Introduction
S’il y a une question légitime à poser, c’est bien celle-ci : Y a-t-il des bons et des mauvais photographes ? C’est assez logique d’étudier ce point à un moment de notre réflexion ; on passe tous pas mal de temps à regarder le travail des autres, et à apprendre de ce travail (qu’on l’apprécie ou non d’ailleurs). Est-ce que ça a du sens de dire qu’une photographie est bonne ? Qu’un photographe est bon ? On utilise tellement le terme « bon », et beaucoup en dehors des arts, que l’on ne pense presque plus à son sens.
Alors pour vous répondre à la normande : Oui, et non. Voilà, merci d’être passé et à bientôt !
Nan, ça va, je rigolais, restez.
PS : l'analyse de cet article porte indistinctement sur le sens des termes "bons" et "mauvais" pour qualifier photographes et photographies. Enfin, j'utilise le terme photographe, pour regrouper l'ensemble de la production d'une personne, je ne parle pas de la personne en tant que telle, ce qu'elle est personnellement n'est pas le sujet de cet article.
Concept & définition
Pour commencer, précisons que l’on ne parle ici ni de morale, ni d’éthique (la réflexion sur la morale) quand on emploie le terme « bon » pour la photographie. Il s’agit plus d’un terme visant à valider un résultat. Prenons les définitions que propose le Larousse pour poser les choses (j’ai barré celles ne nous concernant pas) :
- Qui est conforme à la norme : Il parle un bon français.
- Qui, dans son genre, présente des qualités supérieures à la moyenne : Un bon élève. Un bon film.
- Qui est
favorable, satisfaisant : C’est bon signe. Faire une bonne affaire. Qui procure de l’agrément, du plaisir, notamment au goût : Ce gâteau est très bon.Qui est important en quantité, en intensité : J’ai attendu une bonne heure. Avoir une bonne grippe.Qui a de la générosité, de la bienveillance, est porté à faire le bien ; qui témoigne de ces qualités : Être bon pour les animaux. De bons sentiments.Familier. Qui est d’une simplicité plus ou moins naïve : C’est un bon garçon sans malice.S’emploie dans des formules de souhait : Bon anniversaire ! Bonne route !Sports :Au tennis et au tennis de table, se dit de la balle tombée dans les limites du jeu.
Faisons un peu le tour de ce que chacune de ces significations implique, quand elles sont appliquées à la photographie.
Bon car conforme à la norme
Sans doute le point le plus sujet à débats, mais on va reprendre un exemple tout simple, qui explique la présence fantasque de l’image de couverture : les notations scolaires.
18/20 est une bonne note.
Certes, pas de quoi déboucher le champagne, mais on est quand même pas très loin du carton plein. Mais ce qui est important dans cette phrase, ce n’est pas le 18, mais le « sur 20 ». On est bon par rapport à un barème, à une idée du résultat (la norme !), on ne peut l’être dans l’absolu (« 18 », en soi, c’est ni bon ni mauvais). C’est d’ailleurs sur ça que nous jouions, petits malins que nous étions, quand nous annoncions discrètement à nos parents, entre le fromage et la Danette, « J’ai eu 9 au contrôle de maths ». En espérant de tout notre petit cœur que personne ne réfléchirait au barème (ce qui dans mon cas s’est toujours soldé par un échec cuisant).
Ramené à la photographie, on se rend assez vite compte que dire qu’une photographie est « bonne » (comme conforme à la norme) n’a de sens que si l’on définit une grille de notation pour elle, la norme. Et là, ça devient extrêmement délicat. En fait c’est impossible, il faudrait déjà qu’il y ait une autorité pour définir ces règles et un consensus autour de leur pertinence. Il nous suffirait donc, bien heureux que nous serions, de les appliquer pour produire une « bonne photographie ». Heureusement pour notre créativité, cela n’existe pas. Nous avons seulement la recette de ce qui se vend bien, de ce qui plait aux internets, mais c’est une autre histoire…
Normalement c’est le moment où un « Papy-bokeh« 1 va préparer un commentaire cinglant arguant que non, on peut parfaitement juger qu’une photographie est bonne (car conforme à la norme) ou non selon son exposition, sa netteté, son histogramme etc. Donc, pour nous faire gagner un temps précieux à tous, réglons ce point maintenant.
