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L’apocalypse en 5 images

Introduction

Je vous avais déjà parlé dans l’article sur Youtube d’une chaîne nommée Fullbleed. Elle produit assez peu de contenu, trop peu même, au regard de sa qualité. Il y a une série de vidéos que j’aime beaucoup, intitulées Apocalypses Pictures ; le principe en est simple, lors de l’interview d’un photographe participant à l’émission on lui  pose la question suivante :

« Si l’apocalypse arrivait, et que vous deviez vous réfugier dans un bunker pour le restant de votre vie et emporter seulement 5 images (4 des autres, une de vous) lesquels prendriez-vous ? Pourquoi ?« 

Je trouve l’exercice génial, c’est une excellente façon d’apprendre à connaître un photographe. Essayez-là en vrai, si la personne vous répond « Toutes les images de Sean Archer ! » vous savez tout de suite que vous devez fuir et c’est beaucoup moins vexant que de demander « T’as quoi comme appareil ?« .

Du coup, comme personne ne m’a posé la question, mais que j’aime bien le principe et que je suis un peu chez moi (c’est mon nom dans l’URL) et bien m’y voilà. Prêts pour passer un bout d’apocalypse avec moi ?

Apocalypse pictures

L’exercice n’est pas des plus simples, et l’on s’en rend compte au fur et à mesure que l’on cherche. Dans l’émission les photographes répondent un peu sur le vif (forcément, l’Apocalypse, ça ne laisse pas le temps de tergiverser), mais je me suis offert le luxe d’y réfléchir et ça n’a pas été de la tarte.

Déjà il faut différencier les images que l’on aime de celles que l’on pourrait regarder jusqu’à la fin de notre vie sans se lasser. Ce n’est pas du tout la même chose ! A titre de comparaison musicale, il y a des morceaux que j’aime énormément (comme Under the Bridge des RHCP ou Castle in The Air d’Architects ) mais je ne suis pas certain de pouvoir les écouter en boucle sans jamais m’ennuyer. Il me faudra sans doute quelque chose de plus riche, dont je me lasserai moins (là je pense à Crusades d’August Burns Red, bon courage pour les tympans si vous cliquez). Du coup, la vraie question est plus « Quelles sont les photographies que je pourrais regarder jusqu’à la fin de ma vie sans m’en lasser ? » que « Quelles sont mes images préférées ? » ce qui serait beaucoup plus simple à trancher.

Mais bon, trêve de bavardages, j’entends la terre gronder, démarrons.

Hiroshi Sugimoto – Seascape: North Atlantic Ocean, Cape Breton, 1996

Seascapes- H. Sugimoto
Seascapes- H. Sugimoto

Je vous avais déjà parlé de Sugimoto dans De l’art de voir, c’est un photographe que j’affectionne tout particulièrement, notamment pour son travail sur le temps et son esthétique très travaillée. J’ai sélectionné cette image pour l’immensité face à laquelle elle me met. A vrai dire, il y a deux choses dont la grandeur infinie réduit à néant toutes nos existences : l’espace et le temps.

Autant pour l’espace c’est facile à percevoir : on regarde un ciel étoilé, et d’un coup on se sent ridicule, tout petit, et tous les problèmes que l’on peut avoir semblent tout à fait insignifiants. Et c’est une sensation plutôt agréable et réconfortante au final.

A l’inverse, le temps est plus difficile à percevoir, il n’existe pas à proprement parler, c’est un concept entièrement humain. La plupart du temps on le perçoit à travers quelques objets (montres, horloges, etc.), par le langage (« dans une heure », « 10 ans ») et son immensité ne peut être décrite que part des chiffres (« La terre a 14 milliards d’années »). Et c’est là que le travail de Sugimoto est incroyable pour moi : en photographiant l’océan avec cette pose longue, il nous ramène aux premiers temps de la Terre. A l’époque où elle était recouverte d’eau et est restée ainsi des milliards d’années. Le temps s’écoulait, infini, et c’est face à ça que j’ai l’impression d’être en regardant cette image. Comment s’en lasser ?

