer la photographie de rue, ayez des limites. J’ai le droit de boire de l’alcool, je ne bois pas 5 bouteilles de whisky 🥃 par jour pour autant. Cela passe par plusieurs points :
- N’allez pas dans des endroits « à risque » ; coller son appareil sous le nez d’un groupe de dealers, c’est à peu près la meilleure façon de passer un sale quart d’heure.
- Ne vous faites pas frapper pour une photographie. Ne risquez pas votre appareil pour une photographie. Vous avez économisé pour, y a encore plein de photos à faire avec, laissez tomber. Vous avez eu des exemples ci-dessus : des gens en appellent à la violence face à la photographie de rue. Bien que ça soit plus facile à faire sur Twitter que dans la vraie vie, ne prenez pas le risque. Si la personne est très agressive, que le discours n’est pas possible, effacez et partez.
- (Bonus) Si ça chauffe vraiment. Dans le cas où la situation dégénère, vous avez 2 options :
- Appeler les forces de l’ordre. Vous êtes dans votre droit, elles seront de votre côté.
- Si ça n’est pas possible : courez. Mais bon, ce conseil est à peu près valable pour toutes les situations délicates de ce type, et vous n’avez sûrement pas besoin de moi pour en avoir l’idée.
Quoi qu’il en soit, rassurez-vous : en étant discret, détendu, et en ne donnant pas l’impression de faire un truc interdit, ce genre de moments sera très rare.
Conclusion
Bon, nous voilà arrivés à la fin de ce beau débunkage. Le plan de l’article a tourné dans ma tête toute la nuit, et je l’ai écrit d’une traite. Heureusement que ma relectrice est là pour rattraper les coquilles ensuite.
J’ai peu de choses à rajouter à ce qui a déjà été dit. Juste, au cas où ça n’ait pas été assez clair : on critique et conteste des idées ici, pas des personnes. On se fout de qui a écrit ça. Ce billet doit aider à faire progresser la compréhension autour de la photo de rue, à encourager les pratiques dans un cadre toujours plus sain. À vous donner des billes pour réagir au mieux, que vous soyez d’un côté ou de l’autre de l’appareil. Il n’est pas un prétexte à aller emmerder des gens sur le net.
Enfin, si jamais vous voyez passer le genre de propos sus-cité, n’hésitez pas à faire tourner cet article, ça ne fera pas de mal, vu l’état d’internet.
Prenez des photos, et gardez la pêche. À la prochaine.
Pendant la rédaction de cet article, j’ai écouté cette petite merveille :
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