Et pour ce faire, on va aller voir nos voisins les musiciens, parce que toutes les disciplines artistiques ne sont pas logées à la même enseigne sur le sujet. En effet, en musique, il y a des critères très précis permettant de dire si oui ou non une interprétation est « bonne » : le rythme et la justesse. Si la musique est sur 4 temps, et que vous jouez sur 5, vous allez vous décaler et ne plus jouer avec le reste des musiciens. Si tout le monde joue en Do majeur, que vous jouez dans la gamme de Fa# mélodique mineur ça risque de décoller les tympans de plus d’une personne (sauf, bien entendu, si c’est dans un but créatif, maîtrisé, tout ça tout ça), ou que vous jouez dans Converge. Mais ce n’est qu’un jugement par rapport à une norme (il faut jouer en rythme et juste) qui ne dit rien, ou juste une infime partie, de l’intérêt global d’un morceau.
Aussi, on peut se tortiller dans tous les sens, on ne peut mesurer le « bon cadrage », la « bonne exposition », le « bon histogramme » avec autant que précision qu’on peut le faire pour la fausse note : un La a une fréquence de 440hz, si vous êtes au dessus ou en dessous, vous êtes faux. Donc, dire qu’une photographie est « bonne » par rapport à une norme est impossible, cette norme n’existant pas en photographie (pas plus qu’elle n’existe d’ailleurs en sculpture ou dans le cinéma).
Et si l’on est embêtés par ce premier point, les deux suivants ne nous avanceront que peu, tous étant clairement subjectifs.
Bon car supérieur à la moyenne
Cette définition du bon découle presque entièrement de la première, il ne peut y avoir une moyenne que s’il y a une norme, permettant de définir ce qui est au dessus ou en dessous. Pour retourner sur les bancs de l’école encore une fois : si vous aviez 15 de moyenne générale, et que votre classe avait 12 de moyenne générale, vous étiez un bon élève, car supérieur à la moyenne. Mais pour calculer ces moyennes il faut bien des normes, des notations, des critères. Et là, on retombe sur le point précédent.
Autre élément que sous-entend cette assertion : vu que c’est une moyenne, il y a forcément un groupe à définir (dans notre exemple, c’était la classe). Et c’est là que l’on tombe totalement dans le subjectif, parce que chacun ne juge comme « bonne » (sous-entendu « par rapport à la moyenne ») une photographie que par rapport à l’ensemble des photographies/photographes qu’il connaît. Cela serait pertinent si nous connaissions tous toutes les productions photographiques, ce qui est par définition tant impossible qu’invraisemblable. Selon que vous écumiez dans les bas-fonds d’internet, ou au département photographique du MOMA, ce « bon par rapport à la moyenne » aura un tout autre sens.
Bon comme satisfaisant
Sans doute le point le plus subjectif de toutes les définitions du bon. Si une image vous donne satisfaction, c’est forcément sur des critères qui vous sont propres, en fonction de votre sensibilité et de vos attentes. C’est d’ailleurs ce que l’on fait tous au moment du travail de sélection de nos images (l’editing en américain). Il n’y a vraiment que vous qui puissiez définir si une de vos photographie est « bonne » ou « mauvaise » (dans le sens de la satisfaction de vos attentes), car en tant qu’artiste vous êtes la seule personne à savoir si une image correspond ou non à votre démarche.
A titre d’exemple, voici la dernière image, issue du livre de Willy Ronis « Ce jour là » (voir bibliographie), qui m’a donné « satisfaction » :
On y voit un père, assez chichement vêtu, qui emmène sa fille sur le marché de Noël (ça c’est Ronis qui le dit). On sent qu’il va essayer de lui faire plaisir, mais que ça va être difficile. Et dans le regard de sa fille, sont mêlées une immense envie (d’obtenir le vélo) et en même temps une certaine résignation (elle sait qu’elle ne l’aura pas). L’émotion présente dans l’image me touche, et c’est pour ça que je considère qu’elle me donne satisfaction, en ce sens, elle est « bonne ». Mais vous voyez bien que les critères de cette satisfaction sont très flous, et surtout, très personnels/subjectifs.
Donc on fait comment ?
Ainsi il est très difficile de dire objectivement qu’une photographie est « bonne », cela faisant soit référence à une norme impossible à définir, soit à des critères subjectifs, donc forcément très personnels (liés à notre culture et à nos attentes).