Pour en apprendre plus sur sa carrière, vous pouvez regarder cette vidéo que j’ai écrite pour Apprendre.Photo :

Josef Koudelka. ‘Slovakia’ 1963

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Slovaquie, 1963 – J. Koudelka

Cette image va de pair avec la précédente, même si a priori ça ne saute pas aux yeux. Parce que s’il y a bien quelque chose auquel nous ramène le temps quand il devient immense, c’est notre propre mortalité. Comme la citation suivante le résume bien :

Sur une durée suffisamment longue, l’espérance de vie tombe, pour tout le monde, à zéro.

Fight Club

Et être coincé dans un bunker jusqu’à la fin de sa vie, ça fait quand même partie des choses qui nous mettent face à une durée « suffisamment longue ». Chacun est confronté à un moment en tant qu’individu à la question de sa mortalité,  de celle des autres, proches ou lointains. Il n’y a pas de façon universelle de gérer ça, mais je pensais que le sujet devait faire partie de ma sélection.

Pour cela, l’image de Koudelka est absolument parfaite. C’est la photographie d’un condamné à mort, le temps étant passé par là, elle nous met face à une certaine dualité : sur l’image l’homme va mourir, mais dans les faits, il est mort depuis de nombreuses années. En tant que spectateur, on est plein de questions : Qu’est-ce qu’il a fait ? Pourquoi est-il aussi résigné ? La sentence est-elle juste ? Méritée ? Puis-je le sauver ? Pourtant, on se heurte de plein fouet à la réalité des choses : il est mort, et rien ne peut changer ça. Même si la peine de mort a été abolie depuis, même s’il était innocent. Une vraie leçon de vie, format 10×15.

William Eggleston – Red Ceilling

William eggleston 01 - L'apocalypse en 5 images - Thomas Hammoudi - Réflexion
Red Ceilling – W. Eggleston

J’ai toujours énormément apprécié le travail de William Eggleston, pour énormément de raisons, certaines dont j’ai déjà parlé, et d’autres qu’il serait hors de propos de développer ici. Pour le dire simplement, Eggleston est un dandy photographe, qui photographie « the life today » (à dire avec un accent à couper au couteau) dans les alentours de Memphis dont il est originaire, et ce depuis les années 60.

Pour en revenir à cette image, elle est pleine de panache, et c’est ça que je souhaiterai garder avec moi, sans jamais m’en lasser. Eggleston Willy (si je reste avec lui jusqu’à la fin de ma vie, je peux me permettre certaines familiarités) a permis de hisser la photographie en couleur au même rang que celle en noir et blanc, la faisant entrer par la même occasion dans les musées et le monde de l’art. Mais il ne l’a pas fait n’importe comment, puisqu’il a utilisé le Dye Transfer. Il s’agit d’une technique d’impression en couleur, extrêmement coûteuse à son époque (environ 1 000 $ dans les années 60, une fortune) pour le premier tirage. Elle était destinée à la publicité, et la première image était très chère à faire, les suivantes beaucoup moins. Lui l’a utilisée pour tirer ses photographies du banal, c’en est presque drôle : imaginez la tête de votre « copain photographe » si vous lui racontiez demain que vous avez imprimé vos photographies Instagram sur un tirage 100x100cm à 1000€, ça coincerait un peu. Et ça ne le gênait pas du tout, Willy, de faire ça. Il se baladait avec une mallette pleine de ces photographies, qu’il présentait à qui voulait les voir. Il a fini par décrocher une exposition au MoMA en 1976 et la célébrité qui va avec. Il dira à propos de cette image en Dye Transfer :

The Red Ceilling est si magistral qu’en fait je n’en ai jamais vu de reproduction qui m’ait satisfait. Quand on regarde le colorant, c’est comme du sang qui mouille sur les murs… d’habitude, un petit rouge est suffisant, mais travailler en rouge sur une surface entière était un défi.

William Eggleston

Panache, innovation, entêtement, « je m’en-foutisme », si cette image regroupe tout ça, c’est définitivement quelque chose à emporter avec soi.

Henri Cartier-Bresson – Madrid, Espagne, 1933

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Madrid, Espagne, 1933 – H. Cartier-Bresson

Bon, c’est là que l’introduction prend tout son sens, si j’avais pris mes photographies préférées, de nombreux noms auraient surgi avant le sien (je pense notamment à Saul Leiter ou Eugene W. Smith), mais la vie est ainsi faite qu’il faut faire des choix.

