Introduction
La photographie est en apparence l’ennemie de la simplicité. Quand on commence à pratiquer, on se pose plein de questions (« Comment faire ceci ? », « A quoi sert cela ? », « Que dois-je acheter ? »), et s’il est bien simple de mettre en place un système photographique qui répond théoriquement à tous les besoins possibles et imaginaux, il est beaucoup plus complexe d’en sortir et de faire le chemin inverse. J’entends par système photographique « l’ensemble des outils de production de vos images », à savoir le matériel + votre flux de travail, un peu comme les machines d’une usine et l’ordre dans lequel elles doivent fonctionner, en bref. J’ai fait la même erreur avec la musique, une guitare pour ceci, une pour cela, jusqu’à choisir de réduire pour revenir vers plus de simplicité. Et, parce que j’ai la tête dure et que l’on est tous victimes de moments d’égarements parfois, j’ai aussi fait pareil, dans une moindre mesure, en photographie (ce qui s’est réglé il y a quelques mois maintenant, mais on va en reparler).
Comme d’habitude, je ne prétends pas ici délivrer de méthode ultime et universelle, applicable par tous et valable en tous lieux et tous temps. Il s’agit encore une fois de donner des pistes, celles qui marchent pour moi, a minima pour vous faire réfléchir à votre pratique. L’idée étant extrêmement simple : réduire au maximum la distance entre l’idée / l’envie que vous avez en tête, et le résultat final, obtenu une fois que votre « système photographique » a fait son œuvre. Même si beaucoup peuvent prendre du plaisir dans la réalisation des photographies, dans le processus (moi le premier, j’adore photographier), c’est le résultat final qui concrétise vraiment tous nos efforts. Plus de simplicité, c’est plus de facilité pour aller vers ce résultat.
Avant de démarrer, juste une dernière précision : l’article étant plus théorique / philosophique que purement historique, j’ai décidé de l’illustrer arbitrairement avec des photographies issues d’artistes mexicains (pour qu’il n’y ait pas que du texte). Pourquoi Mexicains ? Parce que j’en avais envie, et que je le rappelle, je suis chez moi ici. On parlait de simplicité, nous y sommes. Et si vous vous posez la question, la photographie illustrant cet article est : Unité d’habitation Nonoalco-Ttlaleolco, México, 1963 – Rodrigo Moya. Voilà, mettez votre ceinture, prenez un burrito, on peut y aller.
Dans le matériel
Le matériel, c’est – d’une large tête – la source de stress N°1 quand on débute la photographie, et ça ne s’arrange pas ensuite. Cela part souvent d’une bonne intention : la volonté de bien faire, d’être paré pour toutes les occasions, avec l’idée derrière la tête que si l’on peut faire face à tout avec le bon outil, on en fera de bonnes photographies. Généralement, cela se passe en deux temps :
- On achète ce dont on pense avoir besoin. Un grand angle pour la photographie de paysage, un autre pour le portrait, une focale intermédiaire « à tout faire », un objectif discret et léger pour la photographie de rue, etc. Et là c’est la course à la performance, ces achats sont généralement l’occasion de se farcir moult tests pour être sûr d’investir chaque euro durement gagné dans le produit le plus adapté. Limité par le budget, l’achat final est une affaire de compromis, dont on devra se satisfaire.
- On doit utiliser le matériel. Et c’est là qu’un trop plein de choix est souvent vecteur d’un stress assez inutile : « Quel matériel prendre pour cette sortie ? Est-ce que ça sera vraiment le plus adapté ? Est-ce que je ne devrais pas prendre tel truc en plus, je l’ai payé mais je ne l’utilise pas…« .
Tout ça pour dire qu’il faut plutôt prendre le problème dans l’autre sens. Au lieu de s’inquiéter et de s’équiper pour tout faire, il vaut mieux réduire ses possibilités au strict minimum, et utiliser ses neurones & ses jambes pour s’adapter, éléments qui demeurent sans doute vos meilleurs outils. D’une certaine façon, c’est un peu comme au restaurant, si vous avez une carte avec 10 entrées, 20 plats et 10 desserts, c’est d’une part inquiétant (quel restaurateur sérieux sait préparer et dispose de la matière première fraîche pour faire autant ?), et d’autre part, assez difficile de se décider. Alors qu’avec une carte où on aurait 3 choix pour chaque plat, la décision est prise en 2 minutes et on se concentre sur l’essentiel : s’en coller plein la panse. Donc moins de choix, c’est moins de frustration.
Mais comment réduire intelligemment ce que l’on possède pour revenir à plus de simplicité ? Eh bien, on va utiliser le principe de Pareto, dit « 80/20 ». Ce principe est une théorie empirique (donc non scientifique), mais régulièrement constatée, qui stipule que dans un domaine donné on peut observer que 20% des causes donnent 80% du résultat final. Par exemple, appliqué au commerce cela veut dire que 20% de vos clients font 80% de votre chiffre d’affaire, cela peut être 30/70 aussi, mais vous voyez l’idée. Cela peut aussi se retrouver socialement : vous faites 80% de vos soirées avec 20% de vos amis et le reste plus occasionnellement. L’idée est donc de se concentrer sur ces 20% qui donnent de vrais résultats, et de mettre de côté le reste. Si l’on reprend le premier exemple ci-dessus, si 20% de vos clients font 80% de votre chiffre d’affaire, eh bien, chouchoutez-les, et traitez les autres normalement (ou arrêtez de faire affaire avec eux s’ils vous cassent les pieds).
