Qu’on se le dise, la composition est un sujet extrêmement vaste. On écrit dessus depuis des siècles, la photographie étant très influencée par la peinture sur ce sujet. Cet article n’a donc pas vocation à lister exhaustivement toutes les méthodes de composition mais plus à ouvrir la voie, en ayant en tête le vide laissé par la perte d’un élément de composition : la couleur. En effet, la couleur permet d’amener plus facilement des émotions dans une image, ses codes étant bien ancrés dans l’imaginaire collectif, des tons chauds (comme le rouge de l’amour), aux tons froids (comme le bleu de la tristesse). Il faut donc pallier son absence.
Les composantes de l’image
De façon assez basique, les images se composent de deux éléments : leur forme (soit tous les aspects visibles), et leur contenu (le sens, l’histoire de l’image). C’est cette première catégorie qui est amenée à changer lors du passage en noir et blanc, et qu’il faut apprendre à manier. Elle se compose des éléments suivants :
Les Formes – Lignes – Textures – Couleurs.
Ainsi, dans cette photographie de Darren Almond (prise au clair de lune en pose longue), on retrouve : des pics de montagne (les Formes), l’horizon (une Ligne), des arbres et des rochers (Textures), et des nuances de bleu / vert (les couleurs). La couleur joue un rôle considérable dans le rendu final de cette image, dans l’ambiance de celle-ci (le sentiment de solitude et d’isolation dans notre exemple).
Mais en appuyant sur les autres éléments (Formes – Lignes – Textures), il est parfaitement possible de créer des images dynamiques sans couleur, comme le nu de Lucien Clergue ci-dessous. Tout y est maîtrisé, les lignes (la série s’appelle « Nus zébrés »), les formes, les textures (la peau), on ne sent absolument pas de « manque de couleur ».
Pistes de composition
Composer une photographie en noir et blanc, c’est avant tout composer. Toutes les méthodes de composition restent valables. Il y en a pléthore, et comme je le disais en introduction, il me serait difficile d’en faire le tour. Mais en voici quelques unes :
Utiliser les espaces négatifs
Soit savoir faire de la place quand il y en a besoin. Chaque image n’a pas vocation à être remplie et intéressante dans son ensemble. Laisser de l’espace c’est aussi laisser respirer son image. Cette dualité espace vide / espace plein marche d’autant mieux quand les contrastes sont prononcés. C’est ce que fait Edward Weston dans la photographie de cette femme (1) : il la laisse dans un coin de l’image, face à une zone plus abstraite et vide.
Aller vers l’abstrait
Comme je l’expliquais dans le premier article (Pourquoi photographier en noir et blanc ?), le noir et blanc éloigne du réel. Cela se marie donc particulièrement bien avec la photographie abstraite. Dans l’image d’Aaron Siskind ci-dessous, là couleur nous aurait montré un mur décrépi, le noir et blanc nous présente une suite de formes triangulaires abstraites.
J’arrête ici la liste des techniques de composition pures, elle aurait pu se poursuivre avec la mise en échelle, l’utilisation à bon escient du contexte, l’utilisation d’associations / oppositions / contrastes, etc. Pour plus d’information, je vous renvoie vers le livre de Mante, H. & Gilbert, V. (2012). Composition et couleur en photographie. Paris: Eyrolles. (cf. la bibliographie)
Diriger le spectateur
En tant que photographe (et auteur de vos photographies) c’est votre devoir de dire au lecteur où regarder. C’est à vous d’agencer les différents éléments (Formes – Lignes – Textures– Couleurs) ainsi que leur sens pour organiser et donner un sens à la composition. L’oeil humain est naturellement attiré par les visages, la lumière, la netteté, les contrastes, les lignes/textures/formes…
C’est ce qui rend cette photographie d’Irving Penn si exceptionnelle : tout y est fait pour diriger le regard du spectateur au point de contact entre la langue et l’ongle. Le chapeau crée un fort contraste avec le fond, ainsi qu’une ligne : les deux ramènent l’œil du lecteur vers le visage (tout comme le fait la robe). Le visage de la femme est aussi tourné dans ce sens. La langue et les ongles contrastent aussi avec le fond. Du bon boulot en somme.
L’inattendu en noir et blanc
Photographier en noir et blanc ce qui est classiquement photographié en couleur (et donc pour lequel on attend de la couleur) est ce que l’on pourrait considérer comme l’approche punk-à-chiens/nihiliste/gangster. On y va, on y va sans couleur, et on s’en fiche. C’est aussi, et surtout, une façon de retravailler différemment des objets vus et revus jusqu’à l’overdose, d’en retravailler les textures et les formes. Ce que fait Robert Mapplethorpe pour sa série de photographies florales.
Travailler sa lumière
S’ajoute aussi le grand oublié : la lumière. En tant que photographes, la lumière reste notre médium, comme la peinture pour les peintres, ou le marbre pour le sculpteur. Que l’on photographie en couleur ou en noir et blanc, il faut la penser et l’intégrer à la composition. C’est elle qui met, ou non, en valeur tous ces éléments de composition. Les textures sont, par exemple, plus visibles avec une lumière de biais, ou rasante, qu’avec une lumière directe. (2)
En noir et blanc, la température de la lumière ne compte plus, seule sa direction, sa qualité, et sa douceur (ou dureté) vont avoir un impact sur le résultat.
Maîtriser la lumière peut radicalement changer la perception que l’on a d’un sujet. L’exemple le plus probant étant le poivron d’Edward Weston (issu d’une très célèbre série photographique d’études sur les légumes, oui oui). Sa maîtrise technique fait d’une simple solanacée un magnifique objet photographique, tout fait de formes, textures et contrastes.
Notes :
- Cet article fait partie d’une série sur la photographie en noir et blanc. Retrouvez les autres articles ici : Pourquoi photographier en noir et blanc ? [N&B 1/4] ; Comment voir en noir et blanc ? [N&B 2/4] ; Le noir et blanc dans la photographie contemporaine [N&B 4/4].
- Ces articles se basent en partie sur la conférence d’Eileen Rafferty pour B&H : Seeing in Black and White with Eileen Rafferty ainsi que sur le livre de Mante, H. & Gilbert, V. (2012). Composition et couleur en photographie. Paris: Eyrolles. (cf. la bibliographie)
- (1) Edward Weston a photographié beaucoup de femmes, au point que ça devient un peu difficile de suivre qui est qui sur les images, surtout quand on ne voit pas le visage. D’où l’emploi de « cette » au lieu de « sa ». (retour au texte)
- (2) Voir sur ce (vaste) sujet : Freeman, M. & Beaudran, P. (2014). Saisir la lumière au cœur de la photographie. Montreuil: Pearson. (retour au texte)
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