L’air de rien, depuis les premières photographies de Nicéphore Niepce, une belle ribambelle d’hommes et de femmes se sont penchés sur le sujet. Chacun avec sa philosophie, sa pratique, et ses motivations. Certains ont été très populaires et ont un peu occulté les autres approches possibles par leur vision des choses (Cartier-Bresson, si tu m’entends, elle est pour toi et ton « instant décisif » celle-là).
Apprendre est toujours une démarche personnelle, charge à chaque photographe de s’informer sur l’histoire de la discipline, sur les différentes approches qui sous-tendent la photographie et de trouver son chemin grâce à cela. Les photographes que je vais présenter ici sont ceux que j’ai retenus de mes différentes lectures, pour nourrir mes propres pratiques. C’est sans doute l’article le plus personnel de ce blog, à vous de fouiller-lire-dévorer-voir pour trouver les vôtres 🙂
Cet article présente avant tout des philosophies, prises chez de grands photographes qui m’ont influencé. Il ne s’agit pas d’une bibliographie présentant leurs œuvres, j’ai déjà fait un article à ce sujet. Ici, les idées priment plus que le résultat et l’appréciation que l’on peut en avoir : il y a de nombreux photographes dont j’aime beaucoup l’œuvre (Gabriele Basilico, elle est pour toi celle-là) mais dont l’approche est, somme-toute, « classique », et ne m’a pas marqué plus que ça. Enfin, les artistes présentés ne sont que des photographes, on peut apprendre beaucoup de choses sur la photographie ailleurs (beaucoup d’historiens et de spécialistes de l’histoire de l’art ont théorisé sur ces sujets, notamment sur la technique et l’histoire), mais, même si cette connaissance éclaire la route, ce n’est pas elle qui la trace.
Voici donc, sans ordre aucun :
Robert Doisneau
Si tu fais des images, ne parle pas, n’écris pas, ne l’analyse pas, ne réponds à aucune questions.
Doisneau
Doisneau, ou l’art perdu de la modestie. Sa vision des choses est assez touchante et ramène à une certaine simplicité. Ce qui, entre nous, n’est jamais désagréable. Doisneau raconte une anecdote assez intéressante, quand il parle du photojournalisme de son époque. Il décrit une génération de jeunes photographes, tous avides de sensationnel et de démarcation. Un jour, un camion transportant des ovidés se renverse et beaucoup meurent dans l’accident. Ses confrères accourent pour avoir « le » cliché. Doisneau, lui, va réconforter l’éleveur. Il ne se voyait pas faire autre chose, alors il fait ce qui lui semblait naturel. Doisneau aimait sortir avec son appareil et se promener dans les rues de Paris. Si je garde quelque chose de lui, ça sera ça, le plaisir de ne faire que ce que l’on aime, sans considération des modes, tendances, et avis, profiter de la simplicité d’exercer son art.
Eugène Atget : le matériel ne compte pas…
… seule la passion et la motivation font la différence.
J’en avais déjà parlé un peu ici, mais ce que m’a appris Atget est un peu différent. Atget utilisait une chambre photographique assez volumineuse, et l’a utilisée toute sa carrière, malgré le fait qu’elle ait été largement dépassée, technologiquement, vers la fin. Pourquoi ? Parce qu’il en aimait le rendu tout simplement. Vous vous imaginez transporter plusieurs kilos de matériel, attendre plusieurs minutes pour chaque photographie prise ? Pourtant, cela ne l’a pas empêché de marquer par son œuvre l’histoire de la discipline .
A chaque fois que j’ai un peu la flemme de transporter mon reflex, mon trépied, ou de prendre un objectif en plus « à cause du poids » je me souviens de ça. Nous sommes, technologiquement parlant, une génération très privilégiée. Profitons-en !
William Eggleston
William Eggleston est un photographe assez atypique, de par sa personnalité et son œuvre. Pour vous donner un exemple, il réveillait ses filles la nuit, pour les prendre en photo et leur apprendre à rester tout le temps sur le qui-vive, une approche assez particulière de l’éducation.
Eggleston a popularisé la photographie couleur dans le monde de l’art, mais il est principalement connu pour son sujet de prédilection « The banal » (a prononcer avec l’accent british). Il photographie principalement les objets de la vie quotidienne américaine, et, par son sens aigu de la composition et des couleurs, en tire de véritables œuvres. Je retiens 3 choses d’Eggleston :
- Le sujet compte moins que votre créativité.
- Une seule photo d’un sujet suffit : Eggleston se limitait, pour ne pas avoir à effectuer une douloureuse – à son avis – étape de tri.
- Le lieu compte moins que votre créativité : il a principalement photographié Memphis et ses alentours. Apprendre à regarder et à voir est plus important que de changer de lieu sans cesse.
Pour en apprendre plus sur son parcours, je vous invite à regarder cette vidéo que j’ai écrite pour apprendre la photo 😊
Raymond Depardon
J’apprécie beaucoup l’œuvre de Depardon, à contrepied du photojournalisme dont les règles ont perduré au-delà de ce mouvement (j’en parlais ici). Un des traits les plus caractéristiques de son œuvre est la revendication de la subjectivité du photographe et de sa volonté de photographier des « temps morts », ce qui le sépare de l’école du reportage humaniste à l’européenne de Cartier-Bresson et le rapproche de l’école américaine et de photographes tels que Walker Evans et Robert Frank. Il prend son temps, les instants photographiés pourraient avoir été pris une heure avant, une heure après, sans grande impact sur le résultat. C’est assez reposant comme approche.
Joseph Koudelka
Josef Koudelka est un photographe français d’origine tchèque. Il a parcouru l’Europe de l’Est à l’époque de l’URSS, et est principalement connu pour son ouvrage Gypsies. Il a parfois vécu comme un sans-abri, parcourant les routes pour faire ses photographies, ou en compagnie des Gitans. C’est ça que je retiens de lui, ce côté « Je fais ce qui me plaît, donc le reste… ». Pour notre époque de consuméristes, c’est une belle leçon.
Bruce Gilden
Bruce Gilden est un photographe de rue New-Yorkais. Il est connu pour son style très direct, flash à fond, en plein sur ses sujets. Comme il le dit lui même : « The older I am, the closer I get » (« Plus je suis vieux, plus je m’approche »). C’est quelqu’un d’assez intransigeant, il a une idée en tête et va au bout. Il ne faut pas de compromis, même si son œuvre dérange (les sujets, comme parfois le public). C’est ça que j’aime beaucoup, s’en tenir à ses idées, créer, sans considération pour les avis extérieurs. Car au final c’est bien cela qui rend chaque photographe unique, dans ses idées et son approche.
(Voici une vidéo d’une série qu’il a réalisée avec Vice, il y critique, sans ménagement, des photographies. C’est assez enrichissant à regarder, ce qui fait une « bonne » photographie étant différent pour chacun).
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