Et l’on peut appliquer ce principe à la photographie et plus particulièrement au matériel : vous faites très probablement une très grosse partie de vos images avec une portion réduite de votre matériel (le fameux 80/20 !). Dans mon cas, quand j’utilisais encore un reflex je produisais 80% de mes images avec un 24mm (notamment le projet Intercité), et j’employais le reste plus ponctuellement en fonction des besoins. Et bien, j’ai fini par tout revendre (on y vient).
Si jamais vous avez du mal à avoir cette vision de la proportion de votre matériel que vous utilisez vraiment, je vous invite à utiliser cet outil : Lightroom dashboard. Il vous permettra de charger votre catalogue, et vous fournira toutes les statistiques nécessaires pour vous décider. Ensuite on applique un principe tout simple : Better ash than dust, soit « De la cendre plutôt que de la poussière« . Cela vient d’une chanson éponyme du groupe Stick to your guns, j’aime beaucoup l’idée qui se cache derrière : il vaut mieux y aller franchement en une fois plutôt que de laisser les choses traîner. Une fois que vous savez ce qui ne vous sert à rien, vendez tout, et à vous la simplicité.
Je l’ai expérimentée il y a quelques mois : j’avais envie de réduire ce que je possédais, pour les raisons exposées ci-dessus. Avec le temps j’avais accumulé plus de choses que ce dont j’avais vraiment besoin (le fameux « un objectif pour ceci, un pour cela« ) et ne me servant pas de tout, je ne voyais pas l’intérêt de le garder. J’ai donc tout revendu, et racheté uniquement ce dont j’avais besoin (et un boitier plus petit au passage). A l’exception d’un trépied (que j’ai conservé parce que parfois bien utile même si je le sors peu), tout ce que je possède est sur la photo ci-dessous (c’est détaillé ici si cela vous intéresse).
C’est aussi une configuration qui correspond plus à mon rythme. La semaine j’utilise le 23mm pour la photographie de rue (étant donné que je photographie Intercité sur mon trajet quotidien), le week-end j’utilise plutôt le 35mm pour InColors (la focale étant plus courte cela rend la composition plus simple) ainsi que pour la photographie perso, et le vendredi, c’est argentique. Ma petite tradition à moi. Ainsi, j’utilise tout régulièrement, sans avoir à me poser 10 000 questions à chaque sortie, car comme le dirait ce bon vieux Antoine :
La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer.
St. Exupéry
Dans le workflow
Comme dit en introduction, votre système photographique se compose de votre matériel, qui peut être drastiquement simplifié, mais aussi de votre flux de travail, que les Anglo-saxons appellent workflow. Ce dernier aussi peut-être réduit à l’essentiel afin de raccourcir la distance entre la prise de vue (l’utilisation du matériel) et l’obtention du résultat final. Globalement, je vois deux points sur lequel être vigilant afin de gagner en simplicité & sérénité :
- L’organisation de vos prises de vue. Là, il s’agit plus de choisir un camp, et d’agir en conséquence. Selon votre pratique, vous aurez soit besoin de beaucoup de préparation (pour la photographie de studio, reportage, paysage naturels par exemple), soit d’aucune (photographie de rue, de la vie quotidienne, paysage urbains, etc.). Je schématise un peu, mais si vous n’êtes pas partant pour une préparation minutieuse de chaque séance, lancez vous plutôt dans des disciplines de la seconde catégorie. C’est d’ailleurs mon cas, je ne m’imagine pas régler tout un set de lampes à chaque prise de vue, donc je vais au plus simple : je sors et je photographie. Il n’y a pas de bonne solution absolue ici, il faut juste se poser la question à un moment.
- Le flux de traitement de vos images. Cette étape peut rapidement devenir une usine à gaz si l’on se laisse emporter par la pléthore d’outils auxquels l’informatique nous donne accès. Point de solution miracle cette fois aussi, pour ma part j’essaie d’avoir un flux de travail numérique minimaliste. Non pas que cette étape n’est pas importante (elle est en toute logique essentielle) mais disons qu’il y a une sorte de courbe décroissante dans la pratique du traitement numérique : on consomme beaucoup de temps au début (oui votre temps est une denrée rare) à trouver ce que l’on souhaite faire, puis une fois que c’est fait, viennent les habitudes. Pour ma part, je procède comme suit :
- Je prends les photographies, puis attends 1 à 2 semaines avant de les importer sur mon ordinateur. Déjà parce que je m’en tamponne, j’ai toute la vie pour les regarder, mais aussi parce que ça me permet d’être « à froid » lors du traitement.