J’ai toujours eu un rapport ambigu avec Cartier-Bresson. D’abord agacé par cet espèce de culte de l’instant décisif qu’on lui attribue à tort (voir si après), j’ai mis un peu de temps à m’intéresser à ce photographe, à démêler le vrai de la légende, et à vraiment connaître son oeuvre. Et diantre, quel boulot d’équilibriste ! J’avoue préférer le Cartier-Bresson surréaliste des années 30 au photojournaliste de l’ère Magnum, mais je dois reconnaître qu’il a toujours su jouer subtilement entre ces deux penchants.

Je garderai cette image pour la raison la plus simple qui soit : sa composition exceptionnelle, dynamique, forcément surréaliste, et dont je ne me lasserai sans doute jamais. L’œil n’y fait que jouer entre les entrées et sorties de l’image, jeu de regards, pluie de fenêtres.

Thomas Hammoudi – Vernon

Vernon
Vernon – T. Hammoudi

Là, pour le coup, il ne m’a pas fallu plus de 5 secondes de réflexion pour trouver la photographie à conserver. Cette image est issue de ma série L’image d’une ville qui, malgré les apparences, est sans doute la plus personnelle de toutes. Le principe est simple : j’y regroupe des photographies résumant les instants que j’ai passés dans les lieux où j’ai vécu, que ça soit quelques heures ou quelques années. J’en parle assez peu, principalement par modestie (surtout au regard des noms cités dans cet article !) mais promis, un jour je vous raconterai tout.

Aujourd’hui on se contentera de cette image, la plus importante de la série. Sans vous faire ma biographie complète, je suis né à Vernon (un mercredi !), et c’est cette naissance qu’elle commence par présenter (le regard va de l’ombre à la lumière, vers l’eau, symbole de la vie). Ensuite, le fleuve que vous voyez est la Seine, et j’ai passé jusqu’à présent ma vie tout son long : je suis né à Vernon, j’ai grandi à Gaillon, les membres de ma famille proche vivent chacun dans une ville sur ses bords… Puis j’ai étudié à Paris, et j’y travaille, et je vis désormais à Rouen. La Seine et moi, c’est l’histoire d’une vie.

Si une image peut me rappeler tout ça, elle a définitivement sa place ici.

Conclusion

Bon, arrivés là, je vous imagine déjà trépignant d’impatience de vous prêter à l’exercice, ce qui est normal, c’est relativement fun à faire. Du coup, je ne vais pas vous embêter plus longtemps : faites-le et postez le résultat en commentaire, qu’on découvre ça. N’oubliez pas de mettre les liens vers les images que vous citez, que tout le monde puisse les voir (j’essaierai de modifier les commentaires pour qu’elles apparaissent dans le fil, faut que je voie si c’est techniquement possible).

Ps : quelques années après avoir écrit cet article, je me rends compte que ma sélection serait désormais très différente. Heureusement que l'on ne m'a pas enfermé dans un bunker à l'époque ! J'ai d'ailleurs produit une vidéo sur le même sujet, où elle est très différente.

Bisous bisous !


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Commentaires

6 réponses

  1. Avatar de Patrick
    Patrick

    J’aime bien ton image, techniquement et émotionnellement et arrête d’être modeste!
    Une image bien vide, ça permet de ne pas s’énerver sur des détails, c’est une bonne stratégie
    Je pense que je ne prendrais aucune image, j’ai droit?

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Haha, tu peux, mais ça va être long sans photographies jusqu’à la nuit des temps !

  2. Avatar de Laurent

    Henri Cartier-Bresson…superbe, un coup d’oeil phénoménal (sans démagogie photographique…). J’aime beaucoup votre image aussi…Sans prétention, au même endroit, j’aurais sûrement fait de même tant ce cadrage me plaît. C’est le genre d’image que j’apprécie de manière générale, quand j’ai l’occasion de les faire et surtout de les « voir »…

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Yeah merci Laurent! Ça fait plaisir de lire ça !

  3. Avatar de Baptiste
    Baptiste

    August Burns Red et Architects… Très bons goûts musicaux! 😉

    1. Avatar de Thomas Hammoudi

      Yeah! J’écoute souvent ça en écrivant d’ailleurs. 🙂

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