En revanche, si on veut tendre vers l’objectivité, il est primordial de s’intéresser en profondeur au travail de l’artiste, afin de dépasser la simple analyse esthétique primaire, c’est la base. J’avais proposé une « grille d’analyse » dans l’article « De l’art de voir« , et elle me paraît encore pertinente aujourd’hui. Elle n’a pas pour but de définir si une photographie est « bonne » ou non, seulement d’essayer d’en comprendre tous les aspects d’un travail avant d’émettre un jugement. Elle permet aussi de replacer l’image dans son contexte et de comprendre la démarche de son auteur.
Cas d’exemple
Là, les habitués du blog sauront que c’est le moment où je sors 2 ou 3 exemples de photographes, afin que vous puissiez creuser un peu l’idée de votre côté, et aussi pour illustrer le propos. Mais aujourd’hui, on va faire l’inverse, on va prendre ce que je considère comme un mauvais photographe. Parce que oui, en tant qu’humain j’ai des goûts, et que ça inclus aussi des choses qui me rebutent. J’appelle donc à la barre, ce bon vieux Serge Ramelli2.
Comment résumer la chose ? Disons que si je devenais millionnaire par le plus grand des hasards, j’achèterai l’intégralité de ce qu’il a produit pour sortir ça du marché et libérer mes camarades photographes d’une telle vision.
Le travail de M. Ramelli ne vise qu’à une seule et unique chose : produire la photographie la plus mainstream qui soit, afin de vendre ses formations Lightroom et ses ouvrages chez Yellow Corner. Et ça y va à gros coups d’HDR, et d’à peu près tout ce qu’il est possible de faire sur Lightroom pour rendre une image kitsch au possible. C’est tellement peu créatif, que j’ai entendu dire que le département artistique d’Ikéa était tombé en dépression en découvrant les images.
Si on reprend la grille d’analyse de « De l’art de voir » (intention, réalisation, expérimentation, cohérence, originalité), on atteint le zéro absolu partout, sauf dans la cohérence qui est parfaitement maîtrisée : plaire coûte que coûte au plus grand nombre. Pour la réalisation, je ne vais pas entrer dans les détails, je vous invite à constater vous même les dégâts sur sa chaîne Youtube, le principe de base étant de customiser un RAW, à en faire pâlir un fan de tuning.
Conclusion
Une photographie est autant de fois « bonne » et « mauvaise » qu’il y de personnes qui la jugent. Personnellement, et en gardant la même grille d’analyse3, je considère qu’il y a simplement des travaux résultant de photographes qui s’investissent plus ou moins, qui réfléchissent plus ou moins, et produisent donc un travail plus ou moins intéressant/pertinent/touchant. C’est là tout l’intérêt d’avoir une démarche et de la mener à son terme.
Si vous voulez poursuivre la réflexion sur ce sujet, je vous renvoie vers ces deux articles :
Ainsi que cette vidéo :
(3) (retour au texte)
- Un jour, il faudrait vraiment que je vous fasse un article sur les « Papy-Bokeh », mais dans le fond, je crains que de casser de l’ego à coups de pelle n’apporte que peu de choses à ce blog. Donc pour la faire simple, et que tout le monde reparte avec l’image bien en tête, ce sont les personnes qui ( à vous de choisir un ou plusieurs items ) :
– sur les forums, ne jugent tout que par la technique,
– ont gagné plein de concours de la « fédé »,
veulent « sublimer l’image » / « montrer l’émotion » / (choisir autre accroche sirupeuse),
– ont largement le temps de dispenser tous leurs conseils, à base de mise au point et de « bouché/cramé »,
– viennent de l’argentique, donc se souviennent de la belle époque d’avant où il fallait « s’y connaître ».
– lisent et ne comprennent que la moitié des choses avant de répondre,
– et surtout, ont un portfolio plein de Bokeh + mise au point sur l’oeil + netteté tout partout à faire pâlir Dani Diamond (celui-ci est obligatoire).
Bah voilà, les « Papy-Bokeh« , c’est ça, et c’est une vraie plaie, sur laquelle chaque intervention verse un peu de sel. (retour au texte) ↩︎ - Si tout va bien à ce stade là de l’article, vous avez compris que cet exemple sera parfaitement subjectif. Mais, si vous vous adorez son travail, je vous invite à utiliser la boite à commentaires, je serais curieux de lire ça et d’échanger avec vous. ↩︎
- J’insiste sur le terme, il s’agit bien d’analyser (pour comprendre) et non d’évaluer 🙂 ↩︎
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