- Je range les photographies dans des dossiers annuels et des sous-dossiers mensuels. Sauf la photographie de rue que je range à part, parce que ça constitue un projet séparé et que sinon je ne m’y retrouve pas (je dois prendre 30 photographies par jour quand je bosse, ça serait ingérable sur plusieurs années). Je les range dans un dossier « Intercité » lequel contient trois sous-dossiers : à trier, conservées, rejetées. C’est simple, basique, ça marche pour tous les projets. A réutiliser sans modération.
- J’importe les photographies dans Lightroom, j’utilise le système de marquage pour trier les images. Les marqueurs indiquent si une photo est retenue ou rejetée. A chaque image, instinctivement, je choisis de marquer une image comme rejetée ou retenue, jusqu’à ce qu’elles y soient toutes passées.
- J’intègre les images retenues dans des collections, à raison d’une par projet. C’est le fameux sas dont je vous parlais dans l’article De l’art de l’édition. L’avantage est qu’elles sont synchronisées en ligne, ce qui me permet de bosser l’édition d’un projet d’un peu partout (mobile, navigateur internet, ordinateur portable) sans être dépendant d’un appareil.
- Pour la retouche, j’utilise mes propre presets, là aussi à raison d’un par projet. Il ne s’agit au final que d’un enregistrement à un instant donné d’un traitement que j’apprécie et considère comme représentatif, mais c’est quand même une option bien pratique. De plus, en étant astucieux on peut les synchroniser entre deux ordinateurs en utilisant Syncback Free & Dropbox, de quoi travailler partout d’une façon cohérente. Cela permet de fixer les choses et d’être certain d’avoir une certaine cohérence visuelle tout au long d’un projet, sans faire d’expérimentations à chaque image pour rester cohérent.
C’est sans doute un flux de travail perfectible, mais il me permet de ne pas passer trop de temps derrière un ordinateur, tout en obtenant ce que je souhaite assez rapidement. Et comme on ne change pas une équipe qui fait match nul, on va continuer comme ça.
Dans la photographie
Ainsi, on peut simplifier notre système photographique, ce qui représente une économie de temps, de questionnements et de stress, intéressante. Mais la simplicité se retrouve aussi en photographie, dans le style de l’auteur cette fois. Ce n’est pas particulièrement une pratique vers laquelle je conseille (ou déconseille) d’aller, à l’inverse de ce que j’ai dit précédemment. Il y a certains photographes, je pense notamment à Alex Webb, qui produisent des images très complexes, mais pas moins intéressantes pour autant. C’est juste une approche différente.
Si je prends un peu de temps pour le souligner c’est parce que c’est un style que j’aime bien. J’en ai déjà parlé sur le Blog, si vous vous intéressez à des choses simples mais efficaces, je vous invite à relire :
- « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre » ou le leitmotiv d’Henri Cartier-Bresson
- Et si nous donnions à Louis Faurer la place qu’il mérite ?
C’est un trait que l’on peut retrouver dans l’œuvre de grands photographes, en voici quelques exemples, encore mexicains, histoire d’aller au bout :
Conclusion
En relisant ce billet, une certaine ironie a pointé le bout de son nez : il paraît bien compliqué d’aller vers la simplicité. J’ai détaillé ma propre pratique, pour donner quelques pistes, mais si vous ne devez retenir qu’une chose, faites que ça soit la question suivante : « Comment simplifier ma pratique ? Comment y appliquer le principe de Pareto ?« . Oui, je sais, ça fait deux questions. J’ai aussi essayé de faire un billet au format court, je voulais le limiter à 2 000 mots (soit loin des 4 000 en moyenne l’année dernière), mais il semblerait que ça soit raté, je vous laisserai le soin de vérifier le nombre exact par vous-même.
Enfin, pour finir, et pour donner une touche « création de projet » à ce billet, on va conclure par une citation de Nina Simone, que l’on peut entendre à la fin du morceau Better ash than dust dont je vous parlais :
Je choisis de refléter les époques et situations dans lequel je me suis trouvée. C’est, pour moi, mon devoir. Et à ce moment crucial de nos vies, quand tout est si désespéré, quand chaque journée est affaire de survie, je ne pense pas que vous pouvez aider sans être impliqué. Les jeunes gens, Noirs et Blancs savent ça. C’est pour cela qu’ils sont si impliqué en politique. Nous allons façonner et mouler ce pays, ou il ne sera plus moulé et formé du tout. Donc je ne pense pas que vous ayez le choix. Comment être un artiste et ne pas refléter l’époque ?
Nina Simone. 1969.
Voilà, si vous ne savez pas quoi faire, si vous ne savez pas de quoi parler à travers vos photographies, simplement, reflétez l’époque.
Ps : voici la citation dans sa langue originelle : "I choose to reflect the times and situations in which I find myself. That, to me, is my duty. And at this crucial time in our lives, when everything is so desperate, when everyday is a matter of survival, I don't think you can help but be involved. Young people, black and white, know this. That's why they're so involved in politics. We will shape and mold this country or it will not be molded and shaped at all anymore. So I don't think you have a choice. How can you be an artist and not reflect the times? " Nina Simone. 1969.
Je vous laisse avec le morceau de Stick To Your Guns, il est temps !
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